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Spécial Beyrouth capitale mondiale du livre 2009

Beyrouth, un sanctuaire où l’homme s’habille de lumière…

Une capitale et le Parnasse. Une capitale et le verbe. Une capitale et l'inspiration. C'est l'histoire de Beyrouth, muse des poètes et aujourd'hui capitale mondiale du livre 2009. Quel lien secret relie Beyrouth aux cheminements des mots à travers les pages d'un recueil de poésie, à travers la métrique d'un alexandrin, à travers la sophistication d'un quatrain, au détour d'une rime, aux passages obligés des ponctuations d'une expression pourtant affranchie de toute règle ?...
Pour la terre qui a rayonné à travers un alphabet que les nations ont décrypté, ce n'est que justice aujourd'hui de sacrer sa plus grande mégalopole capitale du livre. Titre pompeux pour une capitale qui a certes de redoutables intellectuels et de chichiteux snobinards, mais aussi un lot impressionnant d'analphabètes et d'incultes? Entre une ouverture d'esprit cosmopolite et une part d'ignorance non négligeable, Beyrouth garde la tête hors de l'eau. Et reste, quoi qu'on en dise, un phare de connaissances et de liberté pour tout l'arrière-pays...
Dans un environnement arabe où la culture est loin d'avoir tout le poids, toute l'amplitude et tout l'impact qui lui sont dus, la poésie occupe, paradoxalement, une place presque privilégiée...
Est-ce parce que le lyrisme est dans la nature et le verbe du monde levantin? Est-ce parce que le monde de la poésie est dans le sang de ces héritiers de cavaliers émérites, de ces voyageurs impénitents, de ces beaux parleurs à la rhétorique enflammée et véhémente? Est-ce aussi parce que tout message poétique - si message il y a - est universel, sans frontière ni limite?
Un poème dit toujours beaucoup plus (et parfois moins) que ce qu'il ne sous-entend, profère, psalmodie, récite ou déclame... Emphase, facilité de s'exprimer, solennité, gravité ou sens ludique régi par un art suprême dont les rigoureuses prosodies ont volé actuellement en éclat, la poésie reste une expression en état de crise dans des éditions massivement à compte d'auteurs et un lectorat atteint incurablement de peau de chagrin. Bien loin est l'âge d'or où la poésie de Pindare était écoutée par la foule...
Pourtant, la poésie sublime tout sentiment banal, prosaïque ou familier. Elle sécurise, pontifie, simplifie et valorise l'importance du dire...
Et ici, il s'agit de retrouver, à travers cet ensemble de mots et de vocables couchés sur le papier, l'essence d'une ville, d'une histoire, d'une civilisation, d'une lumière, du jeu des couleurs entre ciel et terre, du chaos des sentiments et des dédales d'une vie...
Dans cette géographie poétique d'une terre et surtout d'une ville telle que Beyrouth, les langues abondent. Des tonalités drues de la langue arabe aux nuances et subtilités françaises, en passant par l'internationalisme de la langue anglaise, en gardant un coin à part pour la langue arménienne, apanage d'une communauté qui a gardé ferme toutes ses valeurs culturelles et linguistiques, Beyrouth, toujours vibrante sous la pluie des mots, capte comme un aimant électrisé toutes les étincelles de vie...
Dans ce patriotisme qui va du « libanisme » phénicien à la vision d'un monde arabe moderne, des paysages foncièrement libanais aux abstractions les plus farfelues, la poésie a un carré farouchement indépendant et éminemment vivant.
De l'ancienne garde du Parnasse francophone, tels Chucri Ghanem, Michel Chiha, Charles Corm, Élie Tyan et Hector Klat, jusqu'aux poètes contemporains, comme Vénus Khoury-Ghata et Salah Stétié (et toute cette kyrielle de taquineurs et de taquineuses de muse, amis mondains des éditeurs et des journalistes, qui commettent une plaquette le temps de guérir d'un bobo de cœur), chantent, en toute sincérité ou parfois en toute naïve candeur, dans des accents grandiloquents ou en de saisissants raccourcis, avec ou sans masques, directement ou indirectement, la gloire et les attraits d'une terre et d'une ville.
 Une terre et une ville qui ne se résument jamais aux simples mots et ne sont jamais prisonnières d'une pensée... Il y a là le témoignage multiple et diversifié, exubérant et lyrique, sur un état de fait: Beyrouth dispense une magie particulière, distille des gouttelettes ensorcelantes pour un élixir aux fragrances captivantes, uniques.
