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Culture - Bipod 2016

Les Vikings en habits et gestes d’Isadora Duncan

Deux spectacles de danse où les hommes pavoisent. En toute virilité. Douteuse pour l'un, emphatique pour l'autre.

La danse décortique la mémoire dans « Against the Current, Glow ». Photo Urban Joren

Deux chorégraphes, Trajal Harrel et Cristian Duarte, qui, à travers l'ensemble de ballet moderne Cullberg (Suède), explorent au Beryte (USJ) le langage des corps. De l'art d'offrir au regard la grâce du mouvement et la profondeur de perception de celui qui regarde. De la parodie délurée de mecs en femmes à un solo masculin hermétique, les garçons portent les jupes à défaut du caleçon...
Devant une salle à moitié vide, six jeunes danseurs, pieds nus, en chaussettes colorées, jeans, short, T-shirts, marcel, jupes et robes. Barbus ou rasés, les cheveux en bataille, en queue-de-cheval ou à la brosse, le muscle des bras et des jambes tendu, le torse bien sculpté, la cheville leste, les flexions souples, ils évoluent dans une lumière qui les porte comme dans un songe. Pour rappeler, disent-ils, qu'il y a cent ans, la danse outre-Atlantique ou en Allemagne était surtout à la gloire des femmes.
Une présence masculine style genre bien affirmé où les hommes incarnent sans complexe, avec une pointe d'ironie, d'humour et de sérieux, la grâce féminine. Un défilé groupant fermement approche humaine, tendresse, douceur, caresses maternelles, roulement de hanches, œillades femelles et minauderies. Une gestuelle qui jure avec ces gaillards du Nord, taillés en armoire et plus aptes à être footballeurs que dames de compagnie avec tasse de thé et mantilles. Et voilà que, sur les accords d'une guitare pour un air de fado ou des ritournelles sirupeuses, ils ont des bleus à l'âme, jouent avec des écharpes à la Isadora Duncan et tournent à la pointe des orteils comme des biches effarouchées...

Au bal des folles nordiques
Dans une identité qui n'a ni du samouraï, ni du chevalier, ni du père, ni du fils, ni du frère, ni de l'amant, ni de l'ami, ces danseurs, vidés de leurs essences masculines, virevoltent comme dans un caricatural bal des folles nordiques. Au meilleur ou au pire, un moment parfois entre Michou et Madame Arthur, avec des mollets et des tendons superactifs.
Ici, ce qui fascine le créateur-chorégraphe qui boit leur mouvement et les moule dans une œuvre qui parle au spectateur, c'est l'esprit de la danse. Qu'il évoque et convoque. Péremptoirement. Même avec des danseurs hommes. Comme pour affirmer la pérennité des sentiments, des passions, de tout ce qui est humain. Ce n'est pas exactement une parade, mais une confrontation comme à travers un miroir. Danseurs et spectateurs sont invités à se découvrir. Au sens premier et large du terme. D'où la fusion pour une communication entre scène et salle. Le silence et l'attention, au plus haut du baromètre, étaient les meilleures aunes pour juger de cette représentation de danse moderne pointue, à la fois insolite, condensée, provocatrice et quand même prenante malgré ses allures rigolotes. Oui, les hommes ont voix au chapitre de la danse et ne sont plus seulement le bras autour duquel la prima donna fait ses jetés, arabesques, brisés ou effet de cygne blanc ou noir.

(Lire aussi : « La chorégraphie de masse, une question de détails »)

 

Solo de barbe d'or
Petite intermission et reprise avec un solo encore masculin qui pourrait s'inscrire dans le même registre de préoccupation que le spectacle précédent. Du chorégraphe brésilien Cristian Duarte et sur une musique avec synthétiseur de Tom Monteiro, un danseur à la barbe d'or en performance solo.
Sous le titre Against the Current, Glow (Éclat, à contre-courant), la danse décortique la mémoire. D'un homme (ou d'une femme) qui a pour réflexe et attitude le support du mouvement qui habille une personnalité. Descente un peu énigmatique dans la profondeur de l'être pour retrouver tous les tics et tocs, toutes les sensations qui s'archivent et s'incrustent dans le corps, la flexibilité, les articulations, l'intimité de ce qui dicte une posture ou une position.
Il faut admettre que tout cela n'est pas évident, et philosopher en danse est une très mauvaise chose. Restent cette sensualité, cet aspect charnel (et acharné) par un homme littéralement possédé par la danse. Et on le regarde, avec curiosité, dans sa transe, ses pirouettes, ses circonvolutions, ses jambes arc-boutées, son torse bombé, son ventre plat et ses fesses rebondies. Ses pas et ses mouvements, même gesticulatoires, nerveux, maîtrisés ou compulsifs, l'obsèdent et l'habitent. Si ce solo tout en reptation vautrée, éparpillé n'est pas un succès garanti, ce n'est pas non plus un échec percutant. On se laisse aller et puis bof... La danse comme la vie, ce n'est pas toujours un tour de prouesse réussi.

* « The Return of the Modern Dance » de Trajal Harrel et « Against the Current, Glow » de Cristian Duarte, tous les deux avec la troupe suédoise de ballet Cullberg, se donnent (80 minutes) au théâtre Beryte ce soir à 20h30.

 

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