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À La Une - Présidentielle française

Marine Le Pen regarderait Juppé, Copé et Fillon essayer, en se déchirant, de sauver le Titanic...

Directeur de recherche à l’IRIS, le Franco-Libanais Karim Bitar dissèque pour « L’Orient-Le Jour » au (double) scalpel le paramètre Front national, propulsé le 22 avril au cœur de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, et en prévoit les répercussions sur l’après-6 mai, surtout en cas de défaite du président sortant.

Marine Le Pen, candidate du Front National à la présidentielle française. France 2/AFP

Un score historique et sans appel au premier tour : 17,9 % pour le FN. Vote de contestation conjoncturel ou choix beaucoup plus idéologique et réfléchi ?


« Depuis la première percée du FN aux élections européennes de 1984 et jusqu’au 21 avril 2002, date de la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles, il était coutumier de qualifier le vote FN de vote protestataire. Mais en fait, dès le milieu des années 1990 et jusqu’à aujourd’hui, il s’est avéré que ce parti dispose d’une assise électorale solide et permanente, qui se manifeste aussi bien à l’échelle locale qu’à l’échelle nationale, et qui n’est pas réductible à l’expression d’une mauvaise humeur. Le politologue Martin Schain de New York University a montré que depuis 1997, la fidélité de l’électorat du FN d’un scrutin à l’autre est aussi forte sinon plus forte que celle de l’électorat des autres partis. Cela fait déjà quinze ans que le FN est le 3e parti de France. Aujourd’hui, on peut estimer qu’au moins la moitié des électeurs du Front national expriment un véritable vote d’adhésion à la vision du monde de ce parti. À côté de ce socle de base, il y a ceux qui votent pour le FN pour des raisons plus conjoncturelles : volonté de donner un coup de pied dans la fourmilière, agacement, sentiment d’avoir été bernés par les promesses non tenues de Sarkozy, exaspération devant le style de ce dernier », énumère Karim Bitar.


Le directeur de recherche à l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques) juge que loin donc d’être uniquement un « vote protestataire », le vote FN a réussi sa « pénétration idéologique », le parti s’est « normalisé », et cette normalisation est dangereuse parce qu’elle pèse désormais lourdement sur la stratégie, les discours et les priorités de la « droite classique », et même sur l’électorat de gauche, tant les thématiques frontistes sont devenues centrales et même hégémoniques dans le discours ambiant.

Pour les 30 prochaines années...
« De plus, Marine Le Pen est jeune, dynamique et déterminée. Il faudra donc compter avec elle pour les 30 prochaines années. Elle a su conserver les fondamentaux de son parti (l’obsession identitaire, la phobie du pluralisme, du métissage et de la diversité, la fixette sur l’islam et sur l’immigration) tout en l’ouvrant à d’autres thématiques beaucoup plus sociales, en réclamant notamment la mise en place d’un protectionnisme. Alors que son père était en économie un libéral reagano-thatchérien, elle exige l’instauration de barrières douanières et veut un État fort et le maintien des protections sociales. En outre, elle s’efforce de mettre en sourdine l’antisémitisme traditionnel de son parti, et se concentre sur le créneau aujourd’hui plus porteur de l’islamophobie. Elle a même fait plusieurs ouvertures envers Israël. Elle a rencontré l’ambassadeur d’Israël à l’ONU, et son conjoint Louis Aliot, vice-président du FN, a fait un voyage en Israël et a même visité des colonies. Autre élément à signaler pour ce qui est de la politique étrangère du FN : Marine Le Pen est de plus en plus russophile et ne cache pas son admiration pour Vladimir Poutine. Ceci expliquant en partie cela, certains proches de Marine Le Pen sont aujourd’hui très actifs dans le soutien à Bachar el-Assad », relève-t-il.


Le FN est-il un parti républicain ? Est-ce qu’il n’y a pas, pour une fois, du bon sens dans le constat de Sarkozy : la candidature de Marine Le Pen a été validée, elle est donc compatible avec la République ?


« Pour répondre à cette question, il faut distinguer entre le “jeu démocratique” et les “valeurs républicaines”, entre la “légalité” et la “légitimité républicaine”, et il n’est pas aisé de définir ce que sont les “valeurs républicaines”. Pour ce qui est du jeu démocratique, le Front national a en effet jusqu’à aujourd’hui respecté les règles de base, participé aux élections, accepté ses défaites sans rechigner. On ne peut pas pour autant lui décerner, comme l’a fait Sarkozy, un brevet de républicanisme. Jacques Chirac s’y était toujours opposé. Il avait même refusé de débattre avec Jean-Marie Le Pen, qui était pour lui “l’incarnation de l’intolérance et de la haine”. »


« Si les électeurs du Front national sont, dans leur grande majorité, de bons républicains, on ne peut pas pour autant considérer que l’idéologie du parti est compatible avec les valeurs républicaines. Quand Jean-Marie Le Pen affirme haut et fort qu’il croit en “l’inégalité entre les races”, il se place lui-même en contradiction avec la Constitution et avec les lois et valeurs de la République. Quand très récemment, en plein cœur d’un meeting politique, il récite un poème du pro-nazi Robert Brasillach, figure de proue du collaborationnisme, il ne peut pas ensuite se plaindre de ne pas être considéré comme républicain », rappelle Karim Bitar.

