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Liban - Tribune

Au-delà de la guerre, le Liban de demain

Nous ne pouvons pas simplement attendre que d’autres parties, étrangères de surcroît, dessinent le paysage politique et démographique du Liban pour des décennies à venir. Nous ne pouvons pas donner à quiconque procuration d’agir en notre nom et pour notre compte. Nous ne pouvons pas nous arrêter à des revendications de pure sémantique, ni aux lamentations, ni aux incantations. Nous ne pouvons pas attendre, assis devant nos postes de télévision que se dessine un nouveau Moyen-Orient au détriment d’un Liban aux abonnés absents, sans initiatives, faisant le jeu des forces régionales, alors que l’occasion se présente enfin de prendre en main le destin d’un pays riche de ressources naturelles et humaines. Nous ne pouvons et ne voulons pas nous lancer dans des campagnes de libération qui dépassent notre pays, et si une faction désire se lancer dans des campagnes dépassant la volonté nationale, nous nous réserverons le droit de la contester pacifiquement, et nous avons appris que la contestation pacifique d’ampleur est plus efficace que les guerres fratricides. Partant de là, nous voulons une armée nationale forte, forme basique et minimale d’une République même embryonnaire.
Les temps qui viennent dessineront sans doute la topographie d’une donne et d’un paysage nouveau, sans pour autant être en rupture totale avec le passé. La démographie ne pouvant évoluer aussi vite que les conversions politiques, un nouvel équilibre naîtra au détriment, nous le craignons, de la parité qui prévaut actuellement et des prérogatives des forces internes. S’il est permis aux chrétiens du Liban de revendiquer encore et toujours les droits d’un peuple à un système démocratique évolué, c’est que ses forces intrinsèques sont importantes. Au-delà de notre légitimité historique incontestable, de notre attachement au sol, de la solidité financière des résidents et de la diaspora, de son nombre, de notre culture – et ce n’est pas un élément négligeable –, les chrétiens d’Orient se tournent aujourd’hui vers le Liban comme le dernier îlot de liberté de culte, liberté qui entraîne avec elle beaucoup d’autres, telles que la liberté d’expression, de la presse, des droits de la femme, et d’un système économique libéral.
Aucune fatalité donc, notre ennemie est une fois de plus la peur elle-même, le découragement, le défaitisme et la croyance répandue en une fatalité inéluctable, à un processus d’extinction qui se répand d’Irak en Égypte en passant par la Syrie. Mais il nous faudra agir aujourd’hui et de concert, l’union seule fera notre force, ce n’est pas candide de le croire possible aujourd’hui, et ce n’est pas une lapalissade que de le rappeler, c’est surtout une condition préalable à tout sursaut, sans quoi nos divisions nous mèneront vers la perte de notre position à la fois affaiblie, assaillie et minée. Pour cela, force est de constater que toute main tendue, tout dialogue islamo-chrétien, doit être non seulement encouragé verbalement, mais aidé par des actes concrets, et c’est là l’une des missions de la Ligue maronite.
Comment, demande une génération désabusée ? Une génération qui a vu le jour durant la guerre la plus fratricide, a été éduquée par intermittence dans l’impunité la plus insolente, la corruption la plus généralisée, le népotisme le plus arrogant, le matérialisme le plus désespéré, le fanatisme le plus ignorant et l’humiliation aux portes des ambassades pour partir loin de ce Liban devenu pour beaucoup un poids, une identité assassine si exigeante et qui n’offre plus que nostalgie d’une époque révolue et que nous avons pourtant connue.
Si je crois encore à la possibilité d’une résurrection, c’est parce que je suis chrétien et c’est parce que j’ai connu autrefois une République libanaise ambitieuse, un pays où l’élite était avant tout intellectuelle. C’est pour ceux-là et pour ceux qui viendront, et il y en aura toujours, que nous devons lancer cet appel. En effet, seul un dialogue sans conditions préalables peut ouvrir une brèche dans un mur qui risque de s’écrouler. Dans ce sens, l’appel de Baabda à la distanciation, et celui du patriarche à un rassemblement des forces chrétiennes du pays, prélude à un rassemblement national, sont une pierre angulaire pour le sursaut pour lequel la Ligue maronite œuvre aujourd’hui.
Les sujets et les projets ne manquent pas, mais l’ordre des priorités nous paraît être le suivant :
1. La prise de conscience que la division actuelle entre chrétiens du 8 Mars et chrétiens du 14 mars, et entre sunnites du 14 Mars et chiites du 8 Mars, n’est à l’avantage ni des chrétiens, ni des musulmans, ni de la coexistence nationale. Les chrétiens se retrouvent divisés entre deux courants dans un conflit historique qui ne les concerne pas, et les musulmans du Liban se retrouvent divisés entre eux dans un conflit religieux aux enjeux régionaux et stratégiques qui les dépassent et les instrumentalisent en tout point. Cette prise de conscience n’est pas un réveil littéraire, sémantique, mais une décision nationale responsable et préalable à la naissance d’une force chrétienne et musulmane, en un mot d’une force véritablement nationale, libre, indépendante, ouverte sur l’Orient et l’Occident et revendicative dans tout ce qui touche à ses intérêts propres.
2. Une loi électorale permanente assurant l’élection de véritables représentants prêts à sacrifier leurs intérêts personnels pour le bien de la nation. Le débat sur la loi électorale ne peut pas être développé plus en avant puisqu’il sera la résultante de l’accord des parties sur un Liban d’avenir.
3. Le renforcement des prérogatives du président de la République, symbole de l’unité nationale, notamment au regard d’un pouvoir largement paralysé par les bienfaits d’une troïka gouvernante, se partageant un pouvoir préalablement dessiné par les forces régionales. L’accord dit de Taëf se meurt aujourd’hui avec ses parrains, pour cela n’attendons pas que sonne le glas de cet accord pour rebondir sur un nouveau pacte national : gouverner, c’est prévoir.
4. La déconfessionnalisation progressive et à long terme, en commençant par l’éducation, les livres et manuels d’histoire, et en inculquant dans les cœurs des Libanais une âme nouvelle et des valeurs nationales.
5. L’assainissement du corps judiciaire et du Conseil constitutionnel (au-delà de la honte), condition préalable et indispensable à l’édification d’un État de droit, aussi bien que la refonte d’un paysage attractif aux investissements étrangers.
6. L’ouverture de l’État Libanais aux réformes structurelles indispensables, d’assainissement, de privatisation, de règlementation et de modernisation.
7. La décentralisation administrative élargie prévue lors de l’accord de Taëf, partie intégrante du discours d’investiture du président de la République et reprise dans plusieurs déclarations du Conseil des évêques maronites. La décentralisation est qualifiée par le droit constitutionnel comme étant le système qui se base sur la reconnaissance des « comités régionaux » en tant qu’entités pouvant gérer les affaires de leurs régions et définir leurs propres intérêts. Il est vrai que lesdits comités bénéficient d’une quasi-indépendance financière et administrative, mais demeurent sous la tutelle de l’État central. « La décentralisation est un grand pas vers la vraie démocratie, avec un goût profond pour la liberté » (Haurioux et Tocqueville). « La décentralisation a aussi une valeur d’équité, puisqu’elle se ramène à faire gérer le maximum d’affaires par les intéressés eux-mêmes, tout en préservant l’immunité et l’unité de l’État » (Georges Vedel). Le Liban d’aujourd’hui a grand intérêt à adopter ce système qui lui permettra d’évoluer vers la démocratisation de ses institutions, l’évolution de son système politique et l’unité de son peuple.
8. La neutralité du Liban est aujourd’hui une nécessité en raison des conflits rigoureux internes et régionaux. Sur le plan juridique, la neutralité demandée par un État pour un certain temps diffère de la neutralité permanente qui est imposée par les grandes puissances pour des raisons politiques, militaires ou salutaires et que le Liban ne peut pas adopter pour diverses raisons. La neutralité n’est pas la passivité, elle n’empêche pas un pays de s’armer et de se défendre, ni de défendre pacifiquement les justes causes d’un peuple proche ou lointain. Cet appel n’est pas une énième bouteille à la mer, nous vivons une période charnière, et le Liban économique ne vivra pas une décennie de plus, si tout ou partie des conditions susmentionées ne sont pas partiellement au totalement atteintes. J’espère que cet appel trouvera un terrain fertile à son développement par les instances officielles compétentes. La Ligue maronite se réserve le droit d’œuvrer à un mouvement populaire dans le cas où certains responsables de la nation continueraint de jouer partisans, sectaires et intérêts privés, alors que le peuple libanais s’enlise dans la précarité d’un horizon bouché par l’avidité devenue maladive, au-delà de la corruption matérielle, entrée depuis longtemps déjà dans la corruption de l’âme.

