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Liban - Patrimoine

Crimes sans châtiments : Beyrouth (se) meurt

« Rue à caractère traditionnel », annoncent les panneaux de signalisation plantés dans de nombreux quartiers de la capitale. Que l’on arrête de jouer à l’autruche. Les anciennes bâtisses disparaissent l’une après l’autre, amputant la ville d’une partie de sa mémoire. Les députés, tous les députés, 14 Mars, 8 Mars ou centristes soient-ils, n’ont qu’une alternative : devenir les fossoyeurs du patrimoine libanais ou bien ses sauveurs. Pour cela, il faut au plus vite promouvoir un projet de loi et le mettre en application si l’on veut protéger ce qui peut encore l’être...

La mémoire sociale et architecturale de la demeure Akar bientôt réduite en poussière.

Cela commence toujours ainsi : les propriétaires commanditent une incursion nocturne pour démonter les vitres, arracher les fenêtres, démolir une façade, casser une colonnade, éventrer le toit, et livrer la bâtisse aux caprices des vents et de la pluie qui inonde les lieux et les transforme en ruine... avant de tomber sous le couperet des démolisseurs. Les acteurs publics n’ont plus d’autre choix que de prendre acte.
Le lot 1824 à Zokak el-Blatt n’est pas un cas isolé. C’est aujourd’hui le sort de dizaines d’autres constructions de ce type à travers la capitale. À Aïn el-Mreissé, à la rue du Liban, à la rue Shéhadé, à Sodeco, à Mar Mikhaël, partout, on continue à dilapider le patrimoine et à réduire en poussière la personnalité d’une ville forgée dans un héritage illustrant près de deux siècles la mémoire sociale et architecturale de Beyrouth. Témoins du passé, ces vieilles demeures de chez nous, abandonnées, lentement dégradées et pillées, s’en vont victimes tantôt d’une espèce de conception frelatée de la modernité, tantôt, et c’est plus délicat, à cause de quotidiens de plus en plus difficiles à assurer.
La maison traditionnelle où le style arabe se combine à l’influence italienne, la maison des années 30 inspirée de l’art français et, au passage, le modèle ottoman en général disparaissent à un rythme effarant, et ce malgré la volonté répétée des ministres successifs de la Culture de briser cette spirale négative. De Michel Eddé à Salim Wardy en passant par Ghassan Salamé, Tarek Mitri, Ghazi Aridi et Tammam Salam, tous se sont dit « déterminés » à poursuivre la mobilisation en faveur de la protection et de la promotion de l’héritage historique, « symbole de notre identité, mémoire de notre passé ». Tous ont assuré qu’il n’y avait pas d’avenir pour un pays qui occulte ses racines et son patrimoine ; tous ont souligné que la seule solution pour mettre fin à ce massacre est une législation appropriée, qui préserve le patrimoine et respecte les droits des propriétaires.
Élaboré, (ré)élaboré, pertinemment ciselé, un projet de loi en ce sens a été ignoré pendant une décennie avant d’être approuvé en 2010 par le Conseil des ministres. Depuis, il est entre les mains d’une commission parlementaire chargée d’en étudier les clauses. Ou alors tout simplement jeté au fond d’un tiroir, comme s’il était une entrave au développement de la ville.

Qui délivre ?
Contrairement à ce que l’on avance souvent, à savoir qu’on ne veut pas d’une capitale figée dans le passé, les défenseurs du patrimoine auraient souhaité une ville offrant un paysage urbain riche en contrastes. Une ville vivante, moderne, dynamique sur le plan économique, fière de ses édifices d’époque, de toutes les époques, et qui pourraient être magnifiquement agencés en bibliothèques, en musées, en sièges pour entreprises innovantes. En somme, un espace où deux villes d’âges différents s’intègrent et vivent au même rythme : l’éclat est alors éternel.
En attendant que la loi soit votée, on continue donc à abattre les vieilles pierres, à couler la ville dans du béton, prenant pour modèle les métropoles pétrolières. En 40 ans, on a détruit ce qu’on a construit en 150 ans. Dès lors, n’est-il pas légitime, voire impératif, de savoir qui délivre les permis de démolir ? Est-ce à l’initiative du ministère de l’Intérieur ? De la Culture ? De la municipalité ? Du mohafez ? Tous se contentent de dégager leur responsabilité et de rejeter la faute sur les « autres ».
Pour tout dire, l’hécatombe du patrimoine est un acte de plus à ajouter à la dégradation du discours politique, aux dérapages sécuritaires et au malaise social.
Qu’est-il prévu aujourd’hui ?
Nous n’en savons rien, mais il est probable qu’en l’absence d’un cadre juridique, la préservation des maisons traditionnelles (ou du peu qui en reste...) devient chimérique. Et pour bâillonner les défenseurs du patrimoine, on adopte le « façadisme », un procédé architectural qui consiste à conserver la façade du bâtiment ancien pour l’accoler ensuite, par exemple, à une tour. Ce qui donne un bien curieux résultat.
Quoi faire ? Transformer chaque édifice en grotte de Jeïta et rameuter la planète ?
Fonder une association de préservation du patrimoine foncièrement agressive, à l’instar de ce que fait Greenpeace pour l’environnement ? Attendre, jusqu’aux calendes grecques, qu’un responsable inspiré déclenche une opération coup de poing ? Ou regarder la ville mourir ?
Cela commence toujours ainsi : les propriétaires commanditent une incursion nocturne pour démonter les vitres, arracher les fenêtres, démolir une façade, casser une colonnade, éventrer le toit, et livrer la bâtisse aux caprices des vents et de la pluie qui inonde les lieux et les transforme en ruine... avant de tomber sous le couperet des démolisseurs. Les acteurs publics...

