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Virages dangereux

Gravité, dignité, résolution : trois mots qui, au spectacle de l'hommage rendu, aux quatre coins de l'Hexagone, aux victimes des attentats de Paris, illustrent bien une âme française meurtrie certes, mais qui refuse de renoncer à son identité, ses idéaux, son culte de la vie. Pas de trémolos racoleurs en effet, dans la voix d'un François Hollande conscient de la solennité du moment, laquelle interdisait toute velléité d'exploitation politique. Pas de flottement non plus dans son appel à une résistance non plus passive mais dynamique, offensive, qui ne prendra fin qu'avec la déroute des armées terroristes.

On reconnaîtra, de même, au chef de l'État français son adresse à amorcer en douceur, sans embarras excessif, ces virages politiques que commandent souvent aux nations les situations exceptionnelles. Il en est ainsi de l'idée, audacieuse mais apparemment mort-née, d'un élargissement à la Russie, hier encore condamnée dans l'affaire ukrainienne, de la coalition aérienne internationale visant l'État islamique. Notre ennemi en Syrie c'est Daech, décrétait surtout François Hollande, à peine survenue l'horreur du 13 novembre. Difficile de trouver à y redire : et cela d'autant que pour l'Élysée, le maintien au pouvoir de Bachar el-Assad, bien qu'ayant cessé d'occuper le haut de l'échelle des priorités, demeure absolument exclu à long terme.

François Hollande serait-il même plus fin diplomate que son propre diplomate en chef ? Laurent Fabius s'est souvent vu reprocher par l'opposition une ligne par trop doctrinaire et rigide, par rapport à la Syrie. C'est pourquoi il surprenait son monde hier en prenant un maître virage sur les chapeaux de roue, envisageant ainsi, pour la toute première fois, que le régime de Damas puisse être associé à la lutte terrestre contre Daech : et pourquoi pas, renchérissait-il même à l'antenne de RTL. Plus tard dans la journée, le ministre français des AE rectifiait le tir, affirmant qu'une telle éventualité devrait attendre le stade d'une transition politique en Syrie. Il n'empêche que même édulcoré à la hâte, cet intempestif pourquoi pas a bien peu de chances de rester sans réponse.

À cette fin les arguments ne manquent guère et la place manque ici pour les énumérer tous. Celui qui ne devrait souffrir aucune discussion, pour toute démocratie, est que le régime baassiste et Daech ne sont après tout que les deux faces d'une même horreur : le premier affichant même un score de victimes considérablement plus élevé que le second. Circonstance aggravante, ces deux monstres ne s'affrontent que très épisodiquement. Dès le début de la rébellion, d'ailleurs, Assad libérait de ses geôles nombre d'islamistes radicaux, afin de pouvoir se poser en indispensable, en incontournable rempart, face au péril jihadiste ; fidèle à sa stratégie consistant à faire le vide entre lui-même et Daech, c'est contre l'opposition dite propre qu'il n'a cessé de concentrer ses tirs. Or c'est exactement ce que font les hordes du prétendu califat soucieuses, elles, encore que pour des motifs différents, d'éliminer toute concurrence, quand bien même serait-elle d'inspiration islamiste.

Dès lors, et pour cynique que soit, par essence, toute politique étrangère, l'ennemi de votre ennemi n'est pas forcément, à tous les coups, votre ami. Faire appel aux tueurs d'Assad pour anéantir ceux de Daech? Après une telle outrance, qu'on ne vienne surtout pas pousser les hauts cris le jour où quelque partie, invoquant le même pourquoi pas, appellera à s'aider de Daech pour déboulonner le dictateur syrien.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Gravité, dignité, résolution : trois mots qui, au spectacle de l'hommage rendu, aux quatre coins de l'Hexagone, aux victimes des attentats de Paris, illustrent bien une âme française meurtrie certes, mais qui refuse de renoncer à son identité, ses idéaux, son culte de la vie. Pas de trémolos racoleurs en effet, dans la voix d'un François Hollande conscient de la solennité du moment,...