Santour, pogh et autres kechott, pour une musique multiethnique avec Levon Eskenian

En marge de deux concerts à l'AUB*, rencontre pour approfondir un art, sens d'une vie, fouillant plusieurs ethnies et non seulement l'âme musicale du pays de Komidas.
Trente-sept ans, cheveux drus, noirs et lisses comme les Asiatiques, menu, les traits fins, le sourire qui a beaucoup gardé de la candeur de l'enfance, s'exprimant exclusivement en arménien, Levon Eskenian est un jeune homme aux semelles de vent. Directeur artistique de l'Ensemble Folk Gurdjieff (comprenant 11 instrumentistes pour déjà plus de 150 concerts de par le monde depuis 2011), le jeune homme, tout en confessant sa propension à la composition et au piano, n'en a pas moins une fratrie parfaitement dans le ton. Son frère Shant est violoniste et sa sœur Tamar est flûtiste, tous deux vivant et en tournée en Europe.
Pour son passage dans sa ville natale, accompagnant la pose inaugurale d'une sculpture en bronze de Raffi Yedalian à la rue Pasteur à Gemmayzé, pour le centenaire du génocide arménien, le musicien a bien voulu livrer les étapes de son parcours.
«La musique on l'a en famille dans le sang, dit-il. Mais avec la formation de l'Ensemble Gurdjieff nous touchons à la beauté des sons concernant toute une vaste région. Et cela va de la culture arabe à la culture arménienne en passant par celles de la Grèce, du Kurdistan et du Caucase... Georges Ivanovitch Gurdjieff, appelé le nouveau Pythagore, personnage énigmatique et fascinant à multiple casquettes (chorégraphe, philosophe, musicien, aventurier, marchand richissime aux affaires mirifiques) est le cœur battant de cette aventure musicale. D'ailleurs notre premier CD intitulé La Musique de Gurdjieff a obtenu en Hollande le Prix Edison qui a déjà couronné Stevie Wonder, Mile Davis, U2 et Charles Aznavour... Les instruments que nous employons s'inscrivent dans un large registre de sonorités, reflets des pays dont ils sont issus et l'on cite tar, santour, oud, kanoun, dudug, pogh (sorte de nay), daff, kamanja, zourna (instrument à vent), pekou, temboug (percussion), cymbales, clochettes, encensoirs et kechott (plats en cuivre avec boulettes). D'où une palette et une luisance sonores bien différentes et authentiques pour habiller ritournelles, cadences et mélodies. »
Petite pause et retour aux préoccupations personnelles du jeune artiste. Quelle lecture pour ses moments de loisir, quel claveciniste le fait rêver, quelle musique a sa préférence, quelle est sa source d'inspiration ?
« Je lis surtout de la philosophie et de la réflexion (en général en arménien ou en anglais), tels bien entendu Gurdjieff, Gebran, Nietzsche. Je suis ébloui par les sons du clavecin de Pierre Hantaï et Christopher Stambridge. Dans ma tête se pressent les lignes mélodiques de Frescobaldi, Couperin, Bach, ainsi que le prébaroque et le baroque mais j'aime tout autant Marcel Khalifé, Rabih Abou Khalil et Feyrouz. Je tiens aussi à dire que je suis redevable beaucoup au Liban qui m'a permis une ouverture d'esprit et de culture de plusieurs confessions et horizons. Une combinaison riche et enrichissante dont les effets bénéfiques se prolongent en moi et dans le public. »

*Pour tous les fervents adeptes de cette musique multiethnique deux concerts par l'Ensemble Folk Gurdjieff ont lieu à l'Assembly Hall de l'AUB, à 19h. Le premier, le samedi 1er août et le second, exclusivement dédié aux œuvres de Komidas, le dimanche 2 août.