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À La Une - Le billet

Poêlée de sauterelles sur son lit de girolles

« Depuis 2008, la FAO recommande de consommer
des insectes plutôt que de la viande, pour des considérations
à la fois économiques et écologiques ».
« Le Figaro », 20/01/2011

 

 

 

Le samedi matin, elle avait l’habitude de faire son marché. Une respiration après une semaine trop chargée, un élan avant un dimanche trop oisif.


Le samedi matin, après avoir avalé un bon demi-litre d’un thé léger, elle enfilait ce qui lui tombait sous la main. Pourvu que la chose soit difforme, trop grande, douce sur la peau et dotée d’une poche assez large pour y fourrer un porte-monnaie, une clé et un mouchoir en papier – elle avait souvent la goutte au nez le samedi matin au marché –, la chose était validée et sitôt enfilée.


Attifée comme une star hollywoodienne un jour de grande relâche, elle partait au marché la main gauche enfoncée dans sa grande poche, la droite tirant, avec une nonchalance étudiée, le vieux caddie que sa mère lui avait refilé quand elle-même s’en était acheté un nouveau à grosses roues. Quand elle sentait, à ses côtés, le caddie rouler comme un chien des villes bien élevé, montait en elle un grand sourire : le week-end avait commencé.


Avant de sortir de chez elle, elle avait jeté, par principe, un coup d’œil dans le réfrigérateur. Et eu la confirmation visuelle de ce qu’elle savait déjà : un frigo vide est un frigo triste.


Le temps du chemin entre sa maison et le marché, elle tenta d’établir mentalement une liste des courses. Ce matin-là, l’effort intellectuel était d’autant plus intense qu’elle recevait, le soir même, un couple d’amis gourmets. Il allait falloir les nourrir, et bien de surcroît.


Elle en était encore à se demander ce qu’elle pourrait faire en entrée, quand elle arriva devant l’étal du marchand de primeurs. Elle commença par les habitués de son fond de caddie, un kilo de tomates joufflues, quelques concombres fringuants, une belle laitue... Puis elle tomba en arrêt devant une caisse dans laquelle reposait une assemblée de girolles. Des girolles soyeuses, des girolles comme la quintessence d’un automne idéal. Ces girolles, pensa-t-elle, finiraient dans une assiette le soir même. Elle en prit de belles poignées. Elle prit aussi un kilo de bananes, parce que les sous-bois, c’était sympa, mais les tropiques aussi.


Puis, il fut temps de passer aux choses sérieuses. Chez M. Jean, le gueulard du marché, la sauterelle était en promo. 7 dollars le kilo. Elle hésitait toujours devant la sauterelle. Celles de M. Jean étaient magnifiques, dodues, fraîches, la patte semblant prête à un ultime bond et l’œil d’un noir vibrant. Planait sur le bac à sauterelles comme une stridulation. De la matière à poêlée.


Le problème de la sauterelle, c’était la préparation. Enlever les antennes, décrocher les pattes... Bien sûr, elle pouvait tout laisser. Mais les pattes et les antennes étaient un peu comme les noyaux des cerises. Dans le clafoutis, le noyau ne change rien au goût, mais c’est tout de même mieux sans.


« Allez ma jeune dame, elles sont belles mes sauterelles. Vous n’allez pas laisser passer ça ! »


L’exhortation de M. Jean finit de la convaincre. Elle prit un kilo de sauterelles. Sur un lit de girolles, elles seraient parfaites.


Elle réfléchit à l’entrée. À l’extrême gauche de l’étal, des vers grouillaient dans un aquarium.
« Première fraîcheur, dit M. Jean en suivant le regard de la jeune femme. Je vous en mets une poignée ? »
M. Jean avait aussi des vers de bambou. Mais elle les trouvait trop longs ces vers, trop secs aussi.
« Allez, je vais vous prendre 250 g de vers nature », dit-elle finalement. Grillés au four, légèrement salés et poivrés, ils feraient une mise en bouche simple et légère. Idéal avec le petit Chablis qui se languissait dans la solitude du frigo.
Restait le dessert. Elle hésitait. M. Jean était habitué à son indécision. Il la laissa réfléchir en s’occupant des autres clients qui faisaient la queue.


Elle se souvint des bananes. Pourquoi ne pas faire des bananes flambées aux abeilles ? Elle n’avait jamais rencontré quelqu’un qui n’aimait pas les bananes flambées aux abeilles. Et quelle simplicité en termes de préparation !


Elle repartit avec 500 grammes d’abeilles.


Près de la sortie du marché se trouvait le confiseur. Elle tenta de ne pas s’arrêter, mais ne pouvait empêcher son œil de glisser sur les boîtes, plateaux et bocaux de l’artisan. Elle vit des fourmis enrobées de chocolat blanc. Le chocolat blanc, ce n’était pas son truc, mais ses enfants en étaient fanas. Elle se dit que quitte à ce qu’ils se goinfrent de sucreries, autant éviter les cochonneries industrielles. Elle prit un sachet de fourmis. Elle prit aussi une boîte de bonbons papillons à la myrtille. Elle allait voir sa mère mercredi. Les bonbons aux papillons lui feraient plaisir.
Elle jeta un coup d’œil à sa montre. Il était déjà midi, elle se mit sur le chemin du retour. Au coin de sa rue, elle acheta une pizza aux grillons. Pour le déjeuner. Les gourmands seraient comblés.

« Depuis 2008, la FAO recommande de consommerdes insectes plutôt que de la viande, pour des considérationsà la fois économiques et écologiques ».« Le Figaro », 20/01/2011
 
 
 
Le samedi matin, elle avait l’habitude de faire son marché. Une respiration après une semaine trop chargée, un élan avant un dimanche trop oisif.
Le samedi matin, après avoir avalé un bon demi-litre...

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