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Moyen Orient et Monde - Dossier spécial/Décryptage

Quatre idées reçues sur la guerre en Syrie

Guerre de religion ? Guerre énergétique ? La Syrie État laïc ? L'EI est une création de ?...

Alice Martins/AFP

Une guerre se livre sur tous les fronts, notamment sur celui de l'information. Le conflit syrien, qui rentre aujourd'hui dans sa sixième année, ne fait pas exception à la règle. Les puissances, les médias, les analystes livrent des récits multiples qui alimentent, consciemment ou non, la confusion sur la nature et les enjeux de ce conflit. Dans ce marasme d'informations, construit à partir d'une logique de storytelling, se confondent mythes et réalités. Les théories les plus loufoques, qui ne s'appuient sur aucun fait, sont relayées, notamment sur les réseaux sociaux, et impactent profondément la compréhension du grand public.
Retour sur quatre idées reçues sur la guerre syrienne, qui ont la dent dure.

La guerre en Syrie est une guerre de religion
Une guerre de religion est une guerre opposant les partisans de religion différente. Si la dimension confessionnelle du conflit syrien est impossible à écarter, cela n'en fait pas pour autant une guerre de religion. La thèse d'un simple affrontement entre la majorité sunnite, représentant plus de 72 % de la population syrienne et la minorité dirigeante alaouite, branche du chiisme, ne résiste pas à l'analyse factuelle.

Dans la foulée des printemps arabes, la rébellion est en marche, en 2011, contre le régime au pouvoir, jugé répressif et corrompu. Des manifestations transcommunautaires vont éclater dans tous le pays. Les chrétiens de Syrie, souvent caricaturés comme un bloc homogène et prorégime, vont participer à ces manifestations. À Daraya, ville de la banlieue sud de Damas majoritairement sunnite, où vivait une communauté chrétienne, les premières protestations pacifiques se feront au son des cloches des églises. Certaines personnalités issues de la communauté assyrienne feront les frais de la répression du régime, comme Gabriel Mouchi Kouriyeh arrêté à Qamichli le 19 décembre 2013, puis jugé pour « contact avec des personnalités de l'opposition extérieure ».
D'autres figures de l'opposition syrienne chrétienne, comme Michel Kilo, membre de la Coalition nationale, et Georges Sabra, président du Conseil national syrien, verront leurs biens confisqués. Ce dernier sera le meneur, en 2011, du mouvement de rébellion de sa ville, Qatana, au sud-ouest de Damas, ce qui lui vaudra d'être emprisonné. Il lui sera reproché d'avoir « porté atteinte au moral de l'État », d'avoir voulu « créer un émirat islamiste (à Qatana) et d'avoir » incité les gens à manifester « contre le régime du président Bachar el-Assad.

Plus le conflit s'est prolongé, plus sa dimension communautaire a pris de l'importance, en raison des stratégies du régime et de ses alliés, mais aussi de celles des puissances régionales qui ont parrainé l'opposition armée, à savoir la Turquie, le Qatar ou l'Arabie saoudite. Cette opposition armée est aujourd'hui composée uniquement de sunnites. La population vivant dans les régions rebelles est exclusivement arabe sunnite. Le recrutement militaire se fait également à partir de critères confessionnels. Les combattants étrangers côté régime, libanais, afghans, pakistanais, iraniens, irakiens, sont mobilisés en raison de leur appartenance à la communauté chiite. Du coté des jihadistes de l'État islamique ou d'al-Nosra (branche syrienne d'el-Qaëda), c'est le même principe. Les recruteurs font grossir leurs rangs par des personnes aux nationalités diverses, mais à la seule condition que celles-ci soient sunnites.

