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Liban - Feuille de route

Résidu de fascisme

Ainsi, Michel Aoun veut faire « le procès » de Rafic Hariri. Fort bien. Il est tout à fait sain de procéder à une relecture du passé. Cela ne peut qu'être mieux pour l'avenir. Aucun homme, qu'il soit vivant ou mort, ne doit en effet être sacralisé, placé au-dessus de tout reproche. Quand bien même ce « procès », dans lequel Michel Aoun s'octroie le triple rôle du flic, du juge et de la partie civile, ressemble plus, en fait, au genre de procédés diffamatoires qui ont précédé l'assassinat de Hariri, entre l'an 2000 et l'an 2005, campagne menée, faut-il le rappeler, par tous ceux qui étaient, à l'époque, les ennemis du général, et qui en sont depuis les fidèles alliés.
Mais là n'est pas l'essentiel.
Que Michel Aoun veuille assouvir un besoin collectif de justice est tout à fait louable. Mais qu'il cesse donc d'abord de dénigrer à longueur de journée les efforts de la justice internationale pour découvrir les auteurs d'une dizaine d'assassinats que lui-même avait été le premier à condamner en février 2005, en accusant à répétition Damas d'être derrière tous les attentats politiques commis au Liban depuis trente ans.
Inutile de rappeler ce qu'il pensait, sous l'occupation syrienne, durant son exil parisien, des tribunaux d'exception, aussi bien le tribunal militaire ou la Cour de justice : des outils aux mains de l'occupant, sinon de « ses services de renseignements ». Le voilà maintenant qui veut enterrer définitivement les assassinés et consacrer l'impunité des assassins en œuvrant à torpiller le TSL et à déférer le dossier devant la Cour de justice...
Que Michel Aoun souhaite ouvrir le dossier des années sombres de l'occupation, ou encore celui, plus sombre, de la guerre, encore mieux. Pour ce qui concerne la période 1990-2005, cela consisterait d'abord à « faire le procès » de tous ses alliés, y compris, surtout, Jamil Sayyed, Adnane Addoum, Émile Lahoud et consorts. Eux sont bien vivants, ils peuvent être immédiatement déférés devant les tribunaux pour tout ce qu'ils ont à se reprocher - ne serait-ce qu'à l'égard des partisans du général Aoun, dont une très grande partie d'étudiants. Et, dans la logique aouniste, s'il faut « faire le procès » de ceux qui ont pris part à la guerre, une faction non négligeable d'entre eux (prosyriens de longue date, anciens antisyriens devenus prosyriens, ancien proisraéliens devenus prosyriens, etc.) forme aujourd'hui, à ses côtés, une nébuleuse dont l'étude relève spécifiquement de la tératologie. Qu'il commence donc par donner l'exemple. Tiens, qu'il commence donc lui-même par faire son propre « procès ».
Déjà une simple autocritique relèverait de l'exploit. Mais il est vrai que, perfection du chef suprême historique et messianique oblige, il est toujours persuadé, et avec lui bon nombre de ses partisans, de n'avoir commis aucun acte répréhensible, pas la moindre erreur, dans son parcours historique modèle. « Juste » sur toute la ligne. Digne de l'École des Fans. Le mythe de l'incorruptibilité donne certes de l'allure. Mais ce n'est finalement qu'un mythe de plus, et la vérité finit toujours par éclater. Même lorsqu'il est trop tard.
Mais trêve de légèreté. Car le discours aounien, s'il aurait inspiré plus d'un Desproges, n'a rien d'amusant. Il s'inscrit parfaitement bien dans une confluence entre deux sortes de fascismes : le premier d'extrême gauche, né de la dernière vague altermondialiste, et le second d'extrême droite, vieux comme le monde, avec, en ligne de mire, une haine de l'Occident libéral, camouflée derrière un discours aux consonances pseudo-occidentales.
Mais le signifié, ici, n'a rien à voir avec le signifiant. Partant, tout s'explique. Le négationnisme et la théorie du complot omniprésents, par exemple. Le TSL est donc un « instrument diabolique » qui fait partie d'un « complot cosmique » contre ses alliés. Les martyrs du 14 Mars, il ne faut plus en parler : l'un était un « opportuniste » (Tuéni), l'autre le « roi des corrompus » (Hariri), le troisième « engagé dans des histoires louches à l'extérieur » (Haoui), etc. Tiens, à en croire certains partisans du chef du CPL, un quatrième était « Palestinien » (Kassir) - un moyen de dire « peu importe ce qui lui est arrivé, cela ne nous concerne pas », voire même « bien fait pour lui ». C'est donc que, de remords sans doute, toutes ces personnalités se sont certainement suicidées... Ou bien, non, tiens, c'est Israël. Après le négationnisme, retour à la théorie du complot : Israël a d'ailleurs bon dos, avec tous ses crimes. Alors une dizaine de plus, qu'importe...
Évidemment, le culte du chef, la croisade contre les « pourris » et les « vendus » - essentiellement les journalistes qui osent le détromper bien sûr - ou encore le mythe du gardien-protecteur de la minorité qui permet de maintenir la cohésion de la açabiya à travers un discours fondé sur la haine de l'Autre (sunnite, Palestinien, 14 Mars, etc.) et la nécessité d'en avoir toujours « peur »... sont tous autant de signes distinctifs d'une rhétorique qui n'a plus rien à faire avec la logique, mais qui repose entièrement sur l'exaltation des instincts les plus primaires.
Tous ces signes, le CPL les partage avec le Hezbollah. Ils ont d'ailleurs été hypertrophiés à l'extrême chez le premier depuis le fameux document d'entente, dans un extraordinaire effet de mimétisme. Mais il faut cesser d'envisager la rythmique aounienne comme une simple caricature du Hezbollah, comme s'il ne s'agissait que d'un fascisme ne possédant pas la capacité de l'être sans l'arsenal « divin » de son allié. Car le danger de ce mimétisme n'est pas essentiellement politique. Comme tout fascisme, il est surtout d'ordre idéologique et culturel, et cherche à créer un « homme nouveau » (antilibéral). Dans ce sens, il n'est que le fruit, la manifestation libanaise d'une vaste offensive idéologique, politique et culturelle menée par la pieuvre tentaculaire iranienne dans toutes les directions : les différentes religions - christianisme inclus - et minorités, l'Occident, la Russie, les orphelins du bloc soviétique, les chantres de l'altermondialisme, etc.
Partant, faut-il encore s'étonner du fait que, pour Mahmoud Ahmadinejad, l'avènement « de l'ordre international nouveau », celui du « rétablissement de la justice », dans le cadre duquel « Jésus viendra assister le Mahdi », passe par rien moins qu'une Apocalypse ?
Ainsi, Michel Aoun veut faire « le procès » de Rafic Hariri. Fort bien. Il est tout à fait sain de procéder à une relecture du passé. Cela ne peut qu'être mieux pour l'avenir. Aucun homme, qu'il soit vivant ou mort, ne doit en effet être sacralisé, placé au-dessus de tout reproche. Quand bien même ce...

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