Frustrations d’autrefois...

À bien des égards, le projet de loi électorale du Rassemblement orthodoxe n’est pas une invention spontanée de l’année 2012, mais plutôt la réponse naturelle à un cumul d’injustices envers les communautés chrétiennes. Face à un déséquilibre permanent au pays, et une parité fragile entre chrétiens et musulmans, le trop-plein de frustration des communautés chrétiennes a dégénéré en un confessionnalisme exacerbé couronné par le projet de loi dit orthodoxe.
 Il n’est vraiment pas nécessaire d’énumérer toutes les causes à l’origine de cette frustration et de ce sentiment de déception. Il suffit de remarquer, en fait, que toutes les élections qui ont eu lieu depuis l’accord de Taëf jusqu’à 2009 n’étaient pas basées sur des lois électorales justes et équitables, sans oublier les élections sous la tutelle syrienne, avant 2005. Ces dernières pavaient la voie du Parlement à des personnalités chrétiennes de second rang, recalant les vrais représentants des chrétiens pour la simple raison qu’ils s’opposaient à la garde de la « grande sœur ».
 Il était donc tout naturel qu’Edmond Naïm présente en 1996 une étude constitutionnelle, proposant que les musulmans et les chrétiens élisent leurs députés respectifs pour assurer une bonne représentation, et pour éviter qu’une communauté croule sous le contrôle de l’autre. Même si M. Naïm envisageait à l’époque une sorte de scrutin à deux étapes, où les élus de chaque communauté étaient soumis à la décision finale d’un comité regroupant toutes les confessions de la circonscription correspondante, son étude constitutionnelle peut être considérée comme l’aïeule du projet de loi du Rassemblement orthodoxe. Si ce dernier crée aujourd’hui la polémique, force est de rappeler que le patriarche Sfeir avait adopté l’idée de M. Naïm dans le temps, après l’élection de députés chrétiens favorables en majorité à la tutelle syrienne.
 Si les raisons du maître de Bkerké étaient fondées à l’époque, celles qui poussent les chrétiens aujourd’hui à se porter favorables au projet de loi de la Rencontre orthodoxe restent floues, après le retrait de la Syrie du Liban. Pour beaucoup, il semblerait que le ralliement des partis chrétiens du 14 Mars à la cause « orthodoxe » aurait pour but d’empêcher l’accès au Parlement à des députés chrétiens choisis par un électorat musulman, et qui soutiendraient le ralliement libanais à l’axe irano-syrien. Mais le 14 Mars peut-il garantir un tel résultat ? Une fois le projet de loi du Rassemblement orthodoxe adopté, si les 64 députés chrétiens choisis par les chrétiens eux-mêmes leur sont en majorité favorables, les musulmans élus par les communautés musulmanes le seront-ils ? Rien n’est sûr, mais le 14 Mars devra sûrement user de toutes les ruses pour obtenir une majorité au Parlement, qu’il utilisera pour couper les cordes de ralliement à la Syrie et à l’Iran.
 Ainsi, aux législatives de 2013, le vote des électeurs sera purement politique, pour ou contre l’axe irano-syrien. Loin sont les années 40 ou 50, où le sentiment de patriotisme prévalait. À l’époque, l’élaboration d’une loi électorale n’était qu’un souci léger, pas très important. Et encore moins l’était le ralliement extérieur de la majorité parlementaire qui en résulterait.

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