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Lifestyle - Photo-roman

« Mon Dieu, calmez-vous ! On dirait que le choléra s’est abattu sur le pays ! Ce n’est que de la pluie... »

Photo G.K.

Douces scènes de la vie beyrouthine, un petit matin pluvieux de cet hiver qui s'est fait prier. Moments qui prouvent qu'il existe encore dans cette capitale de ces lieux et de ces rituels réservés qui fleurent le vieux temps, ce sésame pour le bon goût et les mémoires embaumées. Un panonceau en forme de croix grésille et ses battements font disparaître puis réapparaître la rue dans une couleur vert disco. Vieilles mamas à la permanente bleuie se déhanchent comme canes et pintades qui jamais ne s'envoleront, clopinant bord sur bord entre les mobylettes slalomeuses sans gêne et sans façons. Une odeur aigrelette et mercurochromée s'impose à mesure qu'elles tracent leur chemin vers le fond de la ruelle. Pas de doute, ça sent la pharmacie, cette odeur sécurisante, mais qui noue les estomacs et renoue ainsi avec des enfances à vacciner et des culbutes
ensanglantées.
Il n'est même pas huit heures et une file s'est déjà formée à la porte. Un gamin en doudoune-pyjama s'époumone sur l'épaule de sa maman hirsute qui enfonce le doigt dans la sonnette. La maîtresse des lieux dégringole alors, enrubannée dans une écharpe, elle habite le premier, et finit de boutonner la blouse blanche de sa fonction en soufflant la buée de son exaspération sur des binoculaires à triple foyer. Elle crie: «Mon Dieu, calmez-vous! On dirait que le choléra sévit sur le pays ! Ce n'est que de la pluie...»

Profession de sauveteuse
Ladite pharmacienne s'appelle Najat, et c'est comme si son prénom l'avait vouée à cette profession de sauveteuse à laquelle s'accroche tout un quartier qui l'attend religieusement, tous les matins, au seuil de son commerce. Elle fait donc entrer tout ce petit monde dans la salle d'une vingtaine de mètres carrés où le luminaire en néon fatigue à démarrer. Certains jours sont plus tranquilles que d'autres, l'été notamment, quand ses patients, parce qu'elle les désigne de la sorte, désertent le béton pour du vert et de l'air. Mais toujours après avoir fait leurs emplettes chez elle. Certains lui confient même les clefs de leurs appartements, après tout, quoi de plus rassurant qu'une pharmacienne ? Et ils viennent la consulter par intermittence, généralement pour un dos cramé, une piqûre de moustique tenace ou une chute à vélo.
Entre-temps, elle se retrouve en compagnie de ces seniors dont le cholestérol, l'hypertension ou les vertiges les empêchent de se ruer vers les montagnes. Elle leur répète qu'il faut boire, repasse pour la énième fois sur leurs prescriptions jaunies par des médicaments disparus du marché, se farcit en boucle et sans se lasser leurs rengaines quant aux menaces futuristes d'une pandémie potentielle. Les rassure et dit que sa mission est de leur faire traverser ces mois chauds qui leur tombent dessus comme pour les rappeler à la dure réalité de leur santé.

Angoisse en chantilly
Najat préfère aussi l'hiver, car il suffit de quelques petites gouttelettes pour qu'avec dégouline du ciel le torrent des peurs et que l'angoisse monte en chantilly dans notre société hypocondriaque prête à faire razzia dans les pharmacies. Elle se frotte donc les mains pommadées de liquide antibactérien, prête à retrouver ses habitués et mettre le grappin sur ce vilain virus qui prend en grippe. Et depuis qu'elle procure dans sa pharmacie le vaccin contre la grippe, Najat se sent un peu plus médecin, sa vocation abandonnée à cause d'un mariage prématuré. De toute manière, médecin, elle l'est, ça lui convient, et à ses clients aussi, qui préfèrent consulter gratuitement cette femme aux myriades de remèdes étonnants qu'elle retrouve à l'aveuglette dans ses bibliothèques médicamenteuses. «Approche-toi, ouvre grand la bouche», le pronostic est donné. Et on s'y plie, même les mamans-poules les plus endurcies...
Quand elle dit que ce n'est rien de grave, c'est qu'il ne faut pas s'inquiéter. Mais en plus d'être la star en tablier blanc de son quartier, Najat est aussi une belle histoire de la «médecine»: elle n'a jamais déserté les combats de sa ville ou de son quartier, que ce soit ceux de la vie ou ceux de l'amour; elle avait assisté des femmes lors de leurs accouchements dans des abris, mais aussi aidé ces combattants pour qui elle n'avait jamais mis la clé sous le porte, même au plus fort des guerres libanaises. Et puis, elle a aussi adopté la cause des toxicomanes, les a soutenus et dirigés en douce vers des médecins spécialisés, à une époque où l'on préférait leur distribuer des baffes. Ces ados un peu perdus qui, aujourd'hui, pour la plupart, reviennent la remercier avec leurs enfants à vacciner.

 

Chaque samedi, « L'Orient-Le Jour » vous raconte une histoire dont le point de départ sera une photo. C'est un peu cela, un photo-roman : à partir de l'image, shootée par un photographe, on imaginera un minipan de roman, un conte... de fées ou de sorcières, c'est selon...

 

 

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Mais qui a eu donc cette idée folle...

Douces scènes de la vie beyrouthine, un petit matin pluvieux de cet hiver qui s'est fait prier. Moments qui prouvent qu'il existe encore dans cette capitale de ces lieux et de ces rituels réservés qui fleurent le vieux temps, ce sésame pour le bon goût et les mémoires embaumées. Un panonceau en forme de croix grésille et ses battements font disparaître puis réapparaître la rue dans une...

commentaires (3)

FAUT DONNER AUSSI DES NOMS AUX PLUIES... TENEZ, CELLE-LA PAR EXEMPLE -ZARIFA- ET LA SUIVANTE -3AFRITA- ET AINSI DE SUITE... PAS SEULEMENT AUX TEMPETES SURTOUT QUAND L,HEBETUDE HABITE LES BOITES VIDES...

LA LIBRE EXPRESSION

15 h 02, le 10 décembre 2016

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Commentaires (3)

  • FAUT DONNER AUSSI DES NOMS AUX PLUIES... TENEZ, CELLE-LA PAR EXEMPLE -ZARIFA- ET LA SUIVANTE -3AFRITA- ET AINSI DE SUITE... PAS SEULEMENT AUX TEMPETES SURTOUT QUAND L,HEBETUDE HABITE LES BOITES VIDES...

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 02, le 10 décembre 2016

  • Quelle bonne méthode de faire connaitre à la génération nouvelle le Beyrouth d''avant ces temps de dicorde et de désordre pour ne pas dire plus ,

    Samira Fakhoury

    09 h 41, le 10 décembre 2016

  • Douce nostalgie pour une vie beyrouthine toujours angoissée.

    Sabbagha Antoine

    08 h 25, le 10 décembre 2016

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