Beyrouth muse intarissable qui injecte généreusement de l'encre dans le stylo de Mahmoud Darwiche ou de Ounsi el-Hage, Beyrouth qui fait crisser avec éclat la plume de Fouad Gabriel Naffah quand il arpentait les quartiers orthodoxes d'Achrafieh où des amants contrariés et inconsolables flânaient déjà du côté de Mar Mitr...
Georges Schéhadé et ses « grands désordres clairs » n'en a pas moins puisé dans les capiteux parfums chargés d'odeurs de violette, de jasmin, de thym et de romarin d'un Beyrouth qui avait le charme d'antan entre gigantesques eucalyptus, lauriers blancs et roses, et ombrelles vertes de pin parasol...
Etel Adnan, intrépide amazone au verbe politisé et ardente avocate de la cause arabe, a parlé de Beyrouth, bien avant la funeste date charnière de 1975, en termes prémonitoires et guerriers, dans la frénésie et l'hystérie, de ce qui sera véritablement un Express Beyrouth-Enfer....
Visions dantesques ou scènes bucoliques, sentiments de sérénité ou malaise des guerres qui n'en finissent plus, beauté radieuse d'une lumière d'Orient unique ou tourmente des nuits où la mitraille broyait impitoyablement, fer et pierre, comme la gueule d'un carnassier affamé, la poésie est surtout une terre d'appartenance.
Appartenance à une ville capable du pire, mais aussi du meilleur. De la frivolité du rire comme du deuil le plus douloureux. Telle une profonde et indélébile morsure et gangrène d'amour...
Un terreau à goût d'éternité, d'enfance, de bonheur, de tourmente, de deuil, de création. Pas de poésie sans racine. Comme le dit Rilke, «la poésie est une terre de refuge intérieur».
Ce bateau en partance de Gebran devant al-Moustapha parlant de droit, de liberté, d'amour, d'espoir, de rêve est-il autre chose que les navires ancrés dans la rade du port de Beyrouth? Les personnages d'Orphalèse ne sont-ils pas les frères jumeaux de l'antique Béryte et des citoyens pressés d'une capitale constamment en effervescence?
C'est sans ambages, au détour d'une phrase, d'une bribe de poème (et les romans foisonnent encore davantage de ces citations, sans parler de l'hommage direct rendu par Alexandre Najjar et Samir Kassir à Beyrouth) qu'on retrouve les «atmosphères», les couleurs, la poussière, l'insolente opulence, les misères les plus criantes, les dénuements les plus dignes (et les plus scandaleux) et les silences les plus éloquents de notre «cité fertile»... Beyrouth a dû bien effleurer le bout de la plume d'Andrée Chédid quand l'auteur du Cérémonial de la violence évoque Alépha et la mort qui rôde autour d'elle.
Mais la palme d'amour transi, impérissable et somptueux revient probablement à Nadia Tuéni dans son chant à la fois passionné et lucide pour le Liban à travers ses 20 poèmes pour un amour (éditions Dar an-Nahar -70 pages, avec traduction en langue arabe par Abdo Wazen comme pour souligner la naturelle parenté avec la langue de l'auteur du Prophète).
Dans cette ode pour une terre vénérée, Beyrouth figure en bonne place, avec une part léonine pour un amour dévorant dont le cœur n'a pas fini de battre en chamade...
«Qu'elle soit courtisane, érudite ou dévote...
Qu'elle soit religieuse, ou qu'elle soit sorcière,
ou qu'elle soit les deux, ou qu'elle soit charnière,
du portail de la mer ou des grilles du Levant,
qu'elle soit adorée ou qu'elle soit maudite,
qu'elle soit sanguinaire ou qu'elle soit d'eau bénite,
qu'elle soit innocente ou qu'elle soit meurtrière
en étant phénicienne, arabe ou roturière,
en étant levantine aux multiples vertiges,
comme ces fleurs étranges fragiles sur leurs tiges,
Beyrouth est en Orient le dernier sanctuaire,
où l'homme peut toujours s'habiller de lumière.»
Si Nadia Tuéni fait un large tour d'horizon pour chasser tous les coins d'ombre, les malentendus, les clichés et les lapalissades qui ont pavé l'histoire chargée d'images multiples de Beyrouth, elle n'en laisse pas moins au lecteur cette indiscutable note d'espoir et de singularité où Beyrouth, reine des villes de l'Orient, demeure indubitablement ce «sanctuaire» où l'on respire à profusion connaissance et liberté, atouts majeurs pour la pérennité de tout livre...
Pour la terre qui a rayonné à travers un alphabet que les nations ont décrypté, ce n'est que justice aujourd'hui de sacrer sa plus grande mégalopole capitale du livre. Titre pompeux pour une capitale qui a certes de redoutables intellectuels et de chichiteux snobinards, mais aussi un lot impressionnant d'analphabètes et d'incultes? Entre une...