Rechercher
Rechercher

Liban

Le parcours de Fouad Chéhab revisité à travers la biographie établie par un universitaire français

Le président Chéhab entouré des leaders du pays.

Pour la commémoration du décès du président Fouad Chéhab, le 25 avril 1973, la Fondation Fouad Chéhab a organisé cette année, à la salle des congrès du palais de l’Unesco, une conférence à plusieurs voix et une exposition de livres consacrées à celui qui est considéré comme le père de l’État moderne libanais et de l’armée nationale. Plusieurs personnalités politiques, d’anciens grands commis de l’État et officiers supérieurs qui ont côtoyé de près l’ancien chef de l’État et qui ont eu l’occasion de travailler à ses côtés avaient fait le déplacement en hommage à celui qui a tenté, au début des années 60 du siècle dernier, de jeter les bases d’un État moderne au Liban, mais qui a buté dans son entreprise sur les réalités sociopolitiques et anthropologiques du pays.
Parmi les intervenants de la conférence de l’Unesco figurait un universitaire et chercheur français qui n’a pas connu Fouad Chéhab mais qui, au détour de ses travaux universitaires, l’a découvert, a appris à l’apprécier et à évaluer à sa juste valeur son parcours et son apport dans l’édification du Liban moderne. Stéphane Malsagne a été amené par un concours de circonstances à se lancer, dans les années 90, dans une recherche universitaire sur Fouad Chéhab, dans le cadre d’un projet de troisième cycle en histoire à l’université Paris-Sorbonne. Se basant principalement sur les archives, alors inexploitées, de la célèbre mission française Irfed du père dominicain français Louis-Joseph Lebret, collaborateur et ami du général Chéhab, Stéphane Malsagne a d’abord rédigé en 1992 une maîtrise sur le chéhabisme, puis en 1997 un DEA sur les réformes économiques au Liban entre 1959 et 1964 (le mandat du président Chehab). Il a par la suite soutenu en 2008, à la Sorbonne, une thèse de doctorat en histoire ayant pour sujet : « Fouad Chéhab (1902-1973) : contribution à l’étude d’une figure historique majeure du Liban contemporain ». La mission Irfed à la base de ces travaux avait été chargée, rappelle-t-on, par le président Chehab d’effectuer une étude exhaustive de la situation socio-économique du pays (dans les années 60) et de proposer un plan de développement global et intégré du Liban.
Comme aboutissement de son travail de recherche, Stéphane Malsagne a publié une biographie de Fouad Chéhab qui est une version remaniée et simplifiée de sa thèse de doctorat. C’est cet ouvrage biographique qu’il a exposé lors de son intervention au palais de l’Unesco. Devant un large auditoire, il a d’abord relevé que l’idée initiale de la biographie est, à partir des archives disponibles, de « prendre le personnage de Fouad Chéhab comme objet historique pour revisiter l’histoire du Liban contemporain sur la longue durée : de la fin de l’époque ottomane (ses années de jeunesse et de formation), jusqu’à la période la plus contemporaine, au cours de laquelle l’usage public et politique de sa mémoire reste particulièrement actif ».
« Cette biographie ne cherche pas uniquement à présenter la vie et la carrière d’un homme illustre, a souligné Stéphane Malsagne dans son intervention. L’objectif est aussi à travers lui d’insister sur les grandes problématiques de l’histoire du Liban contemporain, comme celle des rapports entre armée et politique, celle de la réforme de l’État, du renouvellement des élites, du développement économique et social, la question du respect des institutions et celle du vivre ensemble dans une société complexe marquée par le poids du clientélisme et du confessionnalisme politique. Il faut y ajouter les aspects de politique étrangère du Liban comme le rapport du pays à son environnement arabe ou à l’Occident, en passant par la gestion de la question palestinienne. L’ensemble de ces problématiques croisées dont Fouad Chéhab a souvent été le pivot, voire l’initiateur, participent à la nécessité de ce que j’ai appelé dans mon introduction : “penser Fouad Chéhab”. “Penser Fouad Chéhab”, c’est en effet penser le fonctionnement global de l’État libanais depuis l’indépendance, tant les enjeux associés au général sont complexes et même encore aujourd’hui d’une grande actualité. »

