Le mot « patrimoine » est pour certains synonyme de ringard ! Voir même agaçant et barbant. Il suffit de jeter un regard sur Le palais Chéhab, premier ouvrage de la série des « Chroniques du Liban », pour donner envie de porter un autre jugement sur le patrimoine, ou faire siens les slogans de l'Association pour la Protection du patrimoine libanais (APPL), auteure de l'ouvrage : « Non à la destruction », « Pas d'avenir sans passé », ou encore « Une nation qui s'enorgueillit de six mille ans d'histoire n'a même pas de lois pour la sanctuariser ».
Ouvrage limité à 500 exemplaires, Le palais Chéhab met en lumière la beauté d'un héritage précieusement conservé. Présenté dans une belle reliure cartonnée sous forme de coffret et accompagné d'un DVD contenant des témoignages, le livre rend également un hommage à l'émir Farid Chéhab, sans qui l'histoire de ce palais n'aurait pas eu le même dénouement.
Édifié par les Maan vers la fin du XVIe siècle, transmis au XVIIIe à leurs « héritiers dynastiques », les Chéhab, le palais est une réplique (à échelle réduite) du modèle de la citadelle de Hasbaya. Il peut se targuer d'être l'une des plus anciennes demeures de la région de Beyrouth ayant gardé son cachet d'origine.
Il est remarquable de constater que la résidence a toujours été occupée par la descendance de la famille et ce, même lorsque Béchir II installa le pouvoir à Beiteddine.
En 1860, la guerre civile a provoqué d'énormes dégâts dans le palais. La bibliothèque, qui renfermait une collection unique de manuscrits et d'écrits historiques, est ravagée par un incendie. Des documents conservés au Public Records Office à Richmond, en Angleterre, relate qu' « un émir, refusant d'abandonner le palais et ses richesses, aurait péri brûlé ». Même en l'état, le site n'aura pas été abandonné. Il est resté le point d'ancrage des émirs et de leurs descendants.
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L'héritage entre de bonnes mains
C'est là qu'est né Farid Chéhab, fils de l'émir Harès Chéhab et de l'émira Mariam. L'ouvrage consacre plusieurs pages à l'homme qui a occupé les fonctions de directeur général de la police judiciaire, de gouverneur de la Békaa, de directeur de la Sûreté générale libanaise et d'ambassadeur. C'est lui qui rachète la part de ses cousins en 1950 et investit dans d'importants travaux de restauration, encouragé par son épouse Yolande Nakad, consciente de la valeur inestimable de ce patrimoine. Le projet est confié à Pierre-Henri Coupel, architecte archéologue spécialisé dans la restauration des monuments historiques et ancien membre du service des Antiquités du Haut-Commissariat à Beyrouth et de la Direction générale des antiquités, qui redonne au palais tout son lustre.
Mais en 1958, suite aux événements, Farid Chéhab quitte le Liban pour la France avec sa famille. Convaincu que la « maison » sera entre de bonnes mains, il propose à son ami le marquis Alfonso Merry del Val Alzola, ambassadeur d'Espagne au Liban de l'utiliser comme résidence. Celle-ci sera finalement acquise par le gouvernement espagnol en 1964.
Des murs garants de la mémoire
Au cours des siècles, le palais a subi plusieurs restaurations dont la première, sous l'impulsion de l'émir Melhem Chéhab, remonte à 1698. Une plaque en marbre au-dessus du grand portail mentionne des travaux réalisés à l'époque de l'émir Farès Chéhab, en 1797.
Dans le DVD qui complète le livre, l'architecte Nathalie Chahine el-Chabab signale qu'aucune archive portant sur les plans du palais n'a été retrouvée. Mais les murs révèlent « différentes phases de construction », indique la spécialiste, ajoutant que la façade a été construite selon la technique el-Azhar, offrant une alternance de pierres locales blanches et ocres, adoptée de la technique mamelouk, l'ablaq (pierre blanche et basalte). L'ensemble est typique des palais Maan et Chéhab : entrée monumentale surmontée du lion dompté tenant entre ses pattes une tête décapitée ; pigeonniers aménagés au-dessus du portique principal ; fenêtres géminées « couronnées chacune par deux arcs segmentaires brisés – dont la clé de voûte est ornée par une rosace faisant écho à celle de la porte d'entrée », etc. Un monument à découvrir absolument à travers les « Chroniques du Liban » ou lors des journées « Portes ouvertes » organisées par l'ambassadrice d'Espagne, Milagros Hernando Echevarria, qui raconte dans la préface du livre : « Bien avant d'arriver comme ambassadrice au Liban, j'avais longuement entendu mes collègues parler avec orgueil de la magnifique résidence de l'ambassade d'Espagne, dont la façade vous laisse bouche bée (...).