Cela étant dit, il serait réducteur de présenter le conflit syrien comme une guerre sunnito-chiite. La ville d'Alep en est le meilleur contre- exemple. La partie ouest, contrôlée par le régime, est essentiellement peuplée d'arabes sunnites, tout comme la partie est, aux mains de l'opposition. Ici le facteur prépondérant est l'appartenance sociale (bourgeoisie/classes populaires) et non l'appartenance communautaire. Dans le même sens, la province de Lattaquié, présentée comme le fief de la famille Assad, est aujourd'hui majoritairement peuplée par des sunnites, qui se sont réfugiés dans les zones progouvernementales.
Aux critères communautaires et sociaux s'ajoute le critère ethnique. Les Kurdes syriens, (plus de 8 % de la population) sont à 95 % sunnites, mais cette minorité n'est pas entrée en conflit direct avec le pouvoir en place, et n'a pas non plus rejoint la rébellion.

(Éclairage : Washington et Moscou, maîtres du jeu en Syrie)

 

L'enjeu de la guerre en Syrie, c'est le gaz et le pétrole
Les théories complotistes sur l'origine de la guerre en Syrie pullulent et prospèrent sur la toile. Elles sont étayées par les propos de plusieurs personnalités de premier plan, d'experts ou de journalistes. À titre d'exemple, Robert Kennedy Junior a révélé le mois dernier dans Politic les « vraies raisons de la guerre en Syrie ». Selon cet avocat, « la décision américaine d'organiser une campagne contre Bachar el-Assad n'a pas commencé avec les manifestations pacifiques du printemps arabe en 2011, mais en 2009, lorsque le Qatar a offert de construire un pipeline pour 10 000 millions de dollars qui traverserait l'Arabie saoudite, la Jordanie, la Syrie et la Turquie ». Bien avant lui, l'ancien ministre français des Affaires étrangères, Roland Dumas clamait que « les Anglais préparaient la guerre en Syrie deux ans avant les manifestations de 2011 ». Des thèses qui donnent du crédit au récit officiel du régime syrien, qui se dit victime d'un complot international. Comme chaque théorie complotiste, celle de l'enjeu des hydrocarbures en Syrie s'appuie sur une partie de la vérité, mais elle l'a déformé et en fait la seule grille d'analyse d'un conflit multidimensionnel.

En 2009, le Qatar propose effectivement à Bachar el-Assad la construction d'un gazoduc reliant leurs deux pays en passant par l'Arabie saoudite et la Jordanie afin d'acheminer le gaz du gisement North Dome, situé dans le golfe Persique, vers l'Europe. Mais Damas refuse le projet de l'émir qatari et signe en 2011 avec Téhéran un accord pour la construction d'un gazoduc reliant l'Iran à la Syrie en passant par l'Irak. Selon un rapport de l'AFP, la justification du refus d'Assad était « de protéger les intérêts de (son) allié russe, premier fournisseur de gaz de l'Europe ». Tous les acteurs extérieurs du conflit syrien, à savoir l'Iran, la Russie, le Qatar, l'Arabie saoudite, la Turquie et les États-Unis sont des puissances ayant d'importantes ressources énergétiques, et le territoire syrien a une positon stratégique pour acheminer du gaz des pays arabes ou de l'Iran à l'Europe.

Mais même si la question énergétique figure parmi les enjeux du conflit syrien, elle n'en est pas le plus important et elle ne saurait en expliquer l'origine. La confrontation politique entre l'Iran et l'Arabie saoudite, les deux candidats à l'hégémonie régionale est, à titre d'exemple, plus déterminante que la question énergétique pour comprendre le conflit syrien.
Les limites de cette thèse ne manquent pas : les Russes et les Iraniens ont par exemple des intérêts concurrentiels sur la question des hydrocarbures, alors qu'ils coopèrent tous les deux pour soutenir le régime. Les Occidentaux, particulièrement les Américains, et Israël, qui sont accusés d'avoir fomenté cette révolution, sont pourtant relativement restés en retrait par rapport aux puissances régionales et à la Russie. Les interventions des puissances régionales ont toutes été motivées par des considérations politiques, stratégiques et religieuses et non par une volonté d'installer la démocratie en Syrie. Mais propager l'idée d'un complot contre la Syrie vise à dédouaner le régime et ses alliées de leurs responsabilités et à cacher les réelles origines des manifestations de 2011 : la lutte pacifique et transcommunautaire contre un régime répressif.