*Ancien bâtonnier, président de la Ligue maronite
Nous ne pouvons pas simplement attendre que d’autres parties, étrangères de surcroît, dessinent le paysage politique et démographique du Liban pour des décennies à venir. Nous ne pouvons pas donner à quiconque procuration d’agir en notre nom et pour notre compte. Nous ne pouvons pas nous arrêter à des revendications de pure sémantique, ni aux lamentations, ni aux incantations. Nous...
commentaires (2)

Excellent M. Abillama!

Michele Aoun

20 h 14, le 30 juin 2013

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Commentaires (2)

  • Excellent M. Abillama!

    Michele Aoun

    20 h 14, le 30 juin 2013

  • "Les chrétiens d’Orient se tournent aujourd’hui vers le Liban comme le dernier îlot de liberté de culte, liberté qui entraîne avec elle beaucoup d’autres, telles que la liberté d’expression, de la presse, des droits de la femme". Clairvoyant et très bien dit. "et d’un système économique libéral."! Là, c'est limite et c'est à discuter. "Toute main tendue, tout dialogue islamo-chrétien, doit être non seulement encouragé verbalement, mais aidé par des actes concrets, et c’est l’une des missions de la Ligue maronite." ; c'est bien ! Mais qu'en est-il du "dialogue?" intra-chrétien ? "L’appel du patriarche à un rassemblement des forces chrétiennes du pays" ne suffit pas, mais plutôt "des actes concrets" comme vous le dites si bien plus haut ! "La déconfessionnalisation progressive en commençant par l’éducation, les livres et manuels d’histoire" ne doit pas précéder l'instauration du mariage civile facultatif, et l'imposition d'un même droit de succession aux Libanais aussi bien musulmans que chrétiens.... "La Ligue maronite se réserve le droit d’œuvrer à un mouvement populaire dans le cas où certains responsables de la nation continueraint de jouer intérêts privés." ! Mais c'est déjà le cas, et cette "Ligue", elle attend encore quoi.. pour "œuvrer à un mouvement populaire" ?!

    Antoine-Serge KARAMAOUN

    10 h 20, le 29 juin 2013

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