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Liban - Commémoration

Le génocide arménien dans les mémoires... et dans un musée à Jbeil

Arménie 1915. Cent ans plus tard, on commémore le génocide. Après celui d'Erevan, Jbeil accueille le deuxième musée au monde conçu autour de ce thème.

Les sculptures de Moss à l’entrée du musée.

Cent ans après les massacres perpétrés par les autorités ottomanes, le « Musée du génocide arménien – Aram Bezikian » ouvre ses portes à Byblos. L'emplacement choisi est hautement symbolique : il est attenant à l'orphelinat Bird's Nest (Nid d'oiseaux) que l'organisation américaine Near East Relief avait ouvert, en 1915, pour accueillir des milliers d'enfants rescapés. L'établissement (toujours en activité) a été dirigé dès les années vingt et jusqu'en 1960 par la missionnaire danoise Maria Jacobsen, surnommée Mayrig (diminutif affectueux pour maman en arménien). La dame, qui avait œuvré dans l'aide humanitaire en Turquie, a été un témoin oculaire de l'extermination physique, intentionnelle, systématique et programmée des Arméniens. Dans son journal, considéré comme déterminant par les historiens, elle décrit les exécutions de masse lors des déportations et la marche des orphelins, des femmes et des vieillards fuyant dans le désert syrien. Sa tombe se trouve dans la cour du musée.


Celui-ci porte d'ailleurs le nom d'un ancien pensionnaire : Aram Bezikian, rescapé d'Adana à l'âge de six ans. Son fils, Alecco Bezikian, est l'initiateur du projet. Homme d'affaires et représentant du catholicossat arménien de Cilicie auprès du Vatican, M. Bezikian souligne que « ce lieu est dédié à la mémoire des victimes arméniennes, mais il est aussi une célébration de la vie, de la survie face à l'adversité. Le peuple n'a jamais baissé le bras. Malgré son éclatement et sa dispersion dans les pays d'adoption, il a su reprendre un nouveau départ et se refaire une nouvelle vie. Je profite de l'occasion, pour exprimer ma profonde reconnaissance au Liban, terre d'accueil et de tolérance. Il nous a permis de jouir pleinement des droits humains et des libertés tant dans le domaine culturel que politique, économique et social. Nous lui resterons à jamais fidèles ».

 

Immersion dans l'histoire
Logé sous les voûtes centenaires d'une ancienne bâtisse rénovée par l'architecte Vicken Tarkhanian, le musée déploie sur 400 mètres carrés un aperçu des années noires du peuple arménien et l'une des pages les plus sombres du XXe siècle. À travers une muséographie et une scénographie conçues respectivement par Harout Bezdjian (responsable du service audiovisuel au Centre Pompidou, Paris) et l'architecte d'intérieur Raffi Tarkhanian, photographies, certificats d'identité, lettres, documents historiques et films documentaires (notamment ceux réalisés par J. Michael Hagopian) donnent l'exacte mesure des épreuves endurées.
Ces pièces porteuses d'un épisode tragique ont été réunies par les historiens Garo Derounian, Levon Nordiguian, Raymond Kevorkian (enseignant à l'Institut français de géopolitique, Université Paris VIII – Saint-Denis et directeur de la revue d'histoire arménienne contemporaine) et Vahé Tachjian (rédacteur en chef du site Web Houshamadyan).


Illustrant la première salle, des supports médias informatifs (en trois langues : français, anglais et arménien) font défiler en continu un aperçu de l'histoire de l'Empire ottoman de 1908 à 1918 : les guerres balkaniques et la radicalisation de la direction Jeune-Turquie ; le programme génocidaire établi par l'association de l'État-parti avec les notables locaux, les cadres religieux et les chefs tribaux ; les massacres en Cilicie dès 1909 ; le nettoyage des vastes territoires peuplés d'Arméniens, de chaldéens, de syriaques et d'assyriens ; la spoliation et la destruction des biens arméniens ; les exactions des soldats ottomans dans les régions d'Erzurum, de Van et de Bitlis ; les 25 camps de concentration de Syrie et de la Haute-Mésopotamie mis en place à partir de 1915, etc.

 

Images d'un destin
La rafle du 24 avril 1915 est illustrée par une centaine de portraits en médaillon : ils représentent les élites arméniennes, personnalités religieuses, politiques et intellectuelles, fusillées ce jour-là. Un événement qui marque le début du génocide et de l'exode est représenté par des panneaux parallélépipèdes, soutenus par des pieds nus sculptés dans la résine : cette référence à l'errance d'un peuple ravive les échos de leur longue marche. À l'arrière-plan, fixés pour l'éternité, des enfants, au visage tantôt triste, suspicieux ou grimaçant, mais aussi et surtout au regard égaré vers l'horizon symbolisant l'inconnu vers lequel ils sont conduits...
La violence de ces années n'épargna aucune famille. Ni aucun héritage. Elle trouve un symbole, un écho, une reconnaissance dans chaque coin du musée. L'immense cloche brisée témoigne de la destruction des églises et des couvents dans les régions autrefois habitées par les Arméniens. Elle renvoie aussi l'image de leurs biens confisqués, usurpés. Les écrans, qui pendent doucement du plafond, diffusent en boucle les images de déportés, accompagnées d'extraits sonores de leurs noms et date de naissance.


Les clichés, dont une majorité a été préservée par des missionnaires jésuites, sont tout aussi accablants : scènes de déportation, images de cadavres émaciés, photos de familles murées dans la détresse, ou encore portraits de groupes d'orphelins posant à côté des tentes dressées par les autorités mandataires, la Croix-Rouge ou le Nansen International Office for Refugees... Toutes ces images reflètent l'ampleur du désastre vécu. Mais en grandissant, loin des terres spoliées de leurs pères et de leurs aïeux exterminés, il avait fallu aux Arméniens oublier pour vivre et se souvenir pour rester fidèles. Aujourd'hui, ce sont les silhouettes d'enfants, victimes, sculptées par l'artiste français Moss, qui accueillent les visiteurs du musée. Une autre manière de toucher, par les sens, à un passé toujours vivant.

 

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