Que des porte-parole plus ou moins zélés fassent état de petits progrès dans l’application du plan Annan en Syrie n’a rien d’étonnant : ils sont payés pour – surtout qu’ils ne peuvent pas être partout en même temps, les observateurs du bon général Mood, pétris de bonne foi, certes, mais qui n’en finissent plus, à force de se contenter d’observer, de prouver leur tragique et absolue inutilité. Les chiffres sont impitoyables : depuis qu’ils sont en poste, le nombre de Syriens assassinés, souvent à bout portant en pleine manif, est effarant.
La question n’en finit pas, elle non plus, d’être posée, reposée, retournée dans tous les sens : faut-il armer l’opposition syrienne ; faut-il accélérer en en décuplant les ravages cette guerre civile qui ne dit pas son nom, cette libanisation de plus en plus inéluctable (les pieds de nez de l’histoire sont souvent redoutables...) ; faut-il laisser, d’un autre côté, femmes, enfants, adolescents se faire littéralement exterminer, arriver aux 15 000 morts dans un ou deux mois ? Cela fait bien longtemps que pour telle ou telle raison, l’Arabie saoudite et le Qatar ont répondu oui, à très haute voix, à l’armement. Les Occidentaux n’ont rien dit / (concrètement) fait : jusqu’à quand ? Non catégorique, en revanche, pour, entre autres, l’Iran, la Russie ou la Chine – laquelle, bizarrement, ne ressent aucun état d’âme lorsqu’elle assène, par la voix de son ambassadeur à Beyrouth Wu Zexian, que la vente d’armes au Hezbollah est une affaire commerciale, pas une violation des lois internationales. L’État libanais a une sacrée résilience : lorsqu’on lui crache au visage, il est convaincu qu’il pleut (à torrents).
Pas toujours, pourtant. Cette semaine, le juge d’instruction près le tribunal militaire, le brave Sakr Sakr, a accusé 21 personnes, dans le cadre de l’affaire du bateau Lutfallah II, d’avoir acheté, empaqueté et transporté de grandes quantités d’armes et de munitions de Tripoli, en Libye, jusqu’au Liban dans le but de perpétrer des actes de sabotage. À la bonne heure! Dans l’exercice stupide de leur outrancière politique de mise à l’écart, de non-assistance délibérée à un peuple et à des communautés décimés jour après jour (le pardon du Liban aux Syriens sera bien plus retentissant que celui, aux Libanais, d’une Syrie qui avait pour excuse d’être sous les bottes du gang Assad – à moins de se consoler en répétant que ce même Liban est écrasé sous les rangers des miliciens du Hezbollah...), les autorités libanaises rappellent à tous la vastitude de leur insensée, leur pathétique schizophrénie.
Même si cent et une interrogations demeurent furieusement opaques (l’envoi du Lutfallah II de Libye en Syrie via les ports égyptien et libanais d’Alexandrie et de Tripoli a-t-il été décidé et organisé par la communauté internationale ?), tout le monde aurait applaudi le refus de Beyrouth d’empêcher la moindre contrebande ou la moindre atteinte à sa souveraineté territoriale s’il n’y avait pas cette absolue lâcheté face au Hezbollah, face à ces infinis trafics d’armes en tous genres, ces camions timidement, presque honteusement arrêtés dans les virages de Dahr el-Baïdar ou ailleurs, puis rendus, avec mille excuses, à leurs destinataires – l’État et l’armée jurant leurs grands dieux, bien sûr, qu’il pleuvait...
Le premier vice-président iranien, Mohammad Reda Rahimi, qui s’est longuement arrêté à Beyrouth cette semaine, n’a pas manqué d’évoquer tout cela, surtout avec Hassan Nasrallah. Si seulement il s’était arrêté là : le projet d’accord de coopération sur l’enseignement scolaire avec l’Iran qui devrait être étudié et avalisé prochainement au cours d’une réunion d’une délégation iranienne au Liban figurait certainement au cœur des discussions de l’envoyé des ayatollahs.
Le seul problème : ce sujet est aussi grave, aussi délétère, au moins, que ces armes qui pullulent aux mains des milices. Mais de cela, tout le monde se moque. À commencer par l’hypersilencieux Hassan Diab. Le fantomatique ministre de l’Éducation nationale.
commentaires (7)
L’affaire du Tintarallah est un scandale. Il faut tout de suite embastiller ces marins qui véhiculent des armes dans le mauvais sens. Il suffit d’ouvrir un manuel d’Histoire pour comprendre que le flot naturel des armes est du Nord vers le Sud. L’inverser reviendrait à mettre en danger l’écosystème de la planète.
Jack Hakim
11 h 09, le 05 mai 2012