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Liban - Feuille de route

Renaissance

« Pourquoi participer, dimanche, au meeting du 14 Mars, place des Martyrs ? Pour renouveler une allégeance vieillotte à une coalition de leaders qui n'a pas cessé de décevoir au cours des dernières années ? »
Cette question, exprimée par plus d'un sceptique, est parfaitement légitime. Ne pas se la poser, ne pas procéder continuellement à un examen de conscience, à cette critique salutaire, c'est renoncer de manière substantielle à son identité, à son libre arbitre... au moment où, tout autour de nous, des foules d'individus sortent enfin des oubliettes de l'histoire pour façonner eux-mêmes leur destin. Point de déterminisme alors, plus jamais, et pas au sein du 14 Mars en tout cas, dont le projet doit être celui d'une maturation de la société, aux antipodes des schémas idéologiques, rigides et holistes du parti unique.
Cependant, ce doute cartésien ne doit pas tomber dans la « hantise de l'essentiel » dont Cioran décrivait les affres dans son Précis de décomposition. Trop questionner le sens d'une chose, c'est risquer aussi de sombrer dans le néant, dans l'absence cruelle des repères fondamentaux ; c'est basculer immanquablement dans la stérilité. Le leadership du 14 Mars a accumulé les erreurs - et les revers aussi, il est vrai - depuis 2005, c'est une certitude. La plus grossière de ces erreurs a très certainement été, dès le 14 mars 2005, la démobilisation de la foule, comme l'écrivait un Samir Kassir très lucide. « Retournez dans la rue, camarades, pour recouvrer la clarté », disait-il, dans une mise en garde contre un éloignement trop preste de la seule vérité, celle de cette foule d'individus fondatrice, de cet événement fondateur et historique en devenir permanent dans le centre de la cité.
Jusqu'à présent, le public non partisan du 14 Mars a réagi comme le conjoint berné, cocufié, trahi. Profondément blessé dans son amour-propre, il a tout essayé : la déception, la colère, la révolte, l'éloignement. Il en est même arrivé au stade le plus terrible de la relation éclatée : le mépris et l'indifférence. D'un certain point de vue, on ne peut que le comprendre. Le désamour est le processus infernal qui mène de l'idéalisation de l'autre à la constatation de son imperfection, de sa simple humanité, et donc naturellement, aussi, de ses défauts, ses manies, ses lubies, voire ses vices, parfois. Cette passion entre la société libanaise et ses leaders oscille depuis toujours entre l'adoration et la haine, entre la fascination, voire la vénération, et le mépris. Elle n'a, bien entendu, que faire de la raison.
Or il est grand temps de sortir d'une adolescence politique qui n'a que trop duré, de rompre avec cette frustration amoureuse qui pousse le public du 14 Mars à la dépression collective et à la renonciation de soi. Il est temps de mûrir. Et quoi de plus beau que de mûrir au printemps, arabe de surcroît ? Mûrir, c'est provoquer en soi ce déclic psychologique fondamental et fondateur qui brise à tout jamais une certaine notion de l'autorité, qui refuse la passivité comme mode de comportement face à la déception. Vient un temps où il faut cesser de se comporter comme l'enfant perdu qui attend sagement, désespérément, le signal des leaders historiques qui viendront le sortir de sa condition misérable et lui ouvrir la voie qui mène à la liberté. Voici venu le temps pour cette foule de s'affranchir du binôme : la société face à ses leaders. De transcender cette condition primaire et de devenir une constituante autonome, au vrai sens du terme. Ce n'est qu'à ce moment-là, d'ailleurs, que la réconciliation avec l'instant historique est possible - et, accessoirement, potentiellement, avec les leaders. Et pour cause : briser ce rapport passionnel entre la foule et ses leaders, c'est sauver en même temps la foule et les leaders.
Dans ce sens, « l'intifada dans l'intifada » dont parlait Samir Kassir est une dynamique plus que jamais nécessaire, et seule une participation massive dimanche de la part de la majorité silencieuse d'individus, de citoyens, peut en faire une réalité et hâter des réformes structurelles (avec intégration active de la société civile et des indépendants), plus que jamais nécessaire pour revitaliser un 14 Mars politique essoufflé et à l'éclat terni.
Mais il ne faut pas non plus perdre de vue l'essentiel, la question primordiale, existentielle. Le 13 mars, cette foule d'individus est appelée à plébisciter la paix contre la violence et les armes permanentes, le pluralisme contre le parti unique, les libertés contre la « Grande Prison » sécuritaire, le « Liban d'abord » contre l'alliance des minorités au service de l'Iran, de la Syrie... et d'Israël. Ce sera aussi et surtout l'occasion de voter avec les pieds contre la tutelle des armes et de la perversion du système démocratique par le Hezbollah et ses alliés depuis 2005.
Cette mobilisation civile, cette volonté générale, cette constituante est le seul moyen de briser le fait accompli incarné par les armes et leur impact matériel, politique, moral, psychologique, culturel, idéologique, etc. Ce n'est pas pour rien que, depuis cinq ans, le Hezbollah et le régime syrien s'acharnent à falsifier l'histoire pour écraser cette volonté, en prétendant notamment que le 14 mars 2005 n'était rien d'autre qu'un « vaste complot américain », qu'une grosse manipulation collective. Istikbar flagrant, arrogance irano-syrienne inouïe, bien entendu, visant à détruire la confiance du peuple libanais en lui-même. Dimanche sera une occasion de démentir cette affirmation grossière et de la renvoyer à ses auteurs sous la forme d'un camouflet. Le peuple libanais est souverain.
On raconte qu'un jour, à l'issue des délibérations secrètes de la Convention constitutionnelle de 1787 aux États-Unis, une Mme Powell de Philadelphie demanda à Benjamin Franklin : « Eh bien, Docteur, qu'avons-nous obtenu, une république ou une monarchie ? » Sans hésitation, Franklin répondit : « Une république, si vous pouvez la garder. »
Rendez-vous donc le dimanche 13 mars, place de la Liberté. Pour garder la République.
« Pourquoi participer, dimanche, au meeting du 14 Mars, place des Martyrs ? Pour renouveler une allégeance vieillotte à une coalition de leaders qui n'a pas cessé de décevoir au cours des dernières années ? »Cette question, exprimée par plus d'un sceptique, est parfaitement légitime. Ne pas se la poser, ne pas procéder continuellement à un examen de conscience, à cette critique...

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