« La Gueuse »
« Même la porte-parole de Sarkozy, Nathalie Kosciusko-Morizet, écrivait il y a quelques mois, avant que son patron ne commence la danse du ventre devant les électeurs lepénistes, que le FN était “profondément antirépublicain”. En outre, même si cela commence à évoluer avec Marine, les cadres du Front national ont longtemps rejeté eux-mêmes la République et ses valeurs. Ils appellent la République “La Gueuse”. Un grand nombre de hiérarques du FN étaient des contre-révolutionnaires, des monarchistes n’ayant jamais digéré la Révolution française, des nostalgiques de Pétain et du régime de Vichy, ou encore des anciens de l’OAS. Eux-mêmes ne souhaitaient pas qu’on les qualifie de républicains. Leurs références idéologiques demeurent celles de penseurs violemment antirépublicains. Et les vieux réflexes ont la vie dure. Sur le blog de Louis Aliot, le compagnon de Marine Le Pen, on peut lire un vibrant hommage à Bastien-Thiry, l’homme qui a organisé l’attentat du Petit-Clamart contre le général de Gaulle. Longtemps, les principales caractéristiques du FN ont été la nostalgie de Vichy et de l’Algérie française, et l’antigaullisme viscéral. C’est ce qui avait conduit Alain Juppé, beaucoup plus imprégné que Sarkozy des fondamentaux du gaullisme, à déclarer à propos des partisans du FN : “Entre eux et nous, il y aura toujours... une croix de Lorraine”, en référence à la résistance gaulliste contre Vichy. Avec Sarkozy, toutes les digues morales et éthiques qui séparaient l’extrême droite de la droite républicaine sont en train de sauter », juge le chercheur.

Punir le braconnier
Marine Le Pen souhaite-t-elle le plus ardemment possible la victoire de François Hollande ? Si oui, comment peut-elle faire pour endiguer la tendance des 40 % de ses voix censées se déverser sur le candidat de droite ? Peut-elle se prononcer le 1er mai et créer alors une des plus grandes surprises de ces élections ?


« Elle ne se prononcera sûrement pas ouvertement et renverra les deux candidats dos à dos, mais au fond d’elle-même, Marine Le Pen souhaite en effet une défaite de Sarkozy. D’abord pour le punir d’avoir braconné sur ses terres depuis 2003 et d’avoir cherché à lui piquer son fonds de commerce. Ensuite parce qu’elle craint toujours que son bagout, son cynisme et son indiscutable talent en matière de politique politicienne ne continuent d’attirer à lui une partie des électeurs du FN. Enfin, parce qu’elle n’a plus vraiment besoin de lui. En rompant avec la stratégie chiraquienne du refus des compromissions avec l’idéologie du FN, en allant aussi loin dans l’outrance et la droitisation, Sarkozy a de facto légitimé les thèses du FN, qui sont devenues mainstream. D’un point de vue stratégique, Marine Le Pen pense donc à 2017, et souhaite qu’une défaite de Sarkozy provoque une implosion de l’UMP, qui lui permettrait d’en récupérer la partie la plus droitière et de se poser ainsi en principale force d’opposition. Il est en effet à prévoir qu’une telle défaite va faire naître de violentes querelles intestines au sein de l’UMP. Il y aura d’un côté une guerre des chefs (Copé/ Fillon/ Bertrand/ Juppé...), et de l’autre des mises au point idéologiques, où l’on verra les vieux gaullistes, les humanistes, les centristes remettre en question les choix et critiquer les dérives du sarkozysme, une fois qu’ils ne seront plus tenus au silence par la crainte de faire perdre leur camp », estime Karim Bitar.

Convaincre Merkel
Est-ce que le PS doit s’adresser aux électeurs FN? Si oui, comment? Si non, pourquoi?


