Il fallait donc tout le dynamisme, l’acharnement et sans doute aussi l’idéalisme de Josiane Torbey, architecte de formation, professeure à l’ALBA et épouse du président de la municipalité de Sebeel, Habib Torbey, pour vouloir changer les choses, à commencer par les mentalités. D’où l’idée d’ériger une bibliothèque publique.
Premier maillon d’une chaîne d’actions qu’elle met en œuvre avec le soutien actif de son mari pour aider au développement de ce village démuni et offrir une plus grande égalité de chances à ses jeunes habitants, ce projet était pourtant loin de provoquer l’enthousiasme des Sebeeliotes.
«Quand on en a parlé aux gens du village, ceux-ci l’ont complètement rejeté au départ. Ce qu’ils demandaient, eux, à la municipalité, c’est tout simplement de résoudre leurs problèmes de covoisinage et de leur construire des murets le long des routes...» raconte la jeune femme. Qui n’a pas pour autant renoncé à son idée, intimement convaincue du rôle actif du livre et de la culture dans l’évolution d’une société.
Installée dans une charmante ancienne maison de la place du village (louée par la municipalité) et agréablement aménagée par ses bons soins selon les normes requises, avec tout le matériel nécessaire, des rayonnages de livres divers au grand écran de projection, en passant par les ordinateurs... la bibliothèque a ouvert ses portes il y a deux ans. Il a fallu, néanmoins, un travail de longue haleine pour décider les habitants du village à la fréquenter.
Cultiver en divertissant
Car malgré le fonds de 7000 ouvrages trilingues, réunis grâce à diverses contributions (aussi bien celle du ministère de la Culture, qui a appuyé l’ouverture de cette bibliothèque, que celle de l’association Assabil, au réseau duquel elle est affiliée ou encore de donateurs privés...), «on a vite compris qu’il fallait user de méthodes de divertissement pour pousser les gens à en franchir le seuil. On a donc instauré des activités et des concours récompensés de surprises et de cadeaux», indique Josiane. Qui, avec l’aide d’Éliane la bibliothécaire et d’une quinzaine de volontaires, n’a pas ménagé sa peine pour mettre au point des programmes hebdomadaires, voire quotidiens, durant les vacances. Séances de contes en arabe, anglais et français; ciné-club; travaux manuels; chants; jeux éducatifs; accès gratuit à l’Internet ou encore club écolo... Sans compter les événements ponctuels, comme la découverte de la voie lactée au moyen de télescopes et de projection sur grand écran sous la férule d’un astronome, des pièces de théâtre offertes par de jeunes troupes que Josiane sollicite ou encore l’organisation de sorties de groupe incluant des visites de sites historiques (Baalbeck), touristiques (le centre-ville de Beyrouth) et culturels (galeries d’art). Bref, tout est fait pour attirer les jeunes vers cette bibliothèque municipale devenue un espace de loisirs instructifs et de retrouvailles quotidiennes. En témoignent les échanges d’un groupe de préados, rencontrés sur place et qui, penchés au dessus d’un atlas largement ouvert, tiraient des plans sur leurs futurs voyages à travers le monde!
Par le biais de leurs enfants, les parents ont eux aussi fini par en franchir le seuil. Empruntant un roman par-ci, un film par-là, venant y faire des recherches sur un thème de débat, les adultes se sont laissé prendre au jeu et ont commencé par participer aux séances de ciné-club, puis au club de lecture et même aux ateliers d’écriture! Ils sont même de plus en plus nombreux à s’inscrire aux sessions de cours de langues qui y sont dispensées par des enseignants des centres culturels étrangers (le British Council et l’Institut français notamment) à des tarifs réduits grâce à la prise en charge d’une partie de la cotisation par des associations (dont Francophonia-Liban) et un noyau dur suit désormais assidûment les conférences et les diverses activités proposées.
Et si les romans, les beaux livres, les essais, les revues, les encyclopédies ou encore les ouvrages multimédias d’initiation (livres et CD inclus) à la musique ou à l’art ne montrent pas encore les stigmates d’une utilisation intensive, il n’en demeure pas moins que l’intérêt pour la culture, l’art et les différentes formes de savoir a désormais été inoculé au village. Et même à plusieurs kilomètres aux alentours... Car sur les 400 abonnés de la bibliothèque de Sebeel, un nombre non négligeable vient des autres villages de la région. «Sans compter les écoles du caza qui la fréquentent régulièrement, sur recommandation du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur», signale, une pointe de fierté dans la voix, Josiane Torbey. Laquelle a toutes les raisons d’être satisfaite de son accomplissement. Car s’en est un, et d’envergure, que de se battre sur tous les fronts – parfois même à contre-courant! – pour offrir à ses compatriotes un espace culturel. Qui plus est fédérateur...
Heureux village d'avoir des gens de cette qualite pour les administrer...quel exemple !!!
10 h 21, le 25 juin 2012