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Culture - Bipod 2013

Corps en folie et folie des corps...

Quatre-vingt minutes de danse contemporaine avec la troupe « Dorky Park » sous la houlette de la chorégraphe Constanza Macras sur les planches du théâtre al-Madina. Une danse « sociologue » qui fouille la notion d’identité, d’appartenance et de patrie.

Des séances de thérapie de groupe qui tournent à une représentation délicieusement démente et cacophonique...   Photo Ibrahim Tawil

Coup d’œil, un peu inégal, balayant avec vigueur et quelque férocité les conventions et les faits accomplis.
Deux garçons et trois filles sous les feux nourris d’une musique moderne live sur scène, où piano, violon, guitare, percussion et chant reconstruisent l’univers. Un univers cosmopolite et aux limites à la fois imprécises et infinies.
En ouverture de ce spectacle intitulé «I Am Not the Only One – Part II», une cabine téléphoniques aux vitres transparentes, peut-être symbole de nos petites vies encagées et du dernier carré qui nous est alloué. Là, emprisonnée et en petite tenue de chiffes blanches, gigote une danseuse asiatique, comme un asticot aux prises avec une canne à pêche.


Ainsi surgit la première image d’un ruban de saynètes drôles, incohérentes et surréalistes qui vont graduellement se déployer quand, en fond de scène, se projette une route enneigée, de nulle part, comme une traversée humaine... Une route gardée d’une manière baroque par un personnage inidentifiable, cornu et figé.


Ça y est, le ton est donné au délire, au surréalisme, à l’absurde, aux mégalopoles, à la tour de Babel brassant des humains de tous bords, aux comportements tendus et hystérisés, aux langues diverses, à l’incommunicabilité, à la désespérance, au mal-être actuel.


Dans le vent de cette tornade, immigration, intégration, ségrégation, nationalisme, individualité, collectivité, souvenirs personnels, folklore, errance. Tous ces maux et traumatismes d’une société en rupture de valeurs humaines valsent, tanguent, se confondent sous la baguette, tout en coup d’éclat et d’audace, d’une chorégraphe originaire de Buenos Aires vivant actuellement à Berlin. Nomadisme planétaire qui marque cette chorégraphie pétillante, caustique, joyeuse. Et qui n’en dénonce pas moins un état sociétal à la dérive.


Rencontre et clash des cultures, c’est évident, mais aussi témoignage et dénonciation de la précarité, de la solitude, d’une déshumanisation galopante. Une déshumanisation où l’être, en chute libre de confort et de stabilité, est de plus en plus en perdition et en manque de repère.


Dans cette ronde faussement folle et fofolle où les images les plus disjonctées et délirantes se bousculent, de l’Amérique latine au fond des grandes villes asiatiques où l’on chante le karaoké, la vie demeure une quête éperdue. Une quête pour se retrouver, s’épanouir, se réaliser. C’est tout cela que ce spectacle grinçant et tourbillonnant tente de dire. Avec un humour corrosif, une parodie qui ne craint ni le burlesque ni la farce, une tonalité tonitruante où s’agiter et chanter haut perché se rejoignent en toute fièvre tranquille.


En se vautrant, en s’entartrant jusqu’à transformer la scène en une vraie glissoire, avec toutes ces crèmes pâtissières abondamment jetées à la figure des uns et des autres, en se cognant dans des pugilats soigneusement orchestrés comme sur un ring de combat, la danse ici crève tout conformisme et emprunte sans vergogne plus d’une expression pour s’exprimer.


L’expression gestuelle, admirable de souplesse, d’équilibre, de synchronisation et d’acrobaties, élargit ses frontières jusqu’au verbe, au chant, à des projections sur grand écran et une théâtralisation outrancière aux confins de la commedia dell’arte.


Parmi les moments forts de ce spectacle mené tambour battant, dans son insolence, sa désinvolture, sa confusion, sa démesure et son «je-m’en-foutisme» des conventions, demeure sans nul doute le hilarant passage des tartes à la crème envoyées à toute volée au-dessus de la tête des spectateurs... «Happy Birthday» de guignols et de clowns où les danseurs, attifés en tons bariolés comme des gens de cirque (remarquable sens de la fashion design de la chorégraphe!), s’adonnent à une fantaisie gestuelle sans retenue. Tout comme ce comique solo d’une danseuse «vichnou» aux circonvolutions maîtrisées dans sa caricature même. Ou cette rêverie inca d’une déesse emperlée, pointant ses mains au ciel et dardant le public de ses fesses. Ou ces séances de thérapie de groupe qui tournent à une représentation délicieusement démente et cacophonique. Ou ces coups de poing dans les mâchoires des adversaires chronométrés au ralenti comme dans un film américain à la pellicule molle et muette.


Pour ces corps en folie et ces folies des corps, des danseurs qui sont en même temps des acteurs et des chanteurs. Sur un ton d’absolue liberté, détaché et distancié, le monde et ses travers, dans une gesticulation nerveuse et parodique, entre culbutes et gymnastique, entre cris du cœur et de révolte, sont impitoyablement scannés. À bon entendeur (et spectateur), salut!

 

 

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