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Culture - Exposition

Quand Hassan Khan tire le portrait... du portrait

Une photo de femme collée sur l'un des carreaux de la porte vitrée du Beirut Art Center renvoie directement à l'intitulé de l'exposition qui y est programmée : « The portrait is an address »* est un questionnement sur le portrait dans tous ses états, sous toutes ses formes et ses expressions, à travers diverses œuvres de l'artiste égyptien Hassan Khan.

Autoportrait par délégation. Photos Hassan Khan

Le portrait n'est pas seulement pictural ou photographique. Il n'est pas nécessairement posé. Il peut aussi être le fruit d'une suite de moments filmés, une attitude inconsciente dérobée par la caméra, une voix enregistrée, un texte choisi ou simplement le regard de l'observateur. Le spectre est large...

Si se faire tirer le portrait est une manière de se rassurer sur soi-même, l'acte est aussi chargé d'inquiétudes latentes, puisqu'il renvoie à la construction de soi. Quel discours adresse-t-on à travers le portrait ? Y a-t-il une certaine convergence entre la représentation que l'on se fait de sa propre personne et celle que nous renvoyons aux autres ?

C'est un questionnement sur le sens du portrait, de l'autoportrait, de l'image que l'on perçoit et de celle que l'on projette que propose l'exposition. Laquelle déploie des pièces non seulement picturales et photographiques, mais aussi visuelles, sonores, vocales, narratives ou encore illustratives... Un ensemble d'œuvres puisées de précédents travaux échelonnés sur une quinzaine d'années de ce plasticien, vidéaste, musicien et écrivain égyptien reconnu. Et qui, regroupées pour la première fois ensemble, traitent des rapports complexes entre la visibilité et la vérité d'un être, l'individualité et l'identification, la confrontation entre perception de l'image et projection imaginaire.

« Technicolor Moubarak »

«Pour cette première exposition individuelle à Beyrouth de Hassan Khan, nous avons voulu explorer un aspect central de sa pratique artistique, l'art du portrait dans son sens élargi», signale Marie Muraciole, directrice du Beirut Art Center et curatrice de The portrait is an adress. «En mettant en relation des pièces qui n'avaient jamais été présentées ensemble, en les confrontant à la notion de genre, en l'occurrence celle du portrait, et en les réexposant dans une configuration nouvelle, c'est une relecture différente du travail de cet artiste qui s'offre aux visiteurs.»

Le parcours débute par une salle où 4 écrans de différentes dimensions et dispositions dans l'espace déroulent des vidéos portraiturant au moyen d'approches variées des personnes proches ou étrangères à l'artiste. Cartographie intérieure d'une amie de longue date qu'il filme chez elle en un seul après-midi, à la suite d'un travail de préparation étalé sur une dizaine de jours; portraits silencieux de deux parfaits inconnus sur lesquels il braque sa caméra en tournoyant autour de chacun d'eux dans une sorte de huis clos parfaitement vide, pour capter avec une acuité nouvelle les expressions de leurs regards et de leur souffle; portrait muet également, réalisé en images mouvantes, d'un ami qui, lèvres closes, répond intérieurement aux questions qu'il lui adresse en le filmant, etc. Ou encore, dans Technicolor Moubarak, récupération d'un extrait d'interview télévisuelle de l'ancien président égyptien répondant à son interlocuteur assis à côté de son portrait, ce qui donne l'impression qu'il s'adresse à lui-même. Ultime signe de vanité d'un parfait autocrate...

15 ans/17 ans

D'une salle à l'autre, les œuvres se suivent sans se ressembler. Un peu plus loin, une figure de femme se détache d'un pan de mur entièrement repeint en rouge. Il s'agit de la mère de Hassan Khan qu'il avait photographiée avec la caméra de son téléphone portable. La posture de la tête, le regard et même l'encadrement formé par ce mur en couleur renvoient aux portraits peints de la période classique... mais aussi à un autre portrait, celui d'un jeune garçon occupant le centre d'un autre pan de mur repeint en jaune vif, cette fois. Autoportrait par délégation de l'artiste, qui a demandé à son jeune modèle de reproduire fidèlement l'attitude et les gestes qu'il lui indiquait de faire.

Art fluctuant du portrait dans une double vidéo mettant en parallèle deux séquences montrant l'artiste à 15 ans répondant sentencieusement à une interview, puis à 17 ans en musicien évoluant sur une scène underground.

Parmi les autres approches et les autres formes de portraits: la représentation purement narrative et textuelle (imprimée en caractères stylisés sur vinyle transparent) d'un homme d'affaires égyptien assis dans son bureau surplombant le Nil, éloquemment révélatrice du personnage. Mais aussi vocale, se diffusant entre les nappes d'une musique que l'artiste musicien avait composée et jouée en concert dans le cadre de la biennale de Belleville en 2013.

Onze propositions

De la personnification animale caricaturale, à travers six dessins d'un même cochon ébrouant ses trois gouttes de sueur, pour aborder «la question de l'apparence et du sens de l'attitude», ou encore des portraits introspectifs «insécurisants» vers lesquels il entraîne les visiteurs, en leur alignant un choix de 11 propositions, directement imprimées en petits caractères sur un mur, pour les amener à s'interroger sur eux-mêmes. À fouiller la construction qu'ils ont de soi, à travers des injonctions comme: «Regardez-vous dans un miroir et essayez de vous voir comme une personne que vous rencontrez pour la première fois»; «Interrogez-vous sur ce que vous désirez vraiment de la personne qui vous est la plus proche» ou encore «murmurez votre nom inlassablement jusqu'à en perdre tout sens». Procédé qui ne manque pas de déstabiliser. Surtout lorsqu'il est accompagné d'une musique percussive et répétitive, qui nappe d'une atmosphère de bruitage hypnotique et légèrement anxiogène cette exposition. À découvrir jusqu'au 6 novembre.

Carte de visite

Né en 1975, Hassan Khan est basé au Caire. Artiste contemporain touche-à-tout, l'ensemble de son travail « a toujours été mû par la recherche de quelque chose qui n'est pas définissable », confiait-il au cours d'une récente interview. Quelque chose qui est de l'ordre de la relation à l'autre, d'une interrogation perpétuelle sur le sens du monde contemporain.
Artiste multidisciplinaire, il nourrit sa pratique artistique de la culture populaire égyptienne comme de ses expériences personnelles, ses observations, ses souvenirs et rêveries de jeunesse. Il a aussi des liens assez forts avec Beyrouth (il y a donné un concert en août dernier dans les jardins du palais Sursock, a exposé à plusieurs reprises et travaillé avec Akram Zaatari notamment). Sa musique mêle étroitement composition et performance, références au minimalisme et new wave chaabi égyptien. Son travail a été présenté, entre autres, au Guggenheim Museum de New York, à la biennale de Charjah en 2015, au Salt d'Istanbul et à la documenta de Kassel en 2012, ainsi qu'à l'auditorium du Louvre en 2012... de même qu'au cours d'expositions individuelles à Londres (Gasworks Gallery) et à Paris (galerie Chantal Crousel).


Pour mémoire

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Hassan Khan décortique les codes sociaux

Le portrait n'est pas seulement pictural ou photographique. Il n'est pas nécessairement posé. Il peut aussi être le fruit d'une suite de moments filmés, une attitude inconsciente dérobée par la caméra, une voix enregistrée, un texte choisi ou simplement le regard de l'observateur. Le spectre est large...Si se faire tirer le portrait est une manière de se rassurer sur soi-même, l'acte...

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