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Culture - Théâtre

« Faradan Inno » il existe plusieurs boîtes de Pandore

Dans un univers tiré par les ficelles de l'absurde, « Faradan Inno »* (à supposer que, en arabe) est une pièce où il est recommandé de se laisser prendre au jeu des boîtes que Jacques Maroun ouvre une à une pour transformer le virtuel en une réalité déconcertante.

Gabriel Yammine et Talal el-Jurdi, inventifs et étonnants de réalisme dans « Faradan Inno ». Photos Carl Haddad

En 2014, avec Ka3eb 3aleh (haut talon), Jacques Maroun abordait un thème difficile mais mené avec brio. Un an plus tard, il remplissait le théâtre avec sa Venus. Actuellement, sur les planches du théâtre Monnot, avec un texte d'Alan Arkin adapté par Gabriel Yammine, le metteur en scène mène sa locomotive sur les rails du subversif, une locomotive à bord de laquelle les spectateurs embarquent, les uns après les autres, pour un voyage dans le monde de la révolte et de la résignation. Ce metteur en scène (également acteur) confirmé tire l'art scénique, une fois de plus, vers le haut.

 

Quand l'absurde se manifeste
La pièce met un moment à démarrer. Au premier acte, dans un décor obscur, s'établit un dialogue entre un acteur et une voix anonyme qui se déplace d'un bout à l'autre de la scène. Deux hommes qui ne se connaissent pas se retrouvent dans un entrepôt, commandités par une puissance suprême, pour exécuter une mission illicite. Dans l'attente de la livraison du conteneur, le plus âgé des deux décide de simuler la situation. Très vite, le flou artistique, comme l'auteur aimerait le faire croire, devient tangible et l'histoire, menée à un rythme effréné, prend une tournure à laquelle le spectateur ne s'attend pas. Elle captive, tient intelligemment en haleine, multiplie les bouleversements au fil des minutes, mettant en scène la déraison du monde dans laquelle l'homme se perd, jusqu'à la morale, pas dénuée d'intérêt non plus.

 

(Lire aussi : Deux heures avec Thomas Ostermeier dans un atelier de théâtre engagé)

 

 

À chacun sa boîte... crânienne
La boîte de Talal el-Jurdi est plutôt carrée. Le personnage qu'il incarne a du mal à adhérer à l'irrationnel de la situation. Il résiste et se révolte, dans un désir éperdu de clarté, insulte son partenaire, tente de s'échapper pour finalement accepter de vivre cette expérience, comme on accepte pleinement son destin, sa condition, sans espoir. Il se sent alors délié des règles communes et obéit tel un automate. Il mime les caisses imaginaires qu'il ouvre à la force des bras, avec des outils virtuels, découvre des masques à gaz et à oxygène, des dictionnaires sanskrit-anglais, des passeports pakistanais, des armes, il enjambe les boîtes et trébuche sur des obstacles fantômes.

Toutes ces questions qu'il pose sans jamais avoir de réponse, toutes ces boîtes virtuelles qu'il ouvre pour laisser échapper une violence en devenir, toutes ces hypothèses contredites de minute en minute forment un labyrinthe d'inquiétudes, dans lequel le personnage se perd peu à peu jusqu'à douter de sa propre nature.
Celle de Gabriel Yammine est modulable. Elle s'adapte à la folie en général et à l'absurde en particulier. Le personnage qu'il incarne est conséquent d'un bout à l'autre de la pièce. Son délire et sa démence sont empreints d'un tel réalisme qu'ils en deviennent contagieux. Quand il se terre sous une tente montée contre la puissance du vent, se réchauffe aux poils d'une couverture fictive, se désespère et se révolte, il entraîne avec lui son compagnon à des centaines de kilomètres, sur une montagne enneigée alors qu'ils sont seulement séparés du public de deux mètres sur scène. Reste le retournement de situation subtil et intelligent où la folie devient raison et où la raison cède la place à l'irrationnel.

 

(Lire aussi : Cette si délicate « Peau d'Élisa »...)

 

L'originalité ne manque pas à ce scénario qui soulève une réflexion intéressante sur la part de responsabilité dans la vie, l'endoctrinement, le rapport de puissance, le sens de la hiérarchie et la prise de pouvoir.
Épuisante mais puissante, drôle et tragique, la mise en scène laborieuse et réussie entraîne le spectateur dans des situations où tout n'est qu'hypothèse. Les têtes d'affiche ne changent rien à l'affaire. Gabriel Yammine, bien que trop souvent théâtral tant par ses gestes que par son élocution, et Talal el-Jurdi, surprenant de naturel, sont une leçon de théâtre. Inventifs et étonnants de réalisme, ils sont la preuve que l'espérance laissée au fond de la boîte de Pandore est celle d'un théâtre libanais dont on peut être fiers.
Camus disait : « Sentir sa vie, sa révolte, sa liberté, c'est vivre. Là où la lucidité règne, l'échelle des valeurs devient inutile. »
Après une standing ovation (faite par une salle remplie d'acteurs et de metteurs en scène, mais aussi de spectateurs irrespectueux tant par leurs commentaires que par leur portable sans l'option « silence »), on ne peut que saluer la force de ce spectacle.

* « Faradan Inno », au Théâtre Monnot, à 20h30. Tous les soirs sauf le lundi, jusqu'au 27 novembre 2016. Billets en vente chez Virgin.

 

 

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