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Liban

« Reconstruire le jour d’après », vaste débat au BIEL, initié par la Fondation Samir Kassir

De gauche à droite : Riccardo Bocco, Barrie Freeman, Serge Yazigi, Bernard Khoury et la journaliste Gisèle Khoury, présidente de la Fondation Samir Kassir et modératrice du débat.Photo Firas Talhouk

Reconstruire le Liban après ses guerres c’est d’abord le cerner à l’heure présente. Ou, en d’autres termes, c’est saisir l’identité libanaise dans les traces ténébreuses d’une guerre refoulée, dans les traumatismes faussement anesthésiés dans le mutisme de l’histoire, et dans la réinvention quotidienne de motifs de bonheur, par des vies individuelles qui ne savent pas si elles seront là demain, ni s’il existe un État ni si la guerre est révolue. La reconstruction du Liban est d’autant plus ardue qu’elle devra d’abord réguler ce chaos identitaire et existentiel. Il ne s’agit pas seulement d’initier un travail de mémoire, mais de placer l’individu comme moteur de la réconciliation, celle-ci étant l’harmonisation de souffrances et d’espérances plurielles, parfois contradictoires, mais toutes humaines.
C’est cette approche synthétique de la reconstruction qu’a préconisée hier la Fondation Samir Kassir à travers la table ronde qu’elle a organisée dans le cadre de sa participation au Salon du livre. « (Re)construire le jour d’après », un thème exploité sous plusieurs angles : la recomposition des multiples mémoires qui tracent l’histoire, mais aussi le relèvement solide des institutions, la réappropriation de l’espace public et l’expression de l’après-guerre dans l’esthétique d’une architecture en mouvance.


Parmi les intervenants, l’architecte Bernard Khoury a présenté l’art comme une dynamique ininterrompue dans une ville sans reconstruction ; un mouvement qu’impose l’absence de repères ; une création de désordre pour mimer l’évolution, et au final, la redéfinir.
« La politique n’est pas dans les projets sérieux. Elle est faite dans les questions extrêmement puissantes et explosives, là où, faute de régulations, on n’est pas redevable en politique », déclare Bernard Khoury. Il s’est construit cette perspective vers le milieu des années 90, lorsqu’il a compris que « Beyrouth ne se reconstruisait pas ». Le jeune architecte avait alors décidé d’abandonner « une naïveté » qu’il avait pourtant laissé s’exprimer dans le premier projet qu’il avait élaboré dans l’après-guerre, baptisé « Les cicatrices évolutives ».

 « Traîner dans la boue »
Ce mécanisme imaginé de « reconstitution de la ruine » se fondait sur le principe de « proportionnalité entre l’intensité de démolition et de désintégration d’une part et le volume de la mémoire qui se remplit ». Représentation pertinente de l’évolution parallèle entre mémoire assainie et architecture remaniée, qui n’a pas tardé à prouver son irréalisme pour le jeune architecte, que « la nuit a fini par récupérer ». S’investissant dans « le vulgaire, l’industrie du superficiel et de la débauche », il a choisi comme repère La Quarantaine pour y aménager une boîte de nuit, devenue symbolique des battements engouffrés d’une ville répudiée, mais qui (se) bat. Il fait remarquer en outre que « La Quarantaine ne s’est géographiquement pas cicatrisée et représente un trou noir sur la carte, contourné par la ville dans son expansion vers le Nord ». « Ce point contient un dépotoir de déchets, une tannerie et des abattoirs. Tout ce qui pue », ajoute-t-il. Mais le choix devrait être justement de « traîner dans la boue », là où les idées ont une chance d’être pertinentes. Dans cette « boue », la réhabilitation des anciennes demeures n’a plus aucun intérêt, mais « leur monumentalisation devient poésie de la décomposition », presque un lyrisme d’une ville aux multiples figures. « Beyrouth mange dans le ciel, Beyrouth est superficielle, Beyrouth danse...Il faut comprendre que cela aussi est Beyrouth », a-t-il conclu.
Cette approche aurait été perçue comme « anarchique et marginale si l’on ne vivait pas dans l’ambiguïté libanaise », comme l’a fait remarquer dans l’audience Lina Comaty, doctorante et responsable des relations internationales au Renouveau démocratique (jeunesse). Mais cette méthode, dans un pays où les solutions consensuelles sont inodores, permettrait peut-être de franchir un pas déterminant dans l’abattement des tabous et la confrontation des vérités.

Neutralisation de l’espace public
Or pour l’instant, même « la réappropriation de l’espace public s’est faite sur la base de l’exclusion de l’autre », a fait remarquer dans son intervention l’architecte urbaniste Serge Yazigi, rappelant que « l’urbanisme est un acte politique fondamental ». La politique de l’après-guerre paraît être celle du déni : « Le centre-ville a été neutralisé, au lieu d’être réhabilité en espace de foisonnement et de rencontres d’identités, et sa reconstruction a été accordée en priorité au secteur privé, alors que l’État doit être le médiateur de ces rencontres. »


S’attardant dans ce cadre sur la reconstruction des institutions, Barrie Freeman, directrice du National Democratic Institute (NDI) pour l’Afrique du Nord, a insisté sur trois outils de ce développement : « L’inclusion des citoyens dans le débat ; la transparence ; la responsabilité et le sentiment que justice sera faite. Il est essentiel que les citoyens ressentent une amélioration de leur vie quotidienne dans la phase post-conflit, puisque ce sont les frustrations socio-économiques et non les impératifs politiques qui stimulent au final les combats. »


« Je ne connais pas d’États qui ont pu conduire un processus de réconciliation le jour d’après. Seul un processus à long terme peut réussir », a précisé Riccardo Bocco, professeur d’anthropologie politique à l’Institut des hautes études internationales de Genève. Passant en revue les modèles de justice transitionnelle en Afrique du Sud et sa reproduction parcellaire par le Maroc, il s’est attardé sur le travail de la mémoire en Argentine, activé par la société civile, notamment les cinéastes. « Il n’existe pas de recette sur un modèle exportable », a-t-il conclu.

Reconstruire le Liban après ses guerres c’est d’abord le cerner à l’heure présente. Ou, en d’autres termes, c’est saisir l’identité libanaise dans les traces ténébreuses d’une guerre refoulée, dans les traumatismes faussement anesthésiés dans le mutisme de l’histoire, et dans la réinvention quotidienne de motifs de bonheur, par des vies individuelles qui ne savent pas si...
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