commentaires (8)

Il y a eu jadis l'APSAD, dont certains membres ou amis ont vendu le jardin de la villa pour y construire une tour - et conserver la villa, au moins provisoirement. Il reste aujourd'hui des Libanais nostalgiques d'une cité à taille humaine, avec jardins publics et vestiges d'une histoire dont on est fier. Lorsqu'ils vont à Paris, Londres ou Rome, ils constatent à quoi cela ressemble une ville avec un véritable urbanisme, et un respect du patrimoine, même sans fixisme sur le passé. Et puis ils se disent que tant que c'est possible, ils vont vendre ce qui leur appartient pour gagner la plus-value. Crassus comme l'écrit Christian... La perte de son âme, c'est un acte collectif. Comme la sécularisation en Europe et le réchauffement de la planète partout.

Aractingi Farid

06 h 55, le 20 décembre 2011

Tous les commentaires

Commentaires (8)

  • Il y a eu jadis l'APSAD, dont certains membres ou amis ont vendu le jardin de la villa pour y construire une tour - et conserver la villa, au moins provisoirement. Il reste aujourd'hui des Libanais nostalgiques d'une cité à taille humaine, avec jardins publics et vestiges d'une histoire dont on est fier. Lorsqu'ils vont à Paris, Londres ou Rome, ils constatent à quoi cela ressemble une ville avec un véritable urbanisme, et un respect du patrimoine, même sans fixisme sur le passé. Et puis ils se disent que tant que c'est possible, ils vont vendre ce qui leur appartient pour gagner la plus-value. Crassus comme l'écrit Christian... La perte de son âme, c'est un acte collectif. Comme la sécularisation en Europe et le réchauffement de la planète partout.

    Aractingi Farid

    06 h 55, le 20 décembre 2011

  • Pauvre Liban qui perd son âme ! Que va t-il rester de notre patrimoine culturel et naturel ? Est-il définitivement voué à la disparition ? Et qui en sont les responsables ? Ceux qui ne pensent jamais à l'intérêt public et au devenir de leur pays, mais seulement à leurs intérêts propres...Les hommes qui nous gouvernent sont-ils impuissants au point de ne pas pouvoir arrêter cette hécatombe ou bien sont-ils complices ? C'est une honte de laisser faire ainsi, alors que d'autres pays essayent par tous les moyens de se créer un patrimoine ! Ce problème doit être débattu sur la place publique, il ne faut pas cesser d'en parler et ne pas avoir peur de désigner les coupables !!! Inshallah que les consciences se réveillent avant que nous n'ayons plus aucun bâtiment qui nous rappelle notre passé....

    ABOUNOHRA Michèle

    02 h 02, le 18 décembre 2011

  • Pourquoi s'étonne-t-on ? Malheureusement, c'est le Liban. Il en a toujours été ainsi. Au Liban, tout est possible de la racine au sommet, de la queue à la tête, tout est pourri, et tout a son prix, et avec ce prix tout est possible dans ce malheureux pays, livré aux fraudeurs ( qualificatif très mou ). Je ne veux pas prononcer le vrai nom... Anastase Tsiris

    Anastase Tsiris

    06 h 17, le 17 décembre 2011

  • l'émigré , que je suis , ressent une peine et un embarras à chaque fois qu'une partie de Beyrouth ou d'une autre cité est détruite emportant des images de son enfance et des histoires racontées par ses prents ! Merci de défendre ainsi le patrimoine libanais sans que cela ne nuise à l'essor du pays .

    Hamed Adel

    02 h 51, le 17 décembre 2011

  • C'est un urbicide un assassinat de La Ville de son Passe et assassinat Malheureusement veut dire irreversible Non Ressucitable C'est d'une Tristesse Infinie

    Riga Pavla

    01 h 32, le 17 décembre 2011

  • - - STOP SOLIDERE avant qu'il ne soit trop tard ! Voilà la réponse à nos malheurs et au paysage défiguré de notre patrimoine .

    JABBOUR André

    00 h 30, le 17 décembre 2011

  • Je ne sais pas bien si vous vous rendez compte du caractère surréaliste de cet varticle,MM de l'OLJ...qui délivre les permis de démolir???Allons!pas vous!pas çà!Mais ceux qui encaissent des enveloppes bien épaisses de la part des promoteurs qui font leur merde en plei jour....voilà qui délivre les permis de démolir!Quelques ilôts de résistance de plus en plus petits subsistent à Beyrouth...qui se réduisent comme peau de chagrin...le goût effrené de l'argent,massaré massaré massaré,des Libanais détruit ce qui reste du Beyrouth du vrai Liban pour y susbsituer des golferies toutes plus moches les unes que les autres.Des immeubles au clinquant bien arabe et qui resteront vides la plupart du temps...qui delivre les permis de démolir???Mais les Libanais,cher OLJ,les Libanais...Comme Crassus,il ne leur restera bientot plus que le goût acre de l'or fondu dans la gorge...juste avant de tuer définitivement Beyrouth....ASSASINS!

    GEDEON Christian

    20 h 40, le 16 décembre 2011

  • Chers Vous, Ce que vous dites est si vrai...! Et ce que vous dites est si triste...! Amitiés, Antoine GED

    Ged Antoine

    20 h 01, le 16 décembre 2011

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