La Syrie est un état laïc
Novembre 2012. Dans une interview accordée à la chaîne de télévision russe Russia Today (RT), le président syrien prétend que son régime est « la dernière forteresse de la laïcité «» au Moyen-Orient. Mais qu'en est-il réellement ? Dans une thèse intitulée La problématique de la laïcité à travers l'expérience du parti Baas en Syrie (2012), Zakaria Taha porte la lumière sur la prétendue laïcité du pouvoir syrien. « La laïcité constitue un aspect important de l'idéologie du parti Baas à laquelle sont attachés nombre de baassistes. Avec la transformation du pouvoir politique en régime autoritaire, la laïcité fait l'objet d'une manipulation de la part des dirigeants, dont l'objectif premier est de conserver le pouvoir », explique-t-il.

L'État est-il alors vraiment séparé de la religion ? Depuis la Constitution syrienne de 1973, le président se doit d'être musulman. Cependant, l'islam n'est pas religion d'Etat. La famille Assad a toujours pu compter sur un ministère des Affaires religieuses et un mufti de la République pour gérer une bureaucratie islamique. Et comme le rappelle Jean-Pierre Filiu, dans son article Le mythe de la laïcité des Assad, les imams, en Syrie, sont censés tous les vendredis célébrer la gloire du chef de l'État et ses réalisations. Pour démontrer sa laïcité, le régime a « tenté de promouvoir une représentativité des communautés notamment minoritaires au sein du gouvernement et de l'armée: un moyen de se rallier les diverses communautés et de se présenter à l'extérieur comme un régime soucieux des droits des minorités », estime Zakaria Taha. Les alaouites, dont est issu la famille Assad, dominent les postes importants du pouvoir. Cependant, le pouvoir baassiste a toujours fait prévaloir une représentation des minorités religieuses et a rallié à ses côtés de nombreuses personnalités sunnites. Zakaria Taha conclut que « la laïcité reste la seule carte à jouer par le régime qui se présente, envers les minorités, comme le rempart à tout conflit ».

L'État islamique est une création de...
L'État islamique (EI) est né sous X. De nombreuses théories, souvent contradictoires, approprient la paternité du mouvement jihadiste à une ou plusieurs puissances internationales. Les deux thèses les plus en vogue étant que l'EI serait une création de Bachar el-Assad, ou l'EI serait une création des États-Unis et de ses vassaux au Proche-Orient, Israël et l'Arabie saoudite.

... du régime syrien
La première thèse s'appuie sur deux arguments : primo, l'État syrien achète les hydrocarbures de l'EI et, deusio, il ferait semblant de combattre le groupe jihadiste. Le premier argument est avéré et a même fait l'objet de plusieurs articles détaillés comme celui du journal Le Monde le 26 février 2016 intitulé « En Syrie, le régime, la Russie et l'État islamique unis pour exploiter un champ de gaz ». Mais le régime n'est pas le seul acteur à acheter du pétrole de l'EI. L'organisation jihadiste s'étant emparée de nombreux champs d'hydrocarbures, tous les acteurs du conflit syrien sont obligés de collaborer avec lui pour être alimentés en gaz et en pétrole.
Concernant le deuxième argument, il pouvait être défendable jusqu'à juin 2014. Le régime et l'EI évitaient en effet jusqu'alors la confrontation et se concentraient, l'un comme l'autre, sur le combat contre les milices rebelles. Mais depuis, les deux camps s'affrontent à peu près partout dans le pays. Les jihadistes multiplient, en outre, les attentats contre des positions gouvernementales. Les plus importantes ont touché au mois de février la ville de Homs et le mausolée de Sayyeda Zeinab. L'instrumentalisation des groupes jihadistes par le régime Assad, notamment au moment de l'intervention américaine en Irak et la libération, en 2011, des prisonniers islamistes, a contribué à populariser la thèse d'une accointance entre l'EI et le régime. Mais cette idée omet un fait essentiel : l'EI est avant tout une organisation irakienne.