« Oui, il faut absolument s’adresser à cet électorat. Personne ne peut se permettre d’ignorer 6,5 millions d’électeurs. Mais il faut s’adresser à eux non pas pour flatter leurs bas instincts et conforter leurs préjugés, mais pour prendre en compte leur désarroi et leur souffrance. Seule une infime partie de l’électorat FN est composé de racistes et de xénophobes invétérés. Les autres sont pour la plupart des patriotes sincères, mais malheureux et désarçonnés, des laissés-pour-compte de la mondialisation. La stratégie des années 1980 et 1990 pour affronter le FN, celle du mépris et du “cordon sanitaire”, s’est avérée malencontreuse. Les classes populaires se sont massivement tournées vers le Front national, qui est devenu pendant longtemps le premier parti ouvrier de France. Nombre d’anciens bastions communistes sont devenus des bastions du Front national. Ce vote est donc souvent l’expression d’une colère sociale, d’une volonté d’en finir avec un “système” perçu comme foncièrement injuste. Beaucoup d’électeurs ont d’ailleurs hésité entre Le Pen et Mélenchon », souligne Bitar.


« Les réponses doivent donc relever en grande partie de la politique sociale et économique. On ne peut plus continuer de maintenir la pression à la baisse sur les salaires, d’accepter la désindustrialisation et de dire à ceux qui souffrent : “Nous n’avons pas le choix, c’est la mondialisation, nous devons maintenir notre compétitivité face à la Chine.” Il faut concilier la maîtrise budgétaire avec des politiques incitatives à la croissance. Une austérité absolue fragiliserait encore plus l’économie française et ferait encore augmenter la base électorale du FN. Hollande a bien compris cela et va s’efforcer de convaincre Merkel que l’austérité ne peut pas être l’alpha et l’omega des politiques économiques. Paul Krugman, Prix Nobel d’économie, lui a apporté son soutien, ainsi que 60 des économistes français les plus réputés. Mais il n’est pas du tout certain qu’Hollande parviendra à convaincre Merkel », met en garde Karim Bitar.

Buisson ardent...
La stratégie Patrick Buisson risque-t-elle de commencer à s’esquisser au lendemain du 6 mai – et surtout d’une éventuelle victoire du PS au soir du 17 juin ? Celle de voir toutes les droites, du MoDem au FN, se diriger, très lentement certes, vers une fusion au sein d’un Parti de la France ? Risque-t-on d’aller vers un champ de ruines UMP ?

Marine Le Pen pourrait-elle prétendre au titre de chef de l’opposition en cas de victoire d’Hollande, ou est-ce uniquement tributaire du score du FN aux législatives et des résultats finaux de celles-ci ?


Sarkozy avait réussi en 2007 à unir tous les courants de la droite française. Les historiens soulignent depuis René Rémond que la droite française depuis le XIXe siècle se divise en 3 courants principaux : droite légitimiste, droite orléaniste, droite bonapartiste. Aujourd’hui, on retrouve les succédanés de ces 3 courants : il existe une droite traditionnaliste, catholique, celle des valeurs, de la patrie, de l’ordre ancien. Une autre droite est une droite plus modérée, plus humaniste, plus européenne, plus socialement libérale, plus orientée vers le business et les affaires. Finalement, il y a la droite gaulliste, étatiste, jacobine, volontariste, protectrice des plus faibles. Sarkozy avait brièvement réussi à unir ces familles, mais aujourd’hui chacune d’entre elles a des reproches à adresser au sarkozysme : les catholiques ont été choqués par sa politique envers les Roms qui a révolté Benoît XVI, la vieille France lui reproche la vulgarité, le bling bling, l’ostentation et l’inculture crasse de nombre de ses ministres, les libéraux lui reprochent d’avoir été trop dépensier, trop étatiste et d’avoir exercé un pouvoir personnel au mépris des institutions, des corps intermédiaires et des contre-pouvoirs, les autres lui reprochent d’avoir été le fossoyeur décomplexé de ce qui restait du gaullisme, d’avoir prêté allégeance à George W. Bush et d’avoir réintégré la France au sein du commandement militaire intégré de l’OTAN sans rien obtenir en contrepartie.


Une défaite de Sarkozy, surtout si elle est lourde, entraînera une complète redistribution des cartes, dès le lendemain de la présidentielle, mais surtout après les législatives de juin. Certains, comme Alain Juppé, vont s’efforcer de sauver l’unité du parti en revenant aux fondamentaux, mais à moyen terme, un éclatement de l’UMP est possible. Les uns rejoindraient le Front national, les autres se rallieraient à un François Bayrou qui a été l’un des critiques les plus constants et les plus percutants du sarkozysme (notamment dans son livre Abus de pouvoir) et chercheraient à reconstruire un centre-droit libéral, humaniste, et européen. Copé aura en tout cas bien du mal à sauver la boutique et à incarner la continuité du sarkozysme.

 

Repère présidentielle

Sarkozy et Hollande : ce qu'ils proposent aux Français

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