« Fragments » de vie et d’époque dans les œuvres de Leila Jabre Jureidini...

Sculptures cubiques en bronze... trouées de piercings, incisées et recousues au moyen de fils d’acier ou encore traversées de cadenas et fermetures métalliques; peintures abstraites blanches en matières mixtes traversées de couleurs en «entailles»; compositions en accumulation et recyclage de canettes de soda...
Réunies sous l’intitulé « Fragments », les œuvres que Leila Jabre Jureidini expose à la galerie Janine Rubeiz*, jusqu’au 28 décembre, explorent « les traces d’impacts de vie », au moyen de techniques et de medias différents, parfois même totalement opposés.
Mais toutes empruntent au design du packaging ce qu’il leur faut d’attrait et d’esthétisme pour enrober un discours plus profond, plus intime et surtout plus dénonciateur. Car ce qu’elle présente là, sous forme de sculptures et de peintures, est en réalité une réflexion critique sur le mode de vie actuel !
Graphiste de formation (diplômée de la Parsons School of Design de New York, en 1986), cette artiste a travaillé durant de nombreuses années dans les domaines du design promotionnel et de l’emballage en France et aux États-Unis pour suffisamment s’imprégner de ce vocabulaire de séduction appliqué aux objets. Et pour, paradoxalement, s’en servir dans son travail artistique dont le propos est largement anticonsumériste.
Elle a, par ailleurs, suivi des ateliers de peinture et céramique à Paris ainsi qu’auprès de Nathalie Khayat à Beyrouth, et a participé, depuis 2008, à des expositions collectives, dont celles du musée Sursock qui lui a valu une mention spéciale du jury du Salon d’automne en 2012.

 Meurtrissures intimes et impact consumériste
Divisée en deux parties, l’exposition comprend des peintures minimalistes et des sculptures cubiques reproduisant de manière symbolique les empreintes intimes de la vie sur les êtres, les fêlures des âmes inscrites au plus profond des chairs, les événements traumatisants et émotions violentes qui marquent les individus...
À travers des tracés éruptifs rouges sur les surfaces blanches des toiles, mais surtout dans les distorsions, ruptures, entailles et estampillages des formes cubiques massives façonnées en céramique raku puis coulées en bronze, l’artiste exprime de manière abstraite les traces «concrètes» des épreuves subies au cours d’une vie.
Dans la seconde partie de l’exposition, Leila Jabre Jureidini donne à voir des œuvres plus légères, plus colorées et plus... déjà vues, réalisées à partir de récupération, découpage, compression et accumulation de canettes de boissons gazeuses.
L’artiste – qui a également entrepris des études de sociologie à la Sorbonne – compose ainsi des tableaux illustrant la prédominance consumériste des États-Unis – à l’instar du drapeau US «retissé» en plaques de coca rouges et de Pepsi bleues – ou la domination des célèbres marques de soda symbolisée par de totémiques sculptures en accumulation de canettes.
Ironiques, ludiques, ces créations se veulent aussi allégorie de l’état d’une planète ravagée par les comportements collectifs irresponsables de ses habitants. À l’instar des sculptures en bloc de béton, éloquemment intitulées «Sédimentation», dans lesquelles Leila Jureidini a coulé, voire «fossilisé», des éléments industriels usagés: cartouches, douilles et débris de
canettes...
On l’aura compris, l’artiste «eco-friendly » tire la sonnette d’alarme. En espérant que l’art puisse provoquer une prise de conscience de l’impact négatif sur l’environnement de toute cette gabegie, cette malbouffe et ces excès industriels...
Afin que les tableaux en «Tressage de métal de canettes», qu’on voit parmi les pièces exposées, ne deviennent pas les seules mosaïques du XXIe siècle !

* Galerie Janine Rubeiz, Raouché, immeuble Majdalani, rez-de-chaussée. Horaires d’ouverture : du mardi au vendredi de 10h à 19h, samedi de 10h à 14h. Tél. 01/868290.