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Tic-tac

Le temps, ce n'est plus seulement de l'argent, n'en déplaise aux honnêtes hommes d'affaires comme aux affairistes de la politique. En ces jours de folie idéologique montant à l'assaut de l'humanité, le temps, c'est surtout du sang : celui versé par les populations innocentes dans cette course éperdue où l'insaisissable ennemi garde régulièrement une bonne longueur d'avance.

Beyrouth, Paris, Bamako et où donc demain ? Issue des brasiers syrien et irakien, la terreur se joue des continents, tandis que, dans une ambiance de panique, les gouvernements tentent fébrilement de rattraper tout le temps perdu : mot d'ordre qui revenait comme un leitmotiv à la réunion extraordinaire, hier à Bruxelles, des ministres européens de l'Intérieur et de la Justice. Ce temps perdu, c'est celui durant lequel la France ne s'est pas rendu compte de la cruelle réalité, de l'extrême férocité d'une guerre que lui déclarait explicitement, pourtant, le terrorisme. C'est celui où de dangereux fanatiques confirmés, répertoriés, fichés et même surveillés pouvaient évoluer impunément, rejoints par les taupes noyées dans le flot des immigrants.

Ce n'est qu'après coup (et quel coup !) que la France se met en état d'urgence, passe à l'action préventive, multiplie perquisitions, raids, neutralisations létales et arrestations. Ce n'est qu'après coup que l'Europe tout entière s'aperçoit qu'elle a placé la charrue devant les bœufs, qu'elle a réduit drastiquement ses budgets défense en laissant béantes les frontières des États membres de l'Union. Ce n'est qu'hier – on croit rêver – qu'était envisagée à la réunion de Bruxelles la création d'une centrale du renseignement permettant de mieux contrôler l'accès au Vieux Continent par air, mer et terre.

Non moins tardive, pour ne pas dire inopérante, est la riposte militaire apportée aux attentats du 13 novembre et qui a pris la forme d'une intensification des bombardements aériens visant les positions et installations de l'État islamique. Car la preuve est faite par neuf mille (c'est là une estimation des sorties aériennes effectuées à ce jour par la coalition arabo-internationale) de l'efficacité très relative de ce type d'action. Des troupes au sol alors ? Nul ne veut s'y hasarder : attitude parfaitement défendable aussi longtemps que la guerre contre Daech pouvait se pratiquer à distance, à partir d'un cockpit de Rafale, sans autre conséquence notable ; mais la donne ne change-t-elle pas du tout au tout dès lors que c'est la population civile qui encaisse les coups de l'adversaire en lieu et place des militaires, dont le métier est précisément de faire la guerre ?

On peut s'interroger de même sur le bien-fondé de l'option du moindre mal retenue par un nombre croissant de gouvernements occidentaux, sachant pourtant que le régime de Damas et Daech sont les deux faces d'une même abomination. Notre ennemi en Syrie, c'est Daech, s'écriait ainsi l'autre jour François Hollande, relevant néanmoins que la Syrie est la plus grande fabrique de terroristes. Ce que le président n'a pas dit, c'est que le patron de la fabrique n'est autre que Bachar el-Assad. Et cela non seulement parce qu'il a massacré considérablement plus de monde que l'État islamique, mais parce que toute sa stratégie politico-militaire consiste à s'acharner surtout sur les groupes de rebelles plus ou moins propres, à faire le vide entre lui-même et les terroristes de Daech afin de mieux se poser en moindre mal. Bref rappel pour finir : la sinistre fabrique n'avait pas attendu la rébellion de Syrie pour tourner à plein rendement. Demandez donc aux Libanais...

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P.-S. : les cadeaux pleuvent décidément pour la fête de l'Indépendance qui sera célébrée demain 22 novembre. Le premier nous vient de Russie. Sans se soucier de la souveraineté du Liban sur ses eaux territoriales, Vladimir Poutine envoie sa flotte y barboter trois jours durant et exige que les vols au départ de Beyrouth évitent de survoler la zone de ces manœuvres. C'est si cavalièrement demandé – on n'est pas tsar pour rien – que vous n'en apprécierez que davantage sans doute le présent que font les opérateurs du téléphone mobile aux citoyens : un tonitruant hymne national en guise de tonalité d'appel. Peine perdue : l'indépendance, elle, est aux abonnés absents.

 

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Le temps, ce n'est plus seulement de l'argent, n'en déplaise aux honnêtes hommes d'affaires comme aux affairistes de la politique. En ces jours de folie idéologique montant à l'assaut de l'humanité, le temps, c'est surtout du sang : celui versé par les populations innocentes dans cette course éperdue où l'insaisissable ennemi garde régulièrement une bonne longueur d'avance.
Beyrouth,...