En tant qu'Espagnole, et peut-être du fait de notre propre histoire, nous sommes toujours sensibles à ces bâtiments anciens dont les murs parlent au-delà de leur beauté (...). Et un jour, j'ai compris que toute cette richesse historique ne pouvait rester uniquement à moi, j'ai donc décidé d'organiser avec la municipalité de Hadath la première journée "Portes ouvertes" (...) Chaque jour qui passe, nous faisons un effort pour le protéger, le maintenir, conscients qu'ainsi nous préservons un coin de l'histoire du Liban (...) »
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Réveiller les consciences...
Pour leur part, l'émir Harès Farid Chéhab et Youmna Chéhab Asseily soulignent que « le palais a survécu à des secousses historiques bien similaires à celles que le Liban traverse depuis quelques années. Propriétaires depuis le début des années 60, le gouvernement espagnol veille diligemment à ce que cette maison demeure un symbole de constance dans la tourmente, en la préservant pour les générations à venir (...).
La présence de l'APPL grave pour toujours la mémoire d'un passé sans lequel nous serions sans racines. Grâce à elle, les murs parlent enfin ».
Par ce projet, Pascale Ingea Haddad, cofondatrice et présidente de l'APPL, souhaite « encourager les Libanais à préserver les demeures de leurs aïeux pour les générations futures et réveiller des consciences (...)
d'autant plus qu'une législation de protection des bâtiments patrimoniaux n'existe toujours pas. Le patrimoine renforce les identités collectives et individuelles et affermit notre attachement au pays ».
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La tragédie de 1989
« Fêtes nationales, concerts, célébrations, j'ai vécu des moments très heureux à l'ambassade, mais aussi des moments douloureux », témoigne Yolla Féghali, assistante de l'ambassadeur d'Espagne depuis la fin des années 1980. Elle raconte la tragique journée du dimanche 17 avril 1989, qui a vu mourir, suite à la chute d'un obus, l'ambassadeur Pedro Manuel Di Aristegui, blessant grièvement son épouse et son fils, et tuant sur le coup son beau-père, le grand écrivain Toufic Youssef Aouad, et sa fille Samia Toutoungi.
Conférence et signature au Biel
Une conférence sera donnée ce soir, au Biel, à 18 heures, dans la Salle 1, par Youmna Chéhab Asseily et l'ambassadrice d'Espagne Milagros Hernando Echevarria. Elle sera suivie de la signature de l'ouvrage par les auteurs de l'équipe APPL / Chroniques du Liban : Marie-Josée Rizcallah, rédactrice de l'ouvrage ; Pascale Ingea Haddad, directrice artistique ; Joseph Haddad, design et maquette. Le livre a été publié avec la participation de l'Association Philippe Jabre, de l'ambassade d'Espagne et Volver...
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commentaires (4)
Il faut rendre hommage à l'APPL et reconnaitre son mérite dans la protection et la conservation des demeures historiques. Mais le Patrimoine, ce n'est pas seulement la pierre, c'est aussi tout ce qui est écrit, imprimé ou manuscrit, c'est-à-dire les archives. Ces dernières constituent l'âme d'un monument quel qu'il soit. Elles nous racontent la genèse d'un projet, le rêve et les ambitions d'une personne,le génie d'un architecte,l'esprit et la culture d'une époque. Celles du Palais Chéhab ont totalement disparues dans un incendie. Du coup, le Palais a perdu un peu de son passé, de son histoire et de son âme. époque. Celles du Palais Chéhab ont totalement disparues dans un incendie.Du coup, avec leur disparition, le Palais se trouve amputé de son passé, de son histoire, et un peu de son âme !
MELKI Raymond
21 h 37, le 21 décembre 2019