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À La Une - L’analyse

Un microscope et des ciseaux...

Il existe, à n’en pas douter, des méthodes bien plus « douces » que le projet dit orthodoxe pour traiter efficacement le problème du déséquilibre confessionnel dans le système électoral libanais.


Ce déséquilibre est une réalité tangible qu’il ne sert à rien de nier, en particulier depuis la fin de la guerre civile. Il est donc inepte et surtout improductif de montrer du mépris pour le sentiment de frustration exprimé à cet égard par les formations chrétiennes, comme le fait Walid Joumblatt en parlant de la proposition orthodoxe comme d’un projet « isolationniste ». Le recours à ce terme est d’autant plus ridicule chez M. Joumblatt qu’il s’était lui-même gaussé à plusieurs reprises, il y a quelques années, de l’époque où il l’utilisait intensivement contre les partis chrétiens.


Mais il est tout aussi inepte et improductif de la part des chrétiens eux-mêmes de poser le problème sur une tonalité polémique, comme s’il fallait imputer la responsabilité de ce déséquilibre aux musulmans. De ce point de vue, la publicité agressive pour le projet orthodoxe présentée ces jours-ci sur la chaîne aouniste est non seulement inopportune, elle est mensongère et démagogique. Personne n’a volé les voix de personne. Il y a simplement un déséquilibre qui a pris de l’ampleur avec les années, du fait d’abord d’une évolution démographique déterminée et ensuite de l’incapacité de la classe politique dans son ensemble à trouver le remède adéquat. D’ailleurs, avec une formule aussi grossièrement populiste que le projet dit orthodoxe, on est hélas devant une illustration claire de cette incapacité.


Comment corriger le déséquilibre dont il est question? Nombreux sont ceux qui pensent que le déclin démographique chrétien est d’une telle ampleur qu’il est devenu impossible de modifier tangiblement la situation à l’ombre d’un mode de scrutin et d’un découpage traditionnels et qu’il faut par conséquent une solution radicale, « séparatiste », pour y parvenir. D’où le projet orthodoxe. Cela est simplement faux. Il suffit de passer en revue un certain nombre de paramètres réels pour balayer les idées reçues dans ce domaine.

 

(Eclairage : Comment sortir du projet dit orthodoxe...)


Les causes du déséquilibre
Selon les chiffres officiels de 2009, le nombre d’inscrits chrétiens sur les listes d’électeurs (21 ans et plus) se monte à quelque 1 250 000 ; les sunnites sont 850 000, les chiites 835 000, les druzes 180 000 et les alaouites 27 000. Certes, nul n’ignore que la signification de ces chiffres doit être relativisée (marge d’erreur non négligeable et émigration). Ensuite, les chrétiens sont très minoritaires par rapport à l’ensemble des musulmans. Mais sur le plan politique, et donc électoral, l’équation chrétiens-musulmans est, on le sait, dénuée de signification. D’où vient-il alors qu’il existe un déséquilibre électoral réel entre chrétiens et sunnites, chrétiens et chiites et même entre chrétiens et druzes ? Les causes de ce déséquilibre trouvent leur origine dans trois paramètres qui n’ont qu’un lointain rapport avec le déclin numérique global des chrétiens.


Tout d’abord, il convient de constater que pour ce qui est du lieu d’état-civil, les chrétiens sont répartis sur l’ensemble du territoire de façon beaucoup plus étendue que les musulmans. Il y a un grand nombre de villes et de villages sunnites, chiites ou druzes comprenant des minorités chrétiennes. En revanche, les communautés musulmanes sont beaucoup mieux concentrées dans certaines zones ; les localités sunnito-chiites se comptent sur les doigts de la main et il existe encore moins de bourgades druzo-sunnites ou druzo-chiites.


Il résulte de cet état de fait qu’il y a relativement peu de régions mixtes où sunnites, chiites et druzes sont minoritaires par rapport aux chrétiens, et même les uns par rapport aux autres si l’on ne prend en compte que les découpages administratifs et électoraux adoptés jusqu’ici.


Le deuxième paramètre découle de la tendance traditionnelle chez les chrétiens à se rendre aux urnes moins massivement que leurs compatriotes musulmans. Et cette tendance est aggravée par le sentiment d’impuissance d’une grande partie des électorats chrétiens dans les régions à majorité musulmane, là où en raison du contexte politique les résultats du scrutin sont connus à l’avance. Il est permis de penser qu’à l’ombre d’une configuration différente, à l’issue moins certaine, les chrétiens seraient plus nombreux à participer au vote.
Enfin, le troisième paramètre à l’origine du déséquilibre – et probablement le plus important – réside dans la division politique (50/50 en 2009) propre aux chrétiens, qu’il ne s’agit nullement de stigmatiser ici. Au contraire, elle est parfaitement conforme à ce que doit être une démocratie pluraliste et c’est la situation de quasi-monopoles dans les autres communautés qui l’est bien moins. Mais il se trouve qu’en raison de ce décalage (pluralisme ici, monopole là), une minorité sunnite, chiite ou druze peut décider de l’issue du scrutin même dans les circonscriptions à grande majorité chrétienne (Baabda, Jbeil ou Jezzine, par exemple).

L’importance du découpage électoral
De tout ce qui précède, il ressort que le déséquilibre est tributaire d’une configuration donnée d’ordre géographique, aggravée par un contexte politique qui pénalise les entités confessionnelles non monolithiques. Toute tentative de corriger ce déséquilibre doit donc partir de ce constat.


Dès lors, il devient aisé de saisir toute l’importance du découpage des circonscriptions dans l’opération de correction. De fait, l’essentiel du problème se résume à une manipulation géographique. Un exemple suffirait à illustrer cette affirmation : prenons une circonscription A, formée aux deux tiers d’électeurs chrétiens et à un tiers d’une communauté musulmane, qu’elle soit sunnite, chiite ou druze. Étant donné le contexte politique, il est certain que c’est la minorité musulmane qui va décider du sort des urnes dans cette circonscription.


Prenons à présent une circonscription B, formée d’un tiers de chrétiens, un tiers de sunnites et un tiers de chiites. Dans la circonscription A, les électeurs chrétiens sont majoritaires, mais, comme on l’a vu, ils ne peuvent y déterminer le résultat du scrutin ; dans la B, ils sont minoritaires et c’est pourtant leur vote qui y sera décisif, puisqu’on sait qu’en raison du contexte politique, le tiers sunnite et le tiers chiite s’y neutraliseront mutuellement.


Il suffirait donc, quel que soit le mode de scrutin adopté, de procéder à un découpage qui augmenterait sensiblement le nombre de circonscriptions de type B, presque inexistantes aujourd’hui, pour que l’on se rapproche de l’équilibre tant désiré. Cela est possible, à condition de ne pas se laisser enfermer totalement dans les divisions administratives actuelles.


Certes, on n’arriverait pas à faire élire tous les députés chrétiens par des électorats chrétiens, mais ce serait également le cas pour un nombre de députés musulmans. Une telle interaction entre chrétiens et musulmans est, sans nul doute, préférable au séparatisme rigide du projet orthodoxe et bien plus en harmonie avec la philosophie qui sous-tend le pacte national et le principe de la coexistence.


L’exemple des circonscriptions A et B montre bien qu’en ce qui concerne les élections, la question de la baisse de leur proportion globale n’est qu’une sorte d’épouvantail que les chrétiens ont mis en place eux-mêmes pour se faire peur ou pour expliquer ce qu’ils croient être leur « déclin » politique.

 

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Pour mémoire:

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