Lors de sa visite à New York pour assister à la réunion ordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies en septembre, la délégation officielle libanaise a reçu un grand choc. Présidée par le Premier ministre de l'époque Tammam Salam, cette délégation a rencontré de nombreux responsables internationaux. Mais c'est le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov qui lui a annoncé une grande nouvelle. Dans le cadre de l'entretien avec la délégation libanaise, Lavrov avait alors révélé aux responsables libanais que son adjoint Mikhaïl Bogdanov l'avait informé qu'un accord a été conclu au Liban prévoyant l'élection du général Michel Aoun à la présidence de la République. Le Premier ministre libanais est tombé des nues. À cette époque, il y avait certes des rumeurs sur la possibilité pour le chef du courant du Futur Saad Hariri d'appuyer la candidature du général Aoun. Mais rien n'était encore sûr et beaucoup de parties, notamment au sein du 14 Mars, n'y croyaient pas. Le ton affirmatif utilisé par le ministre russe des Affaires étrangères ne laissait pourtant aucune place au doute. Il faut rappeler à cet égard que le chef du courant du Futur avait effectué deux visites à Moscou au cours des trois derniers mois pour tenter un déblocage de la crise présidentielle qui datait depuis plus de deux ans. Officiellement, l'idée véhiculée dans les médias étaient que Saad Hariri sollicitait l'aide de Moscou, qui entretient de bonnes relations avec Téhéran et Damas, pour faire pression sur le Hezbollah afin qu'il lâche Michel Aoun. La petite phrase du ministre russe des Affaires étrangères a toutefois donné un autre son de cloche et montré que l'accord était pratiquement conclu et qu'il ne restait plus qu'à définir le scénario de son exécution.
Pourquoi reprendre cet épisode aujourd'hui ? Tout simplement parce qu'il montre que même si le compromis conclu est comme on l'a dit de « fabrication libanaise », il s'inscrit dans la logique des derniers développements régionaux et internationaux. Et il n'aurait peut-être pas été possible sans eux.
Le « gros du travail » a donc été effectué par les protagonistes internes, notamment Michel Aoun lui-même, qui a fait preuve d'une grande ténacité et d'une résistance à toute épreuve, en dépit des multiples pressions exercées contre lui, ses proches et ses alliés ; le Hezbollah, qui a essuyé toutes les critiques imaginables depuis deux ans et demi et qui a même refusé le choix d'un de ses alliés chrétiens pour rester fidèle au général Aoun ; les Forces libanaises, qui ont appuyé la candidature de Michel Aoun ; enfin Saad Hariri, qui a pris la décision spectaculaire qui a permis le déblocage. Mais ces éléments internes se sont accompagnés de changements importants sur la scène régionale et internationale.
Le compromis a donc été conclu par les acteurs locaux et il a abouti en apparence à une sorte de règlement où toutes les parties peuvent se présenter comme victorieuses. Mais en réalité, l'entente interne n'aurait pas pu être atteinte si le camp occidental et ses alliés régionaux et arabes n'avaient pas essuyé une série de revers sur toutes les scènes enflammées actuellement. Depuis l'automne 2014, lorsqu'à la dernière minute le président américain Barack Obama avait renoncé à mener des raids contre le régime syrien pour « le punir d'avoir utilisé des armes chimiques », l'Occident et ses alliés n'ont cessé de reculer sur le dossier syrien, mais aussi au Yémen et en Irak. La décision d'Obama avait été alors interprétée comme un signe de faiblesse et attribuée à son « caractère hésitant » et elle avait été largement critiquée dans le monde arabe. Elle avait pourtant été dictée par la réalité des faits sur le terrain et par la menace claire des Iraniens aidés par les Russes de riposter violemment.
Depuis ce recul crucial, il y a eu l'accord sur le nucléaire iranien le 14 juillet 2015, en dépit de toutes les tentatives arabes pour empêcher sa conclusion, l'intervention directe russe en Syrie à partir du 30 septembre 2015, les changements stratégiques du rapport de force sur le terrain syrien ainsi que l'enlisement de la guerre au Yémen, qui a entraîné une crise économique sans précédent en Arabie saoudite, alors que les États-Unis se préparaient au changement qui allait survenir à travers l'élection de novembre 2016 qui a porté Donald Trump à la Maison-Blanche.
Ces changements régionaux et internationaux qui ont réduit l'intervention occidentale et arabe au Liban pour cause de problèmes plus urgents à régler ont permis la conclusion de l'accord interne libanais, probablement favorisé par Moscou, et béni par l'Iran qui avait donné carte blanche au Hezbollah pour tout ce qui touche à l'intérieur libanais.
Certes, depuis l'officialisation de l'accord entre Michel Aoun et Saad Hariri, les chancelleries occidentales et arabes cherchent à se rattraper et dépêchent des émissaires pour tâter le terrain et revenir sur la scène libanaise. Ces démarches sont accueillies favorablement, puisque le Liban, à l'équilibre interne fragilisé par la présence de plus d'un million et demi de déplacés syriens sur son territoire et par la proximité des feux qui brûlent autour de lui, a besoin de tous les soutiens pour préserver sa stabilité. Mais leur impact a diminué et, aujourd'hui, les Libanais doivent trouver seuls les arrangements entre eux en ne perdant pas de vue ce qui se passe autour de leur pays...
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commentaires (5)
Les mensonges n'ont jamais duré, tôt ou tard la vérité apparaitra. La fabrication de la désignation de Michel Aoun est de fabrication russe, iranienne, syrienne et de la branche libanaise du Wilayet el-Fakih. CQFD, fermons le ban. Merci Scarlett.
Un Libanais
15 h 22, le 19 novembre 2016