... des États-Unis, d'Israël et de l'Arabie saoudite
Selon Robert Kennedy Junior, « la CIA a utilisé les membres du groupe extrémiste État islamique pour protéger les intérêts des États-Unis sur les hydrocarbures et instrumentaliser les forces radicales pour réduire l'influence de (l'ancienne) Union soviétique dans la région ». Les propos de l'animatrice de la télévision égyptienne al-Hayat, Iman Izz el-Din, en novembre 2015, vont encore plus loin. Selon elle, l'EI « est une création israélo-anglo-américaine et ses initiales (ISIS) sont celles de Israeli Secret Intelligence Service (Services secrets de renseignements israéliens) ». Et de poursuivre : « Le chef de l'EI, Abou Bakr el-Baghdadi, est un juif nommé Simon Elliot, et est soutenu par le sénateur américain John McCain. Les comparaisons avec Ben Laden abondent sur les réseaux sociaux, dont la formation militaire en Afghanistan par la CIA n'est plus un secret. »

Les États-Unis ont une part de responsabilité dans la création de l'EI du fait de leur intervention en Irak. L'EI est en effet un héritage du groupe el-Qaëda en Irak qui s'est implanté dans le pays à la faveur de l'intervention américaine. De la même façon, les pétromonarchies du Golfe, mais aussi la Turquie, ont aussi une part de responsabilité dans le développement de l'organisation jihadiste. La Turquie a longtemps fermé les yeux sur les jihadistes qui souhaitaient se rendre en Syrie et l'organisation jihadiste a pu compter, à ses débuts, sur des dons privés venus du Golfe. Toutes les puissances de la région, excepté Israël, sont actuellement engagées dans la lutte contre l'EI, qui constitue une réelle menace pour eux. Mais parce que cette lutte n'est pour l'instant pas leur priorité, ils ont fait – et continuent de faire – le jeu de l'organisation jihadiste, qui est avant tout forte de la faiblesse, ou de l'hypocrisie, de ses adversaires. Compte tenu de l'imbrication des acteurs et de l'histoire de l'organisation, faire d'une seule puissance la génitrice du mouvement est une idée simplificatrice et, pour l'instant, impossible à prouver.

 

 

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Une guerre se livre sur tous les fronts, notamment sur celui de l'information. Le conflit syrien, qui rentre aujourd'hui dans sa sixième année, ne fait pas exception à la règle. Les puissances, les médias, les analystes livrent des récits multiples qui alimentent, consciemment ou non, la confusion sur la nature et les enjeux de ce conflit. Dans ce marasme d'informations, construit à partir...

commentaires (1)

"La majorité sunnite, représentant plus de 72 % de la population syrienne." ! Plus de 72% ? Oui, mais de combien, äâïynéééh ? de 10% ? Alors il fallait dire 82%, mahééék ? Wâlâoû ! Car, si ce n'était que 72% des 25 millions de Syriens, cela voudrait dire que les autres minorités représenteraient plus de 7 millions de Syriens ! Il y aurait donc en Syrie plus de 7 millions de äalaouïtes, de chïïtes, de druzes et de chrétiens ? C'est inexact ! Même en comptant les KURDES, qui sont d'ailleurs eux-mêmes SUNNITES....

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

07 h 50, le 15 mars 2016

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Commentaires (1)

  • "La majorité sunnite, représentant plus de 72 % de la population syrienne." ! Plus de 72% ? Oui, mais de combien, äâïynéééh ? de 10% ? Alors il fallait dire 82%, mahééék ? Wâlâoû ! Car, si ce n'était que 72% des 25 millions de Syriens, cela voudrait dire que les autres minorités représenteraient plus de 7 millions de Syriens ! Il y aurait donc en Syrie plus de 7 millions de äalaouïtes, de chïïtes, de druzes et de chrétiens ? C'est inexact ! Même en comptant les KURDES, qui sont d'ailleurs eux-mêmes SUNNITES....

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    07 h 50, le 15 mars 2016

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