Baby alone in Babylone. Année après année.
Dans ce Liban-Babel où treize langues à la douzaine se superposent dans une même rue et où l’anglo-saxon, même au cœur des strates les plus antiaméricaines, domine de toutes ses largeurs : linguistique, sociétale, culturelle, etc, la francophonie est de moins en moins sexy. Les apparences sont peut-être encore légèrement sauves, la vitrine pas encore défraîchie, les chiffres restent plutôt rassurants, il n’empêche : la réalité est triste. Fondamentalement. La décadence, parfois, a quelque chose de terriblement attirant. Ou de troublant, comme les fins de races. Mais là, c’est presque pathétique : la francophonie en général et son véhicule linguistique en particulier sont souvent, bien trop souvent, moqués, snobés, juste tolérés, avec cette courtoise (mais pas trop) impatience réservée aux malvoyants, aux malentendants, aux gens un peu lents, aux excentriques et aux farfelus, aux marginaux, aux bizarreries de ce monde ; bref, à l’autre. Et l’autre, on le sait, plaît de moins en moins au Liban.
Bien sûr, la petite mère France n’est pas en cause : la grande majorité des Libanais la regarde encore comme une sainte Rita toujours là aux moments impossibles à gérer, toujours prête à les aider même quand ce sont eux qui offrent la corde qui les pendrait. Bien sûr, les livres en français continuent de s’écrire, quelle que soit leur qualité, et de se vendre ; les spectacles d’assurer un minimum honorable d’audience. Bien sûr, les universités, mais surtout les écoles où le français est roi sont toujours réclamées, espérées, draguées ; sauf que la proportion de jeunes qui quittent ces collèges et ces lycées en baragouinant à peine la langue ou en l’oubliant définitivement une fois entrés dans les facultés est ahurissante. C’est là qu’est le véritable cauchemar : la francophonie vieillit horriblement vite puis meurt à peine l’adolescence terminée. À peine éclose, elle disparaît. Et au Liban, cet assassinat, ou ce suicide, c’est selon, ne dérange personne. Même (plus) les francophones.
En réalité, c’est un massacre. La francophonie et son véhicule linguistique sont aujourd’hui furieusement urgents. Pour la simple raison qu’ils sont un ciment. Qu’indépendamment des politiques de chacun de leurs pays moteurs, ils construisent des ponts à l’heure où beaucoup trop d’acteurs-décideurs tiennent à les dynamiter. Pour la simple raison qu’ils restent une façon de voir et de concevoir la vie à 7 milliards de petits d’hommes encore basée sur des concepts que les Arabes en leur printemps (éphémère, durable, pérenne, peu importe...) ont ressuscités et magnifiés : liberté, égalité, fraternité, démocratie, justice, droit, loi, etc. Urgents parce qu’immémoriaux et immarcescibles.
Au Liban, cette francophonie et son véhicule linguistique ont une nature et un impératif autrement plus cruciaux : à l’heure où le Hezbollah, le CPL et les prosyriens rabâchent heure par heure, forts de l’arsenal illégal et désormais illégitime de leurs milices, l’intouchabilité d’une résistance qu’ils ont décidé de monopoliser et de diriger à l’aveugle contre tout ce qui ne leur convient pas ou qui ne fait pas les affaires de l’axe syro-iranien (l’État, l’égalité, la démocratie, le droit, la loi, la justice, l’ONU, Israël, les États-Unis, la communauté internationale, etc.), cette francophonie devient la contre-résistance ultime, idéale, presque unique. Pas seulement culturelle, loin de là : populaire, sociale, sociétale, économique aussi, et surtout politique.
En attendant des gouvernements à la hauteur de ce défi, parce que jamais la francophonie ne pourrait redevenir bandante, donc efficace, sans une véritable politique étatique, aussi impliqués que soient certains pans de la société civile et aussi résistante que soit une partie des Libanais, le Salon du livre francophone de Beyrouth ouvre ses portes. Même si, malgré les efforts parfois surhumains des uns et des autres, il est éminemment provincial, il n’en reste pas moins diablement nécessaire – un événement parmi cent autres, tout aussi indispensables, naturellement.
Et plus il est fréquenté, plus il le sera. Nécessaire.
commentaires (16)
André Jabbour, l'Astrophysicien, poète à ses heures creuses a quand même un lobe et il l'utilise. Mon commentaire sur l'anglophonie et quand est-ce qu'elle a commencé au Liban, vous a fait me traiter de fou, à moins, je le répète, que vous ayez oublié votre langue maternelle. Si vous m'auriez dit que vous ne saviez pas le sens en arabe, j'aurai accepté l'explication. Quand à parler de la Haine que vous portez à la famille Hariri, et l'Amour au GMA, sont des éloges, à ce que je sache, pour vous. Alors mon 1er commentaire n'avait pas franchi les frontières de la décence. Le vôtre l'avait fait. Je m'arrête là. Tirez vous même la conclusion... Anastase Tsiris
Anastase Tsiris
11 h 58, le 30 octobre 2011