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Lifestyle - Coulisses

Poupées de cire poupées de son, la face cachée des défilés de mode

Laura Homsi, jeune spécialiste libanaise en marketing numérique, métier qu'elle exerce dans le milieu de la mode à Paris, a vécu les coulisses des défilés de la Fashion Week, en qualité d'habilleuse. Elle raconte avec émotion et délicatesse sa rencontre avec ces marionnettes à peine vivantes, pourtant munies d'un système nerveux, belles et déshumanisées à souhait.

Essayage chez Bouchra Jarrar.

« Je chausse du 38. Pendant la Fashion Week, cela se transforme en 40. » Accroupie par terre, je tente de caser les pieds boursouflés d'un mannequin dans des escarpins vertigineux. Des pieds si maltraités par ces instruments de torture qu'ils doublent de volume en quelques jours.


Si jeunes, si radieuses, les mannequins incarnent une image à laquelle toute femme voudrait ressembler, portent des vêtements de rêve que toute femme convoite. Model, top model, des mots qui ont valeur de compliment, tellement que l'on ignore le côté « sale » de ce boulot qui les transforme en objet.
Être habilleuse permet de découvrir le versant moins glamour de la Fashion Week et le monde parallèle qui s'y joue.


Les mannequins, épuisées par des kilomètres de podium enfilés et d'interminables heures d'attente, sont recroquevillées dans les recoins des cabines d'essayage. J'ai eu un haut-le-cœur devant la maigreur de leurs corps. Simplement vêtues de slips couleur chair « zéro trace », elles se laissent faire comme des poupées de chiffon. C'est bizarre de faire enfiler des vêtements à une adulte. Les plus dégourdies participent parfois au processus d'habillage et de déshabillage, mais elles sont la plupart du temps si fatiguées qu'elles restent immobiles. Elles ne prennent même plus la peine de se rhabiller entre deux tenues, même si elles doivent passer 45 minutes pratiquement nues. La pudeur n'est plus d'actualité et le corps devient propriété publique.

 

Ajustements à risque
Cette agitation correspond à la période cruciale des fittings. Le créateur dispose des épingles sur les vêtements afin de les ajuster au corps rachitique du mannequin sélectionné. Au cours de la nuit, les modélistes retravailleront les pièces de la collection en fonction des épingles apposées afin qu'elles soient fin prêtes pour le défilé. Une épingle retirée et c'est le drame ; ce serait dénigrer le travail d'orfèvre du créateur. Mais ôter un vêtement hérissé d'épingles – devenues ennemi public numéro 1 – sans blesser le mannequin devient un exercice sportif. D'inévitables gouttes de sang finissent par couler. Tellement prise dans l'engrenage et le stress, je me suis entendue dire : « Est-ce qu'elle a tâché la robe blanche ? » avant même de m'enquérir du sort de la jeune fille.


Am I done ? Entre deux passages de fitting, cette question leitmotiv est sur toutes les lèvres des mannequins. Les informations leur étant transmises au compte-gouttes, elles ne savent pas si elles sont là pour un casting, un fitting, ou encore qui est le couturier... Agrippées à leur téléphone, elles attendent le coup de fil fatidique de leur agent qui pourrait leur fournir du travail ou les envoyer à l'autre bout de la ville. Ce sont eux qui seront payés par les créateurs à l'issue du show. Ils prélèveront une commission plus ou moins généreuse avant de reverser sa part au mannequin. Ils constituent en quelque sorte les repères de ces jeunes filles, qui viennent en général d'Europe de l'Est et qui ont tout quitté pour percer dans la mode. Souvent, elles ne parlent pas la langue et s'expriment dans un anglais boiteux. Elles sont si jeunes que l'on a juste envie de les protéger. Parfois en m'approchant de l'une d'entre elles, il m'arrive de flairer des relents de vomi dans son haleine. Pas le temps de s'attarder, les stylistes entrent en coup de vent dans la cabine, c'est une course contre la montre. Celle d'une veille de défilé.

 

Adrénaline et stress
Le lendemain, quelques heures avant le show, le bourdonnement de ruche s'amplifie. Cheveux, visages, ongles, le corps des mannequins est trituré, modelé et façonné pour correspondre à la vision du créateur. Je repère « ma » mannequin, celle que je dois habiller pour ses deux passages pendant le défilé. Elle est ukrainienne et s'appelle Anna. On me demande « d'étudier » les vêtements et de déterminer l'ordre dans lequel les enfiler afin de perdre le moins de temps possible lors du défilé. Anna flotte dans la paire de stiletto qui lui est attribuée. Je tapisse donc ses chaussures de papier collant pour éviter qu'elle ne trébuche sur le podium.


En observant la faune qui m'entoure, je découvre des métiers dont je n'avais pas connaissance quelques minutes auparavant. Il y a une équipe uniquement chargée d'organiser le rythme de passage des mannequins sur le podium. Un homme bardé de câbles, talkies-walkies et écouteurs martèle ses dernières recommandations Smile but not too much, walk slowly, but not too much, hips but not too much. Une sorte de jargon que tout le monde semble comprendre sauf moi. Elles doivent faire quoi au juste ? La musique démarre, tout le monde est sur le pied de guerre, et c'est parti. En backstage, l'hystérie monte crescendo. Une robe reste bloquée sur un mannequin au niveau de la tête, juste avant son passage. Mes mains tremblent à cause du stress. Je m'acharne sur des boutons qui refusent de m'obéir. Alena finit par entrer en scène in extremis. Final, applaudissements, larmes en coulisses. La course effrénée se poursuit, les mannequins déguerpissent en moins de deux. Une d'entre elles tente de filer à l'anglaise avec une robe du défilé, avant de se faire rattraper au vol par un vigile.


C'est enfin terminé. Je m'engouffre dans le métro désert, le silence qui m'entoure me paraît assourdissant. Je me sens comme un soufflé qui tombe à plat. Tout à coup, je croise une des mannequins du défilé. Elle sautille, les yeux encore fardés et les cheveux plaqués par le gel. Mais je ne vois pas tout ça. Je vois juste une jeune fille de 16 ans qui a fini de travailler et qui me demande, les yeux plein d'espoir : « Are Galeries Lafayette open on Sundays ?  »

 

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Si jeunes, si radieuses, les mannequins incarnent une image à laquelle toute femme voudrait ressembler,...

commentaires (4)

Très bel article

LS

22 h 55, le 04 février 2016

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • Très bel article

    LS

    22 h 55, le 04 février 2016

  • MERCANTILE saloperie....

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    19 h 21, le 03 février 2016

  • MADAME CLAUDE Y PUISAIT LARGEMENT DANS LES RANGS DE CES MARIONETTES POUR SATISFAIRE SA CLIENTÈLE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 07, le 03 février 2016

  • Pauvres filles, ce qu'elles vivent se lit sur leurs visages, elles font toujours peur, aucune jeunesse, aucune joie... Des robots sinistres et éteints...

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