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À La Une - Éclairage

Le piège électoral

Et si, au final, le projet de loi électorale dit « grec-orthodoxe » passait ? La question était absurde il y a quelques semaines encore, tant ce projet, qui prévoit en gros que chaque communauté élise ses députés, paraît aux antipodes de ce qui est généralement et publiquement prôné au Liban. Mais d’une manœuvre à l’autre, l’idée est en train de faire son chemin.

 

Au départ, il ne s’agissait même pas du projet préféré du bloc aouniste. Mais face à la volonté affichée du général Michel Aoun d’améliorer la représentativité chrétienne aux législatives, et après l’accueil glacial réservé au projet du gouvernement qui prévoit le scrutin proportionnel, et pour satisfaire Bkerké, qui voulait un accord minimal des instances chrétiennes, ce projet a été accepté.

 

De son côté, le chef des Forces libanaises Samir Geagea croyait qu’en donnant son accord à ce projet, qu’il sait rejeté par ses alliés, notamment le courant du Futur, il mettrait son rival et adversaire Michel Aoun au pied du mur, d’autant que le projet en question est contraire aux thèses prônées par le Hezbollah et le mouvement Amal. Il croyait donc faire ainsi d‘une pierre deux coups : d’une part, se présenter comme le véritable défenseur des droits chrétiens, notamment aux yeux de Bkerké avec qui il a intérêt à améliorer ses relations, et d’autre part, jeter la balle dans le camp de Aoun en le laissant se débrouiller avec ses alliés.

 

Ce plan aurait pu fonctionner si le Hezbollah et Amal n’avaient pas décidé d’appuyer leur allié chrétien quelle que soit la formule qui lui paraît souhaitable. C’est ainsi que le 8 Mars dans son ensemble semble appuyer le projet de loi dit « grec-orthodoxe », alors que Samir Geagea a été abandonné par ses alliés, le courant du Futur ayant ouvertement exprimé son rejet de ce projet, alors que les Kataëb, qui l’ont appuyé à Bkerké, se font plutôt discrets sur le sujet.

 

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Indépendamment de l’exploitation politique de cette situation, qui ne manque pas d’être faite par le bloc aouniste avec des déclarations du genre : « Regardez la différence entre nos alliés et les leurs, regardez comment nous décidons et nos alliés nous suivent... », les députés sont placés devant une équation nouvelle qui se résume ainsi : s’il y a un vote au Parlement aujourd’hui et si les positions publiques se traduisent concrètement, le projet dit grec-orthodoxe pourra obtenir la majorité des voix, et ce qui avait commencé comme une manœuvre politique pour cacher les véritables désirs des deux camps pourrait bien devenir une réalité !


C’est d’ailleurs ce qui a aussitôt poussé le leader druze Walid Joumblatt à réagir en mobilisant ses alliés au sein du gouvernement et au pouvoir, notamment ceux qui prônent, comme lui, l’émergence d’un groupe centriste. Le président de la République et le Premier ministre ne se sont d’ailleurs pas fait prier pour exprimer leur désapprobation à l’égard de ce projet.

 

Mais la position la plus catégorique est venue du chef de l’État qui a menacé de rejeter le projet, même s’il est adopté au Parlement, sur la base des articles 19 et 57 de la Constitution, en déposant un recours pour anticonstitutionnalité devant le Conseil constitutionnel ou en le renvoyant au Parlement. Le président affirmerait ainsi que ce projet est contraire à l’esprit de la Constitution et à celui de la coexistence entre les communautés, tout comme il aiguise les divisions confessionnelles et communautaires.

 

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Mais si ce scénario devait être exécuté, il devrait prendre un peu de temps, ce qui placerait les différentes parties devant deux possibilités : soit organiser les élections à la date prévue sur la base de la loi actuelle – puisque les députés n’ont pas le temps de s’entendre sur une nouvelle formule –, soit les reporter pour permettre à l’initiative du chef de l’État de suivre son cours juridique et procédural. Ce serait donc une décision grave dont le président de la République devrait assumer la responsabilité. Les milieux proches de Baabda précisent à cet égard que le chef de l’État ne souhaiterait pas arriver à cette extrémité et préférerait que la commission restreinte qui se réunit actuellement pour examiner les différents projets de lois aboutisse à un accord valable qui pourrait obtenir l’aval de toutes les parties et qui ne serait donc ni la loi actuelle ni le projet grec-orthodoxe.

 

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C’est dans ce cadre que le Premier ministre Nagib Mikati a soudain ressuscité le projet de loi présenté par la commission dite Fouad Boutros qui prévoit en résumé l’élection de 77 députés par un scrutin majoritaire sur la base du caza et 51 par un scrutin proportionnel avec les mohafazats comme circonscriptions électorales, après avoir découpé Beyrouth en trois circonscriptions et le Mont-Liban en deux. Mikati ne cache pas son enthousiasme pour ce projet, et ses proches affirment aux sceptiques que ce mélange de deux modes de scrutin est actuellement adopté dans de nombreux pays comme l’Allemagne ou même le Japon. Il ouvre aussi la voie aux petites formations en leur donnant une chance d’arriver au Parlement.


C’est dans ce contexte compliqué que la commission parlementaire représentant les différents blocs se réunit pour étudier les projets de lois électoraux. Derrière les sourires, les positions restent antagonistes, et si les députés membres de la commission se sont engagés à garder secrets leurs débats, ils ont peu de chances de parvenir à un accord en quelques jours alors que la crise syrienne continue d’évoluer dans le flou.

 

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