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Liban

Femmes et nationalité : un jugement qui fera jurisprudence ?

Cette semaine marquera sans nul doute une date à retenir dans la longue lutte des Libanaises pour acquérir le droit d'octroyer leur nationalité à leurs maris et enfants étrangers, sachant que la loi sur la nationalité ne leur accorde pas ce droit actuellement, contrairement à l'homme libanais.
Une femme mariée à un homme étranger décédé depuis 1994 et ne pouvant accorder à ses quatre enfants la nationalité libanaise, bien que ceux-ci aient été mineurs à l'époque de la mort de leur père, a obtenu depuis deux jours gain de cause grâce à un jugement du tribunal de première instance du Mont-Liban, à Jdeidet el-Metn, sous la présidence du juge John Azzi. Ce jugement, qui pourrait faire jurisprudence, a accordé à cette femme, dont l'identité n'a pas été révélée, le droit de donner la nationalité à ses enfants qui ont toujours vécu au Liban et ne connaissent pas, selon le texte du jugement, le pays de leur père (dont la nationalité n'a pas été précisée). Le procès était intenté par cette femme contre l'État libanais, qui lui refusait ce droit.
Le plus remarquable, c'est le fait que ce jugement ait privilégié le côté humanitaire, tenant compte de la souffrance des Libanaises mariées à des étrangers et de leurs familles, particulièrement leurs enfants. Dans le texte très documenté du jugement (on y trouve plusieurs citations), on peut lire les questions sur base desquelles la plaignante a intenté son procès, notamment cette question centrale : est-il possible que l'étrangère mariée à un Libanais soit mieux traitée que la citoyenne libanaise qui est restée attachée à sa nationalité malgré son mariage à un étranger ? Une autre question importante est soulevée : quel est le rôle du juge dans la protection de la famille ? Enfin, il est rappelé que la Constitution consacre le principe de l'égalité entre l'homme et la femme.
Dans ce cas, le juge a estimé qu'il lui faudrait trouver une solution à travers l'interprétation de la loi, comme cela est énoncé clairement dans le texte du jugement. Il a, pour ce faire, priviliégié le raisonnement a fortiori, c'est-à-dire celui qui « consiste à appliquer la solution prévue dans un cas voisin parce qu'il y a des motifs supérieurs de l'appliquer dans le cas envisagé », selon une citation de l'Introduction à l'étude du droit de Raymond Farhat. On comprend donc que le juge Azzi s'est penché sur ce que devrait être la volonté du législateur dans l'article 4 de la loi et a trouvé qu'il serait inconcevable que le législateur libanais ait voulu privilégier l'étrangère mariée à un Libanais (qui obtient la nationalité un an après son mariage et l'accorde à ses enfants) à la citoyenne libanaise. Tenant compte de cette interprétation, le juge a donc considéré que ce qui vaut pour l'étrangère vaut ipso facto pour la Libanaise, donnant ainsi raison à la plaignante contre l'État.
Ce jugement a provoqué un électrochoc dans le pays depuis qu'il a été émis. Les réactions des ONG féminines et des femmes concernées par le problème ont été très favorables, comme on peut l'imaginer, celles de nombreux juristes aussi. Mais ce jugement sera-t-il définitif ? En effet, le procès a été intenté contre l'État qui a, à l'évidence, la possibilité de faire appel.

Réaction de Najjar
Et il semble bien qu'il compte le faire. Dans une première réaction à ce jugement, le ministre de la Justice Ibrahim Najjar a rappelé que « la question (du droit de la femme à octroyer sa nationalité à sa famille) est matière à controverse juridique depuis des dizaines d'années, et la Cour de cassation a souvent tranché cette question dans des jugements célèbres qui sont arrivés à des conclusions exactement contraires à celles du jugement émis par le tribunal de première instance du Mont-Liban ». Il a poursuivi : « Ce n'est qu'un jugement de première instance, et l'État pourrait être acculé à faire appel avant qu'il ne devienne définitif et qu'il ait pour effet d'opérer un revirement de jurisprudence. »
Le ministre a ajouté : « Le tapage médiatique provoqué par ce jugement et les commentaires hâtifs dont il a fait l'objet sont prématurés. Il est très difficile de contourner la loi quand celle-ci est claire et d'interpréter son texte. »
Quelle que soit la suite de cette affaire, ce jugement du juge Azzi aura certainement fait date, surtout qu'il survient quelques semaines seulement après l'inexplicable volte-face du gouvernement qui, malgré les multiples promesses faites aux ONG, a renoncé à faire figurer le projet de loi sur l'octroi de la nationalité par les mères libanaises à l'ordre du jour de ses dernières séances, un fait qui avait été dûment dénoncé par ces mêmes ONG à la veille des élections. De plus, l'ampleur des réactions positives déclenchées par ce jugement montre que le seuil de tolérance face à ce que d'aucuns considèrent comme une discrimination dans la loi aurait atteint un point de non-retour, dans le sens où il deviendra de plus en plus difficile à l'avenir d'ignorer cette juste revendication des femmes. Sachant, également, que l'application de la loi ne peut éternellement négliger les bouleversements dans la société libanaise. Aboutira-t-on, comme l'espèrent les militants (hommes et femmes, ils sont concernés à titre égal), à un changement dans la loi ? 
Cette semaine marquera sans nul doute une date à retenir dans la longue lutte des Libanaises pour acquérir le droit d'octroyer leur nationalité à leurs maris et enfants étrangers, sachant que la loi sur la nationalité ne leur accorde pas ce droit actuellement, contrairement à l'homme libanais.Une femme mariée à un homme...

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