Au bonheur des outils rudimentaires.
Un stand des plus inattendus s'est invité dernièrement dans toutes les librairies, sous le label « Colorez et explorez votre créativité ». On y trouve une série d'albums aux couvertures spectaculaires, un mélange de rose, de bleu, de vert, de jaune et toutes les tonalités de l'arc-en-ciel, incitant les âmes d'artiste en herbe à s'essayer à cette même palette. À donner couleur et vie à des dessins en noir et blanc conçus sur des thèmes différents : « Art nouveau », « Cachemire », « Mandalas », « Tatous », « Floral », « Marine » ou encore « Variations géométriques ».
Car l'heure, pour les adultes, est venue de retomber en enfance en récupérant un passe-temps à la base adressé aux plus jeunes : le coloriage. Cette envie, qui fait actuellement rage aux États-Unis, a été déclenchée par l'initiative d'une illustratrice anglaise, Johanna Basford, qui voulait s'échapper de son travail quotidien en noir et blanc. Elle crée alors des dessins à compléter, des invitations à s'échapper, laissant à chacun la liberté d'y apposer sa propre touche chromatique. Dans cet esprit, elle publie un ouvrage intitulé Secret Garden (Jardin secret), aujourd'hui un best-seller vendu à 1,5 million d'exemplaires depuis sa publication en 2013. Il sera suivi en 2015 par Enchanted Forest (La Forêt enchantée) qui connaît le même engouement. Les dessins qu'elle propose sont sophistiqués, élaborés et très riches en détails, pour stimuler la concentration, le doigté, l'imagination des néophytes et leur sens esthétique de l'harmonisation des couleurs. Pari réussi, vu l'impressionnant nombre d'adeptes qui ont même formé des clubs. Vu aussi le nombre croissant de maisons d'édition qui, suivant cette mode, se sont mises au diapason des ouvrages à colorier.
Plus fort que le pixel
Quant au public, il a été immédiatement accro à cet exercice de l'esprit surtout. Pour certains, colorier est une manière de se plonger dans un monde artistique, et pour d'autres, une occasion de faire de nouvelles rencontres autour d'un passe-temps commun. Pour la plupart, il reste une manière d'oublier ponctuellement les problèmes quotidiens, de se déstresser en ne pensant qu'au plaisir de laisser les couleurs s'évader des crayons, selon l'inspiration du moment. Un moyen donc de se remettre à l'heure de la décompression totale, en faisant la sourde oreille aux appels et rappels de son téléphone et en cessant de guetter, à chaque instant, les divers écrans qui rythment nos vies. Pour plus de spiritualité encore, il existe des albums dont les dessins à remplir sont accompagnés d'une réflexion méditative de célèbres maîtres à penser parmi lesquels Bouddha, Mère Teresa ou encore Gibran Khalil Gibran. À méditer.
Et puis, il y a quelque chose de romantique et de nostalgique dans ce retour aux outils rudimentaires : le papier et le crayon, sacrifiés au temple des ordinateurs et autres tablettes. Un sentiment partagé par Johanna Basford : « Pour moi, dit-elle, les dessins créées avec les ordinateurs peuvent apparaître froids et sans âme, alors que ceux à la main dégagent de l'énergie et du caractère. Une subtilité impossible à obtenir avec les pixels. »
Alors, pour faire comme les enfants qui sont « des experts dans l'art de s'amuser », empruntons quelques instants leurs boîtes de crayons de couleurs. Ils prendront certes un peu d'âge, mais sans perdre de leur pouvoir de séduction.
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