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Ampères et contre tous

La blague circule allègrement en ce moment sur le réseau de téléphonie mobile, et peut-être l’avez-vous déjà reçue en texto sous la forme de ce double conseil malicieusement attribué à un ministère de l’Énergie et de l’Eau apparemment soucieux de lutter contre le gaspillage : faire l’amour dans le noir a pour effet de décupler le plaisir ; et prendre son bain à deux rend un couple vingt fois plus uni. Le plus piquant dans ce leste canular étant cependant que ledit ministère devrait être le dernier à parler d’amour, lui qui en inspire si peu en effet aux citoyens ; le dernier aussi à s’y connaître en matière de bains, avec toute la crasse qu’il charrie depuis déjà plus de deux décennies.

 

Comment un département étatique tenu peut-il tourner de la sorte à l’ennemi public ? À force d’incompétence ou de vénalité, et plus probablement des deux à la fois. Au sortir de la guerre pourtant, et dans l’euphorie de la reconstruction, ce même ministère était confié à un grand industriel qui avait les idées claires et l’énergie nécessaire pour les traduire en réalités. Georges Frem, paix à ses cendres, avait toutefois un impardonnable défaut : dans la course effrénée aux commissions à laquelle se livrait la quasi-totalité de l’establishment politique de l’époque, sa grande moralité, bien davantage que son aisance financière, lui interdisait de manger de ce pain-là, comme de permettre aux autres de s’empiffrer en paix. Poussé de toutes parts vers la sortie, le peu accommodant ministre emportait avec lui un programme complet de rénovation du réseau électrique, dont le coût était calculé au plus près : au plus juste serait-il plus exact de dire, au sens propre comme au figuré.

Le gêneur disparu dans la trappe, des fortunes colossales ont pu être amassées, au grand jour parfois, malgré l’obscurité ambiante. On a investi dans des projets foireux, mort-nés ; des centrales sont mortes de vieillesse quand elles n’étaient pas sciemment sabotées, ce qui commandait de nouvelles acquisitions de matériel, représentant autant de sources de profit frauduleux, ce qui livrait aussi la population à la rapacité des exploitants de générateurs de quartier. Une activité mafieuse en générant fatalement une autre, on a même vu fleurir la vogue des juteux contrats d’importation de combustibles pour les turbines, du fuel juste assez frelaté le plus souvent pour avarier celles-ci.

Il peut y avoir pire cependant, et c’est quand débarque, d’aventure, un ministre à idées. Non point que l’actuel détenteur du titre ait songé, par exemple, à un programme d’édifications de barrages dans un pays qui passe pour le château d’eau de la région mais où le robinet se refuse obstinément à couler. Ou qu’il se soit trop préoccupé de savoir si, dans un pays bénéficiant de huit mois de soleil par an, l’énergie solaire ou éolienne ne pourrait pas fournir un appréciable appoint à la production classique de courant. La marotte du ministre Gebran Bassil c’est les centrales flottantes, l’électricité livrée à domicile par ces navires qui font du port à port auprès des républiques en panne. Passe encore pour ce junk food d’ampères, ce coupe-faim, si la facture ne s’élevait à plus d’un milliard de dollars déboursés à fonds perdus ; si le ministre, qui relève pourtant d’un Courant patriotique libre se posant en parangon de transparence et de vertu, n’avait insisté, des mois durant, pour disposer à sa guise, dans son intégralité, de ce colossal montant, avant que soit mis le holà à cette incroyable exigence ; si pour comble cette même force politique, croyant récupérer d’aussi effrontément simpliste manière la colère des citoyens, ne se répandait en accusations contre la république entière, s’il ne menaçait d’organiser des manifestations populaires pour dénoncer un scandale auquel son propre poulain n’est guère étranger !

De se complaire dans la haute tension ne saurait faire la fortune du Courant : ce n’est pas en jetant de la poudre aux yeux du monde que l’on peut prétendre faire régner la lumière.

 

Issa GORAIEB

igor@lorient-lejour.com.lb

La blague circule allègrement en ce moment sur le réseau de téléphonie mobile, et peut-être l’avez-vous déjà reçue en texto sous la forme de ce double conseil malicieusement attribué à un ministère de l’Énergie et de l’Eau apparemment soucieux de lutter contre le gaspillage : faire l’amour dans le noir a pour effet de décupler le plaisir ; et prendre son bain à deux rend un...