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Liban - Social

Femmes et nationalité : un « tribunal du peuple » pour dénoncer les atermoiements de l’État

Les Libanaises empêchées de transmettre leur nationalité à leurs enfants étrangers perdent patience, et elles l'ont fait savoir bruyamment hier. Lors d'une manifestation suivie d'un « tribunal du peuple », elles ont crié leur frustration face à une situation qui stagne.

« Nous exigeons la nationalité pour les Libanaises », « Nos droits ne sont pas un jeu », ou encore « Fils de Libanaise, je me sens étranger dans mon propre pays ». Tels sont quelques-uns des slogans scandés par des dizaines de Libanaises mariées à des étrangers, leurs enfants et des militants lors d'une manifestation organisée hier par la campagne « Ma nationalité, un droit pour moi et pour ma famille ». L'événement a débuté par une marche des manifestants allant de Sanayeh à Aïn Mreïssé, où les attendait une tribune représentant un « tribunal du peuple », censé jouer la « mascarade » de ce dossier épineux que la classe politique semble délibérément ignorer, malgré les nombreuses promesses.
Tout dans l'événement d'hier respirait la révolution en marche. Dans une ambiance festive et survoltée, la manifestation a eu lieu au son des slogans scandés par une meneuse munie d'un micro, et répétés par les participants.
À plusieurs reprises, les slogans s'en sont pris aux « prétextes » invoqués par la classe politique pour refuser ce droit aux femmes, notamment la peur de l'implantation des réfugiés palestiniens. « Non à l'implantation, non à la discrimination, non au confessionnalisme, les citoyens en ont assez de vos excuses », ont crié les manifestants. Et les hommes politiques n'ont pas été épargnés : une « lettre ouverte » a été adressée au ministre de l'Intérieur Ziyad Baroud, pour lui demander de faire progresser le dossier, assortie d'un avertissement stipulant que « cette manifestation n'est pas un accident de parcours ».
Le ministre de la Justice, Ibrahim Najjar, a été évoqué dans le cadre de l'affaire Samira Soueidane, cette veuve d'un étranger à laquelle le juge Jean Azzi avait accordé le droit à la nationalité pour ses enfants, et qui en a été privée après un recours présenté et gagné par l'État. « Samira obtiendra ses droits, et après elle toutes les Libanaises », scandait la foule. Samira Soueidane, présente hier, a confié à L'Orient-Le Jour son sentiment d'injustice. « L'État nous prive de nos droits, mais ne se prive pas, de son côté, de profiter de nous, nous faisant payer des sommes considérables pour donner leurs papiers à nos enfants, dit-elle. Le jugement relatif au recours de l'État ne m'a pas étonnée, mais nous ne perdons pas espoir. »

L'État « magnanime et aimant »
Dans le « tribunal du peuple » qui attendait les manifestants à Aïn Mreïssé, les « acteurs » ont donné libre cours à l'humour noir pour démystifier les angoisses quotidiennes des familles confrontées à ce problème. Celui qui représentait le juge, échevelé et portant un chapeau en toile semblable à celui des paysans d'antan, est arrivé sur scène avec une pastèque et un melon censés symboliser la justice et l'équité. Il a présenté les deux « parties » en conflit : l'État, représenté par un jeune homme en costume, portant le drapeau libanais en bandoulière, fumant un cigare et répondant aux questions du « juge » par des phrases clichés. Celles-ci ont été aussitôt accueillies par des cris de protestation : « Tout ce qui nous importe est d'assurer aux citoyens la tranquillité d'esprit », ou encore : « Nous nous devons de faire appliquer la loi. »
De l'autre côté, se sont succédé une mère mariée à un étranger, une jeune fille et un jeune homme de mère libanaise, privés de nationalité, présentant des cas véridiques et vécus. La première figurante a raconté comment son mari s'est retrouvé plus d'une fois dans la prison de la Sûreté générale réservée aux étrangers, située sous un pont, et comment il est menacé d'expulsion, malgré ses efforts de lui garder ses papiers en règle. Son récit était entrecoupé par les commentaires du « juge », qui l'assurait que « l'État, magnanime et aimant, ne veut à son mari que du bien ! ». Elle a aussi raconté comment, quand elle a voulu faire un permis de séjour pour son fils de quinze jours, l'officier lui a demandé : « Quel métier exerce-t-il ? » Malgré la solennité du témoignage, l'histoire a été accueillie par un éclat de rire général.
La jeune Amar a ouvert une autre plaie que connaissent bien ces familles : la difficulté de se faire soigner quand on est privé de nationalité. « Quand ma mère a voulu effectuer les formalités pour me faire hospitaliser, elle s'est entendu dire que sa fille est considérée comme une étrangère, or je me considère libanaise, libanaise, libanaise ! » s'est-elle exclamée. Un dernier jeune homme a perdu sa mère, « minée par la frustration de ne pas pouvoir me faire naturaliser ». « Elle était fonctionnaire depuis 35 ans, a-t-il ajouté. On a refusé de me payer ses indemnités sous prétexte que je suis un étranger. »
Tous les présents à l'événement d'hier pouvaient témoigner de dizaines de problèmes de ce genre, qui empoisonnent leur vie dans un pays où « le lien du sang est exclusivement celui du père », comme le fait remarquer un slogan sur une banderole. « Citoyens en sursis », un autre slogan, décrivait bien cette foule en colère, formée en grande partie d'enfants. Peut-être que ce qu'il faut surtout retenir de cette activité qui ne sera pas la dernière, comme l'ont affirmé les organisateurs, ce sont ces derniers mots prononcés par le « juge du tribunal du peuple » : « Votons pour le droit des femmes à la nationalité ! »
« Nous exigeons la nationalité pour les Libanaises », « Nos droits ne sont pas un jeu », ou encore « Fils de Libanaise, je me sens étranger dans mon propre pays ». Tels sont quelques-uns des slogans scandés par des dizaines de Libanaises mariées à des étrangers, leurs enfants et des...

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