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Économie - Liban - Focus

Pourquoi de nombreux Syriens ne peuvent pas ouvrir un compte bancaire au Liban

Depuis le début du conflit en Syrie, l'accès des immigrés à ce service financier est de fait considérablement entravé par les banques, qui craignent les risques liés aux sanctions internationales.

Les sanctions du Trésor américain visant le régime syrien et ses proches, instaurées en 2011, ont été mises à jour le 21 juillet par le Bureau de contrôle des avoirs étrangers du Trésor américain. Photo vverve/Bigstock

« Cela fait plus de huit mois que j'essaie d'ouvrir un compte en banque au Liban », explique Wissam*, un ingénieur syrien vivant au Liban depuis plus de quatre ans. « J'ai essayé environ cinq banques renommées au Liban, qui m'ont toutes fait comprendre que ce serait très compliqué, voire impossible », confirme Waed*, une graphiste syrienne résidant à Beyrouth. « Je me suis rendue dans plus de six établissements, avec mon passeport américain, mais dès que la banque remarquait que j'étais née en Syrie, ils me refusaient catégoriquement le droit d'ouvrir un compte du fait de ma nationalité », se souvient Rasha, journaliste pour un média américain à Beyrouth en 2012 et qui vit désormais à Washington.
« Lorsque j'ai contacté trois banques, elles m'ont soit directement refusé l'ouverture d'un compte du fait de ma nationalité, soit demandé plusieurs documents, tout en m'expliquant que ce serait compliqué, quelle que soit ma situation, et que cela pourrait prendre plusieurs mois », détaille Wissam. Parmi les documents demandés, un permis de séjour (de résidence, de travail ou un visa étudiant), un document d'identité, une attestation de résidence et des documents prouvant la provenance des fonds, comme par exemple des reçus de transferts de Western Union. Aucune des quatre banques libanaises contactées n'a souhaité faire de commentaires sur ce dossier.

« Nid de vipères »
« Les banques refusent généralement d'ouvrir un compte bancaire à un ressortissant syrien », confirme une source haut placée dans le secteur financier. La raison ?
Les sanctions financières internationales visant le régime syrien et les proches de Bachar el-Assad. Outre des résolutions du Conseil de sécurité de l'Onu (de 2013 et 2014) et la liste noire de l'Union européenne (actualisée depuis mai 2013), les banques redoutent surtout les sanctions du Trésor américain mises en place depuis le début de la guerre en 2011, qui gèlent les avoirs américains des personnes ainsi que des entités désignées, et qui interdisent toute transaction entre des Américains et les personnes et les entités ciblées. Une liste qui a été réactualisée le 21 juillet par le Bureau de contrôle des avoirs étrangers du Trésor américain (Ofac), qui y a inclus 15 nouvelles entrées – huit individus et sept sociétés. Différents groupes terroristes se battant en Syrie, comme le groupe État islamique (EI) ou le Front al-Nosra, sont également visés par des sanctions.