Francophile, admirateur du général de Gaulle
« Cette biographie se veut d’abord une contribution à l’histoire du Liban contemporain, ajoute Stéphane Malsagne. Au-delà des simples précisions d’ordre chronologique, le livre prétend redonner à Fouad Chéhab toute son importance dans l’histoire nationale libanaise, et ce sur une période beaucoup plus large que le mandat présidentiel que les générations actuelles tendent souvent à retenir exclusivement (et encore de façon très lacunaire). C’est parce que le général Chéhab a occupé des fonctions stratégiques majeures, à la fois militaires et civiles, au sein de l’État postmandataire, qu’une connaissance approfondie de son parcours permet incontestablement d’enrichir l’histoire nationale. Très peu en effet de personnalités libanaises appelées communément “pères de l’indépendance” peuvent se targuer d’avoir occupé comme lui après la fin du mandat et de manière continue un si haut niveau de responsabilités à la tête de l’État. La spécificité de notre personnage vient précisément du fait qu’il est le premier commandant en chef de l’armée libanais à accéder à la fonction présidentielle en 1958. »
Et de poursuivre : « Si Fouad Chéhab s’est vu reconnaître tardivement le statut de “père de l’Indépendance”, il s’agissait encore de le démontrer précisément à l’appui des archives nouvelles. N’est-ce pas d’ailleurs en acteur de l’indépendance, aux côtés des figures politiques libanaises les plus illustres de son époque (comme Béchara el-Khoury ou Riad el-Solh), que Fouad Chéhab apparaît aussi aujourd’hui dans les manuels scolaires ? Cette dimension du général devait ainsi trouver une forme de réhabilitation dans un projet biographique sérieux. Par son intermédiaire, l’histoire du mandat français au Liban est enrichie par le parcours détaillé d’un homme profondément francophile, admirateur du général de Gaulle et dont les qualités morales et intellectuelles furent très tôt et unanimement reconnues par la hiérarchie militaire. Son ascension brillante au sein de l’armée dans l’entre-deux-guerres illustre parfaitement le processus complexe de transition institutionnelle entre la période mandataire et le nouvel État libanais indépendant et souverain. Je ne résiste pas d’ailleurs à citer ici la formule prémonitoire du général Barbe qui, dès 1939, écrivait à sa hiérarchie que Fouad Chéhab serait probablement une future “tête de file” au Liban. Nous sommes 17 ans avant l’élection de juillet 1958. Il nous semble d’autre part incontestable de rappeler que cette période mandataire du général constitue les origines lointaines de ce qu’il sera convenu d’appeler plus tard le chéhabisme, entendu comme nouveau style de gouvernement et politique de développement économique et social tournée en grande partie vers les périphéries musulmanes du pays. C’est en effet comme jeune officier et dès l’entre-deux-guerres que Fouad Chéhab prend conscience très tôt du problème social au Liban. Ce livre tente de le rappeler avec force. »

La politique étrangère
Au plan de la politique étrangère, notamment sous l’angle du contexte régional de l’époque, Stéphane Malsagne souligne que « la présidence de Fouad Chéhab ne fut pas celle d’un simple spectateur de la scène proche-orientale, mais aussi celle d’un acteur actif ». « Il en va ainsi de sa politique étrangère subtile qui, sous le couvert d’un rapprochement avec son environnement arabe symbolisé par la rencontrer avec Nasser en 1959, n’en cache pas moins une orientation occidentale fondamentale et une volonté indéfectible de préserver l’intégrité et l’indépendance du Liban, souligne-t-il. Il faut aussi accorder toute sa place à sa fonction de médiateur dans la guerre froide arabe sans pour autant surévaluer son influence effective sur la scène régionale. D’une manière plus générale, on ne saurait trop insister sur cette clé essentielle de compréhension de Fouad Chéhab qui réside dans un anticommunisme revendiqué et la méfiance constante à l’égard du voisin syrien et des projets panarabistes visant à absorber l’entité libanaise. Cette méfiance l’entraîne non seulement à pratiquer pendant sa présidence un jeu d’équilibre permanent en politique intérieure et étrangère afin de ménager les susceptibilités communautaires et réduire les forces centrifuges, mais aussi à adopter une attitude modérée à l’égard de l’État d’Israël sous le couvert d’une solidarité arabe. »
Près de quarante ans après la disparition de Fouad Chéhab, la ligne de conduite de l’ancien chef d’État s’avère aujourd’hui, tant sur le plan interne qu’externe, plus que jamais d’actualité. Et quelque peu prémonitoire.
Pour la commémoration du décès du président Fouad Chéhab, le 25 avril 1973, la Fondation Fouad Chéhab a organisé cette année, à la salle des congrès du palais de l’Unesco, une conférence à plusieurs voix et une exposition de livres consacrées à celui qui est considéré comme le père de l’État moderne libanais et de l’armée nationale. Plusieurs personnalités politiques,...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut