C'est un homme apaisé qui a tenu à écrire lui-même son premier discours de président qui est arrivé au palais de Baabda. Michel Aoun se préparait depuis longtemps à ce moment, auquel il n'a jamais cessé de croire, même lorsque tout le monde autour de lui en doutait. C'est pourquoi il a retiré avec facilité le costume de « l'opposant » et en quelque sorte de « l'empêcheur de tourner en rond » pour porter celui du « président rassembleur ».
À ceux qui ne croient pas à sa capacité à réunir autour de lui les différentes composantes de la nation, ses partisans rappellent comment l'homme que l'on disait fini le 13 octobre 1990 a réussi à mettre à profit son expérience de l'exil pour lire et réfléchir sur les convulsions du monde, sans jamais cesser de croire à son destin national. Il est rentré au Liban le 7 mai 2005 et en dépit de tous les obstacles qui ont été placés sur son chemin, il s'est accroché à son projet et à sa vision, parvenant à garder l'initiative et à surprendre ses rivaux. Il a aussi troqué son uniforme militaire pour le costume du chef politique et il est resté conséquent avec lui-même, se faisant élire à la tête de la République par le biais d'un compromis politique interne. Selon ses partisans, Michel Aoun ne pouvait pas devenir un président imposé par l'étranger, comme ce fut le cas de la plupart de ses prédécesseurs, parce qu'il n'a justement pas de parrain étranger.
Par son obstination et sa patience, il a réussi à retourner en sa faveur une équation dont il semblait au départ totalement exclu et, aujourd'hui, ceux qui étaient les plus sceptiques à l'étranger s'empressent de lui adresser des félicitations. D'ailleurs, la succession des coups de fil de chefs d'État étrangers est à elle seule un indice de la faiblesse du facteur étranger dans l'aboutissement de l'élection présidentielle, puisque chacun cherche à s'approprier la victoire. Michel Aoun est peut-être le seul chef d'État du monde à recevoir aussi bien les félicitations des présidents syrien et iranien et celles du roi Salmane et de son fils l'émir Mohammad ben Salmane, du président français et du secrétaire général des Nations unies. Elles peuvent d'ailleurs être un handicap ou un atout, tout dépendra de l'évolution de la situation interne. L'aspect positif du compromis interne est que les principaux acteurs n'ont pas de dettes à rembourser à l'étranger. À cet égard, des sources proches du 8 Mars précisent que la visite du ministre saoudien juste avant l'élection présidentielle était dictée par la volonté des dirigeants saoudiens de participer à l'accord qui avait été conclu entre le général Aoun et Saad Hariri, après avoir fait preuve d'une certaine indifférence. Les autorités saoudiennes auraient donc voulu ainsi devenir partenaires de la solution en exprimant leur appui à l'accord et en cherchant à dissiper les dernières oppositions au sein du bloc du Futur. En même temps, ces autorités voulaient aussi adresser un message au régime iranien en lui rappelant qu'il n'est pas question de lui laisser le champ libre sur la scène libanaise.
Mais le côté négatif, c'est que les parties internes demanderont en contrepartie un rôle important dans l'équation politique et gouvernementale, sans véritable moyen de pression pour modérer les différents appétits. Ce qui risque d'ailleurs de retarder la naissance du nouveau gouvernement. Pourtant, aussi bien le nouveau président que le Premier ministre, qui devrait être désigné officiellement aujourd'hui, n'ont aucun intérêt à faire traîner les choses. D'autant que certaines parties internes misent déjà sur l'impossibilité pour Saad Hariri de former un gouvernement...
Pour l'instant, et en dépit de la grande discrétion officielle, des sources proches du nouveau pouvoir affirment que la tendance générale est la volonté d'inclure le maximum de forces au sein du gouvernement pour consolider la cohésion interne. De même, les grandes questions régionales et internationales devraient être mises de côté, dans une sorte de maintien du statu quo actuel pour se concentrer sur les dossiers internes qui touchent à la vie quotidienne des citoyens et sur les prochaines élections législatives qui devraient se tenir au début du mois de mai pour être achevées avant le début du mois de jeûne pour les communautés musulmanes. En termes plus précis, il ne sera sans doute pas question de demander par exemple au Hezbollah de retirer ses troupes de Syrie, sachant qu'une telle demande ne pourrait qu'augmenter les tensions internes sans donner de véritables résultats dans le contexte actuel. Sur ce dossier, il ne devrait donc pas y avoir de changement avec l'attitude adoptée par le gouvernement présidé par Tammam Salam, même si sur le plan politique chaque camp conservera sa position. Il en sera probablement de même pour les armes du Hezbollah qui ne devraient pas être remises en cause dans la déclaration ministérielle, selon une formule proche de celle qui avait été adoptée par le gouvernement Salam. Les principales parties concernées se seraient en effet entendues pour éviter dans une première étape les dossiers conflictuels qui ont une dimension régionale pour tenter d'étendre les espaces d'entente internes, en cherchant à faire preuve de réalisme et d'efficacité. Elles sont conscientes du fait que la démarche n'est pas facile après des années de divisions et dans un contexte régional tendu et explosif, mais les bonnes volontés existent et les Libanais qui ont longtemps attendu le déblocage méritent qu'on s'occupe enfin de leurs problèmes.
Lire aussi
Les voraces et les coriaces, l'impression de Fifi ABOU DIB
La présidence de Aoun entre le tandem chiite et le binôme FL-Futur
Berry ferait monter les enchères à la demande du Hezbollah pour monter Hariri contre Aoun
Les évêques maronites impatients de voir formé « un gouvernement compétent »
Avec 86 voix, Hariri « remporte » les consultations parlementaires dès le premier jour
commentaires (5)
"Aoun va rencontrer dimanche ses partisans à Baabda."(L'Orient-Le Jour à 17.35). Lorsqu'on a été élu dans les conditions que l'on sait et sous la contrainte "Ou Aoun ou personne" qui a paralysé un pays durant deux ans et demi, on doit avoir un bout de pudeur et ne pas pavoiser ni de recevoir des applaudisseurs...
Un Libanais
18 h 05, le 03 novembre 2016