Au Liban, « les banques évitent d'ouvrir des comptes aux ressortissants syriens par peur des sanctions américaines. C'est une mauvaise pratique de de-risking local (NDLR : une aversion excessive du risque pouvant pousser à couper les relations bancaires avec toute une catégorie de personnes) », souffle un autre acteur du secteur. « J'ai adressé une plainte pour discrimination contre les banques auprès de l'ambassade américaine. Celle-ci m'a répondu que cela ne devrait pas se passer comme cela, mais rien n'a changé après ma plainte », explique Rasha.
« La majorité des Syriens fortunés ont plus ou moins travaillé avec le régime ou avec sa bénédiction. En tant que banquier, si j'ouvre un compte bancaire en dollars à un ressortissant syrien qui s'avère plus tard être le prête-nom d'un proche du régime de Bachar el-Assad ou quelqu'un visé à l'avenir par la liste noire de l'Ofac, je prends un risque démesuré. Et s'il est contre le régime, peut-être qu'il est avec des groupes comme le Front al-Nosra ou l'EI. Étant donné que les alliances en Syrie changent très vite, dans le doute, nous refusons d'ouvrir les comptes. Iriez-vous dans un nid de vipères pieds nus, même si dans ce nid il existe des animaux inoffensifs ? » justifie un banquier sous couvert d'anonymat. « Ils sont pris en otage par la communauté internationale, pas par les banques », ajoute-t-il.
« Nous ouvrons des comptes aux ressortissants syriens seulement en livres libanaises car les sanctions américaines visent les transactions en dollars. Dans ce cas-là, la procédure est très simple, nous devons juste nous assurer de la source des fonds », avance un autre banquier sous couvert d'anonymat. « Lorsque j'ai demandé à cette banque s'il était possible d'ouvrir un compte, un employé m'a répondu qu'elle n'ouvrait pas de comptes aux ressortissants syriens », rétorque Waed. « Ouvrir un compte en livres libanaises n'a jamais été une option », confirme Rasha. « En théorie, ils pourraient ouvrir un compte en livres libanaises, mais si le client détient une carte de paiement international, le risque reste le même », confirme le premier banquier cité.


(Lire aussi : La reconstruction de la Syrie guettée par les entrepreneurs libanais)

 

« Pas vocation à rester »
Il ajoute que ce risque n'en vaut d'autant pas la chandelle dans la mesure où la fidélisation de ces clients aurait un intérêt commercial limité. « Même s'il possède tous les documents requis, à quoi sert-il d'ouvrir un compte à quelqu'un qui n'a pas vocation à rester au Liban ? La question est donc moins compliquée que pour l'application des sanctions du Trésor contre le Hezbollah, car il s'agit là de Libanais. »

Mais il existe certaines exceptions. Premièrement, les clients qui avaient des comptes avant ces sanctions ont pu garder leurs comptes ouverts, à condition que leurs transferts internationaux ne se fassent pas en dollars, pour éviter de prendre un risque vis-à-vis de leurs banques correspondantes. De même, les comptes en livres libanaises pour les anciens clients sont tolérés. « Ce sont généralement des personnes établies au Liban depuis des dizaines d'années », explique-t-il.
Autre exception : si la personne travaille dans une société libanaise dont les salaires sont domiciliés à la banque et qu'il possède un permis de travail, « mais c'est une part très minime de la population syrienne au Liban », explique la première source bancaire précitée. « Finalement, la compagnie pour laquelle je travaillais a pu m'ouvrir un compte courant à la banque où elle était domiciliée afin qu'ils puissent me transférer mon salaire », explique Rasha.
Autre possibilité: si la personne ou son garant possédait déjà un compte bancaire au sein de la même banque en Syrie. « Mon père possède un compte dans une banque libanaise en Syrie, un employé de cette banque a plaidé ma cause auprès de mon agence à Beyrouth et j'ai finalement réussi à déposer un dossier solide, car ils pouvaient s'assurer de la provenance des fonds. C'est seulement lorsqu'ils ont décidé d'ouvrir mon compte en banque qu'ils m'ont demandé de choisir entre un compte en livres ou en euro... » explique Wissam qui vient, finalement, de recevoir sa carte de débit en livres libanaises.

* Les prénoms ont été changés

 

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« Cela fait plus de huit mois que j'essaie d'ouvrir un compte en banque au Liban », explique Wissam*, un ingénieur syrien vivant au Liban depuis plus de quatre ans. « J'ai essayé environ cinq banques renommées au Liban, qui m'ont toutes fait comprendre que ce serait très compliqué, voire impossible », confirme Waed*, une graphiste syrienne résidant à Beyrouth. « Je me suis rendue...

commentaires (1)

Il faut respecter les normes et les lois...Bravo...

Soeur Yvette

11 h 56, le 30 juillet 2016

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Commentaires (1)

  • Il faut respecter les normes et les lois...Bravo...

    Soeur Yvette

    11 h 56, le 30 juillet 2016

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