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Lifestyle - Photo-roman

Le fervent destin de sœur Marie-Madeleine

Chaque samedi, « L'Orient-Le Jour » vous raconte une histoire dont le point de départ sera une photo. C'est un peu cela, un photo-roman : à partir de l'image, shootée par un photographe, on imaginera un minipan de roman, un conte... de fées ou de sorcières, c'est selon...

Photo G.K.

Sa vie, c'est quoi ? Un roman d'hier, la romance d'un univers où les femmes brûlées vives sur le brasier de la démesure aimantaient les fantasmes, le roman d'un univers où l'ont pliait le roseau devant des « femmes troncs », la romance d'un monde où les vices privés deviennent des vertus publiques et où l'encre des stigmates de l'enfance esquisse les contes les plus fantasques. L'histoire de Madeleine, depuis les tréfonds de son village de Deir el-Ahmar, c'est tout ça à la fois : une vie de ruptures et d'aventures, d'amours, de débauche et de nuit fauves, de coups de foudre et de coups de sang.

Au petit matin
Aînée d'une fratrie de six dont la mère s'était éteinte alors qu'elle mettait au monde son benjamin, Madeleine n'avait jamais eu son âge. N'avait jamais eu d'âge du tout. Elle était d'une beauté lunaire renversante et avait les attaches très fines, comme on écrivait chez Balzac. Mais tant qu'elle faisait silence, on la voyait plutôt en héroïne d'un bovarysme libanais, chair décharnée, rêveuse massacrée, Jeanne d'Arc à lance brisée. Jamais scolarisée, elle endossait tour à tour le rôle de la maman, de la bonne, de la cuisinière et même, souvent, celui d'un cavalier fougueux quand il s'agissait de protéger ses frères et sœurs des foudres d'un père alcoolique. Un soir, les éclats d'une bouteille en colère lui avaient fêlé la bouche tracée au pinceau à poil. S'y était alors dessinée une cicatrice en croix, ou peut-être l'avait-t-elle inventée, comme la prédestination à un refus de se plier aux diktats de sa société conservatrice qui jurait avec un féminisme agenouillé. Au petit matin, Madeleine avait choisi de partir. Elle avait marché longtemps depuis Deir el-Ahmar, donnant le bras à son courage, balançant l'anse de ses aventures au bras d'une besace élimée.

« She's mad, Mado ! »
Sur les chemins du risque-tout, elle avait croisé un homme dont elle avait cambriolé le regard. Il l'avait logée chez lui et, en échange, il la jetait dans les bras d'autres messieurs pour une poignée d'argent. Étrangement, elle s'en réjouissait (presque) et revendiquait même ses visites dans les quartiers exagérés de Beyrouth, en l'occurrence celui de Zeitouné, qui pullulait à l'époque de maisons closes et bars à Belles de nuit. Madeleine avait pris goût à tout cela, les dés du hasard, les salles de jeux et les chambres en velours rugissant. Derrière des lunettes de soleil qui voilaient son regard rouge brodé d'insomnies et de nuits blanches, elle se faisait désormais appeler Mado. Une Mado qui voulait baiser comme les traders qui misaient sur ses courbes à rentabilité maximale, boire comme les marins qu'elle domptait tels des bateaux ivres et faire claquer les briquets comme les bourgeois qu'elle rejoignait dans des bars à cigares embués. Les voyageurs de passage se passaient le mot et la recherchaient comme d'autres visitent un site préservé du patrimoine national. À l'aube, extatiques et époumonés, ils s'écriaient : « She's Mad, Mado ! » avant que ne s'éclipse sa silhouette de cigogne toujours sur le point du nid, mais seulement après avoir mis le feu aux brindilles.

Figues dévorées
De bourreau en bourreau, son mec-mac ne se faisait pas à l'idée que sa propre création se rebelle contre lui, que l'élève indocile dépasse le maître. Un jour, « Je fais ce qui me plaît ! » avait entraîné une gifle, puis des raclées à la ceinture. Mado, comme on tire l'épée contre son geôlier, s'était emparée de l'objet le plus proche : une statuette de la Vierge. Un coup sur le crâne de l'homme qui était aussitôt tombé en pâmoison, alors que la figurine était restée de marbre. Tel un signe de l'au-delà, Mado s'était cramponnée à la sécurité silencieuse de sa Vierge Marie et avait accouru avec jusqu'à l'église du coin. La mère supérieure l'avait accueillie puis transférée dans un couvent de Machmouché. Ainsi, la putain descendue en flammes émergea en fleur bleue plutôt que Fleur de Pavé, ne se souciant plus de rien sinon de cet appel de Dieu, même pas du duvet intempestif qui lui avait poussé au-dessus de sa cicatrice en croix.

Depuis son entrée au couvent, elle a mis sa libido sous séquestre et a greffé un Marie à son nom de religieuse pour s'imaginer une parenté avec les cieux. Elle y meuble ses journées en ratissant les feuilles mortes de ses remords oubliés et plante aussi les graines de la gratitude dans un potager où les fruits et légumes en profusion lui rappellent ceux des hôtels où elle avait l'habitude d'officier. Au chaque mois de mai, en baragouinant un Ave Maria de sa voix aux débris de nuits souillées, elle choie et rafistole sa figurine de la chance comme elle fardait son visage époque Mado. Une ère dont elle a épongé tous les vices, sauf peut-être le péché mignon de voler les figues du jardin des voisins. Les dévorer avec la réminiscence de ses canines d'ex-croqueuse d'hommes. Ensuite, aller recueillir sa désobéissance aux pieds de sa petite statuette. Laquelle lui esquisse un sourire à tous les coups.

 

Chaque samedi, « L'Orient-Le Jour » vous raconte une histoire dont le point de départ sera une photo. C'est un peu cela, un photo-roman : à partir de l'image, shootée par un photographe, on imaginera un minipan de roman, un conte... de fées ou de sorcières, c'est selon...

 

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