Si les informations en provenance de Vienne se vérifient, le monde serait très bientôt devant un nouveau paysage politique, avec la signature attendue de l'accord sur le dossier nucléaire entre l'Iran et les six pays de la communauté internationale (les 5 pays membres permanents du Conseil de sécurité plus l'Allemagne). Et même si la signature de cet accord est une nouvelle fois reportée, la situation régionale et internationale a déjà amorcé un grand changement. Des fonds iraniens gelés par les pays occidentaux ont été rendus à leurs propriétaires, alors que les compagnies internationales, américaines, françaises, allemandes, britanniques et autres se précipitent à Téhéran pour voir comment s'y implanter et investir. Selon tous les analystes occidentaux, ce processus est irréversible et au bout de douze ans de négociations, souvent pénibles et décevantes, la République islamique d'Iran est en train de devenir un État fréquentable, qui n'est plus mis au ban des nations et de la communauté internationale. Sur le plan politique, c'est sans doute la conséquence la plus importante de l'accord en gestation, même si certains protagonistes cherchent à en minimiser la portée et affirment qu'il ne porte que sur le dossier nucléaire. C'est probablement vrai sur le plan technique, mais les effets vont certainement bien au-delà.
Un diplomate libanais chevronné rappelle que lorsqu'en 2004, les présidents français et américain de l'époque, Jacques Chirac et George W. Bush, ont réussi à surmonter leurs divergences au sujet de la guerre en Irak et décidé de s'entendre pour remodeler la région du Moyen-Orient en choisissant de frapper l'axe dit du mal, à travers l'adoption de la résolution 1559 qui exigeait le retrait des troupes syriennes du Liban, la République islamique d'Iran était totalement exclue de leurs calculs. L'idée directrice, telle qu'elle a été développée par la suite dans plusieurs ouvrages sérieux, était la suivante : si les troupes syriennes sont contraintes de se retirer du Liban, le régime syrien sera déstabilisé au moins économiquement, tant la manne libanaise est importante pour sa survie, et ce serait un prélude à sa chute. Ce qui aboutirait forcément à l'affaiblissement du Hezbollah, en lui coupant la voie de ravitaillement vers l'Iran, qui passe par la Syrie et l'Irak. Ce dernier pays était alors sous occupation américaine et il fallait simplement déstabiliser la Syrie, en lui retirant le Liban, mettant ainsi un terme au mandat qui lui avait été confié sur ce pays dans la foulée de la première guerre du Golfe au début des années 90. Dans l'esprit des deux présidents occidentaux, l'Iran serait trop occupée avec l'Afghanistan et le Pakistan pour pouvoir réagir, d'autant que son influence dans le monde arabe restait réduite au Hezbollah au Liban.
La guerre de 2006 au Liban a contredit ces pronostics, puisque face aux critiques adressées au Hezbollah par de nombreux pays arabes dont l'Arabie saoudite, ce dernier s'est tourné encore plus vers l'Iran et les résultats de cette guerre ont renforcé non seulement le parti chiite, mais aussi l'influence exercée sur lui par l'Iran. Les guerres de Gaza ont abouti au même résultat, ainsi que les troubles en Irak et la récente guerre au Yémen, sans parler de l'aide considérable fournie par Téhéran au régime syrien. En d'autres termes, selon le diplomate libanais précité, l'Iran est devenu aujourd'hui une composante incontournable du Moyen-Orient. Le nouveau Moyen-Orient, sans l'Iran, préparé par l'ancienne secrétaire d'État américaine Condoleezza Rice et dont la guerre de 2006 était selon elle la première des contractions douloureuses de l'enfantement, n'a donc pas vu le jour.
Depuis neuf ans, l'influence de l'Iran n'a cessé de grandir dans la région et la conclusion de l'accord sur le nucléaire fera de ce pays un interlocuteur légitime dans tous les dossiers chauds, d'autant qu'il n'a cessé d'engranger les cartes pour renforcer sa position en vue du moment où le « bazar » sera réellement ouvert. Le diplomate libanais estime justement que ce bazar sera forcément ouvert après la conclusion de l'accord sur le nucléaire, au sujet de la Syrie, de l'Irak, du Yémen et d'autres dossiers. Mais il faut, selon lui, faire en sorte que le Liban devienne un dossier prioritaire, tout en ne dépassant pas la ligne rouge que constitue la situation sécuritaire. Dans ce cadre, le mouvement de protestation lancé par le général Michel Aoun et le bloc du Changement et de la Réforme pourrait être, en plus des revendications dont il est porteur, une tentative d'accélérer l'examen du dossier libanais par les instances régionales et internationales. Car, pour l'instant, ce dossier est placé dans une glacière, sachant que, grosso modo, la situation dans ce pays reste acceptable en comparaison des incendies qui consument la région. Des sources bien informées ajoutent aussi que le Liban renfermerait d'importants gisements de pétrole et de gaz, en plus de ses richesses en eau, une combinaison rare dans la région, qui pourrait faire de lui un enjeu important dans le partage futur des zones d'influence.
Avec un peu de chance, le déblocage régional pourrait donc se produire sans trop tarder, lorsque les discussions sur les sujets régionaux commenceront avec l'Iran. La grande conséquence de l'accord sur le nucléaire, s'il est signé, sera justement d'ouvrir la voie à des négociations sur les questions brûlantes dans la région, qui prennent en considération l'influence de l'Iran, devenu un pays comme les autres dans le concert des nations...
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commentaires (8)
Un article super bien construit .. . Meme si ca rend malade Bon nombre de libanais of the other side , merci Scarlett
Hitti arlette
18 h 34, le 13 juillet 2015