Rechercher
Rechercher

À La Une - Turquie

Après le putsch raté, les universités turques en pleine tourmente

Quelques jours après la tentative de renversement du président Erdogan, 15 universités privées ont été fermées et 1.577 doyens du public et du privé poussés à démissionner. Un séisme.

L'université Murat Hudagendigar Universty fermée, le 27 juillet 2016. AFP / OZAN KOSE

Doyens poussés à la démission, enseignants derrière les barreaux, licenciés ou empêchés de quitter le pays, les universités en Turquie ont pris de plein fouet la purge gigantesque lancée après le coup d’État avorté. Quelques jours après la tentative de renversement du président Recep Tayyip Erdogan, 15 universités privées ont été fermées et 1.577 doyens du public et du privé poussés à démissionner. Un séisme.

A l'Université Galatasaray d'Istanbul, dès l'échec du putsch, le personnel administratif est passé parmi les enseignants pour qu'ils dénoncent leurs collègues gulénistes, donnant le signal de la chasse aux sorcières.
Cette semaine, "les profs ont été convoqués pour écrire une lettre assurant qu'ils n'avaient rien à voir avec (Fethullah) Gülen", explique une enseignante à propos du prédicateur exilé accusé d'être derrière le coup d'État raté, et qui préfère garder l'anonymat.

Le recteur, à l'origine de cette mesure, a apparemment voulu protéger son personnel contre un retour de bâton. Cette prestigieuse université publique, plutôt kémaliste, a été l'une des plus "purgées". Tous ses doyens ont démissionné.

L'AKP, le parti islamo-conservateur d'Erdogan, a beaucoup investi dans l'enseignement supérieur depuis 2003, dans un pays où, depuis Atatürk, l'élite a toujours été bien formée. "L'effort a été considérable", indique une spécialiste de l'enseignement supérieur en Turquie, des universités ont été ouvertes "du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest", dont certaines accueillent jusqu'à 70.000 étudiants.

Le pays comptait cette année 207 universités -- 123 publiques et 84 privées. Et les 40 meilleures universités turques étaient tournées vers l'international: cursus en anglais, riches programmes d'échanges.
Jusqu'au putsch raté, qui a jeté les universités dans la tourmente.

 

(Lire aussi : En Turquie, 16.000 personnes en garde à vue, 50.000 limogées : les purges en chiffres)

 

Fantasme ou réalité
Le président Erdogan s'est lancé dans une guerre sans merci contre son ennemi intime Gülen et son noyautage présumé du monde universitaire. Avec les "dershane", ces écoles de bachotage avant le lycée ou l'université, les gulenistes ont formé des millions d'étudiants, sélectionnant les meilleurs, s'attirant leur loyauté et gagnant des fortunes.

Pendant dix ans, "Erdogan a mis des gulenistes partout dans les facs, plutôt que des AKP qui n'étaient pas éduqués", dit l'enseignante de Galatasaray. Mais des milliers de "dershane" ont été fermées en 2014 quand Gülen est devenu la bête noire d'Erdogan.

Fantasme ou réalité? Le poids des gulénistes dans les universités turques reste difficile à évaluer.
"Ce n'est pas un fantasme, mais disons que les gulenistes vivaient plus ou moins cachés", dit la spécialiste du monde universitaire, même si l'Université Fatih à Istanbul, par exemple, est un établissement privé notoirement guléniste.

A l'Université publique du Bosphore d'Istanbul, la plus prestigieuse de Turquie, vivier de libre-penseurs plutôt kémalistes, "personne ne m'a jamais dit +je suis un guleniste+ mais tous détestent Erdogan", explique une enseignante qui préfère elle aussi garder l'anonymat. "Les gens sont tristes, dégoûtés" par la purge, dit-elle. "Beaucoup ont perdu leur travail. Le pays repart en arrière".
Les universités turques ont déjà traversé des purges. "Mais celle-ci est lancée de manière officielle" relève la spécialiste du monde universitaire. "C'est très grave ce qui se passe".

Ibrahim Kabaoglu, professeur de droit, abonde. "On a passé plus de 30 ans sous l'État de siège, avec des licenciements de professeurs", mais "sous le régime constitutionnel, une telle pratique, c'est la première fois".

 

(Lire aussi : La purge en Turquie s'étend aux entreprises, des journalistes menacés de prison)

 

'Climat de peur
"Les gens préfèrent ne pas parler, ils ont très peur", dit la spécialiste de l'enseignement supérieur. Les chercheurs invités à l'étranger "ont dû revenir" pour des enquêtes sur eux. "Ça a créé un climat de peur, de tension, très mauvais pour la liberté intellectuelle, de pensée, de recherche", dit-elle.

Cette purge radicale touche de plein fouet les échanges universitaires avec l'étranger: programmes Erasmus avec l'Europe ou nombreuses bourses avec l'Amérique du Nord notamment. En France, la Conférence des présidents d'universités a dénoncé "l'entreprise de destruction" des universités turques et a indiqué que "pour des raisons de sécurité, un certain nombre d'établissements envisagent de ne pas envoyer leurs étudiants en Turquie". En Belgique, plusieurs universités n'enverront pas leurs étudiants en septembre.

Au Canada, les Universités McGill, l'Université de Toronto et l'Université du Québec à Montréal (UQAM) ont indiqué à l'AFP avoir suspendu les départs d'étudiants en Turquie à la rentrée prochaine. Une rentrée qui s'annonce très mal. "Sur quels critères seront recrutés les nouveaux enseignants?", demande Ibrahim Kabaoglu. "Sur leurs connaissances, leur spécialité, leur capacités? Ou bien sur leur appartenance?" Le gouvernement n'a pas répondu aux questions de l'AFP.

L'enseignante de Galatasaray s'inquiète, elle, pour ses milliers de confrères des universités privées ayant fermé. Ils "se demandent ce qu'ils vont faire. On ne les voit pas être réembauchés dans des facs publiques", dit-elle.

 

Lire aussi

Près d'Istanbul, un "cimetière des traîtres" pour les putschistes

« Profil bas » pour les communautés chrétiennes de Turquie

Pour Fethullah Gülen, la Turquie n'est plus une démocratie

La nuit du coup d'Etat manqué en Turquie : deux photographes de l'AFP racontent

Entre Ankara et Washington, « it's complicated ! »

Doyens poussés à la démission, enseignants derrière les barreaux, licenciés ou empêchés de quitter le pays, les universités en Turquie ont pris de plein fouet la purge gigantesque lancée après le coup d’État avorté. Quelques jours après la tentative de renversement du président Recep Tayyip Erdogan, 15 universités privées ont été fermées et 1.577 doyens du public et du privé...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut