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Liban

L’Association francophone pour les malades mentaux : le devoir de restituer aux patients toute leur dignité

Les fondateurs de l’AFMM.

« Qui d'entre nous n'est pas un peu autiste (on répète souvent la même chose), maniaque (quand on range nos affaires), parano (quand les gens nous font un peu de mal), ou schizo (quand ils nous embêtent un peu trop) ». C'est par cette évidence que Rita Moukarzel, l'un des membres fondateurs de l'Association francophone des malades mentaux (AFMM), a introduit hier l'un des objectifs-clés de cette nouvelle association, inaugurée hier au siège de la faculté de médecine de l'USJ qui en sera le siège.
L'AFMM entend déstigmatiser les maladies mentales à travers des programmes spécifiques et une mise en valeur par le biais de la littérature, l'art, le cinéma français et francophone. Briser les tabous, expliquer, renseigner et, surtout, sensibiliser à la dimension humaine et au respect de la dignité de l'autre souffrant : tels sont les notamment les tâches auxquelles comptent s'atteler les fondateurs – deux psychiatres, un avocat, une trésorière et la présidente du syndicat des professionnels du graphisme.
« Nous sommes tous un peu dérangés mentalement, mais bien entendu il y a des "dérangements" un peu plus pathologiques que cela », poursuit Mme Moukarzel. Cette entrée en matière est pour rappeler que la maladie mentale, comme la maladie physique, peut toucher chacun d'entre nous à n'importe quel moment, d'où la nécessité de démystifier le « normal » pour mieux comprendre, accepter et compatir.
Associer la culture à la médecine, plus précisément à la psychiatrie, n'est pas chose commune, certes. Elle constitue cette valeur ajoutée permettant de mieux rendre compte de la dimension holistique de l'homme et, dans ce cas précis, des malades mentaux. C'est cette réflexion que l'AFMM a voulu ajouter à ses multiples missions.
Revenant à la relation parfois intrinsèque entre folie et génie, création et maladie mentale, Mme Moukarzel rappelle que l'association entre la pathologie mentale et la créativité est désormais prouvée. Il s'agit d' « une idée renforcée dans les représentations collectives par l'archétype romantique de l'artiste maudit hérité du XIXe siècle », dit-elle, citant les pathologies psychiatriques de Van Gogh, Maupassant et Séraphine de Senlis.
« Les hallucinations de Van Gogh lui auraient inspiré ses tableaux. Et la théorie de la gravitation de Newton devrait plus au trouble bipolaire qu'à une pomme », ajoute l'intervenante.
Souligner l'association entre l'art, la créativité et la maladie mentale constitue en effet le premier pas en direction de l'abolition des préjugés. Une manière également de révoquer l'idée selon laquelle celui qui a « des aptitudes intellectuelles insuffisantes n'a point droit à la dignité humaine ». C'est précisément cette dignité humaine que l'association entend restituer aux plus vulnérables, à ceux qui ne peuvent le faire seuls.
Le Dr Ramzi Haddad a rappelé le « défilé festif » organisé par plusieurs associations le 13 juin dernier à Paris pour affirmer la citoyenneté des personnes atteintes de maladies mentales.
La stigmatisation continue d'affecter aussi bien le patient que sa famille, engagée au quotidien dans un combat pénible. « Sentiment de honte, de culpabilité et une baisse d'estime de soi chez le patient et ses proches, souvent à l'origine d'un isolement et d'une marginalisation », dit-il. Dr Haddad en fait assumer partiellement la responsabilité aux représentations de la maladie qu'en font les films, les livres, les médias et les faits divers, « qui ont souvent contribué à imprimer dans la pensée collective une vision extrême et rare des malades mentaux comme étant criminels, dangereux, marginaux ». D'où la nécessité de déployer des efforts considérables sur ce plan dans notre pays, souligne-t-il.
Autre responsabilité fondamentale que l'association compte assumer : l'aide aux patients démunis souffrant de troubles mentaux. Face à la progression des inégalités sociales et économiques, l'association vise à offrir une assistance sociale aux personnes souffrant d'une pathologie psychiatrique et vivant en situation de précarité. « Une situation de précarité qui est souvent créée par les pathologies elles-mêmes et entretenue par une absence de couverture sociale », souligne Doris Choueifati, infirmière.
Le droit à la dignité, notamment celle des destinataires de l'action de l'AFMM, reviendra dans l'intervention de l'avocat de l'association, Dany Rifaat. « Devenue concept juridique qui combine le respect de l'être humain et la dignité de la personne en tant que membre du corps social, la dignité est ce droit fondamental auquel il est interdit de porter atteinte, quel que soit l'âge ou le statut social d'un malade », dit-il. Et de prévenir d'emblée que les activités politiques seront étrangères à l'association, sans pour autant bouder les contacts avec les cercles officiels, « dans le but de servir nos objectifs ».
D'ailleurs, le lancement de l'association a été placé sous le patronage du ministre de la Culture, Raymond Araygi, qui s'est engagé à soutenir l'AFMM « moralement ». Représentant le ministre, le Dr Wissan Issa a rappelé les blessures occasionnées suite aux conflits qui ont ponctué l'histoire du Liban. « Au-delà des destructions matérielles, la longue guerre du Liban a lézardé les remparts de notre société provoquant des fissures profondes dans les âmes et les corps », a-t-il dit. Selon lui, « la crise économique et politique est venue s'ajouter à leur condition déjà ébranlée, les a laissés exsangues et apathiques ». Par conséquent, ajoute le médecin, les malades mentaux « ne peuvent être occultés et relégués à la périphérie de notre société ». « C'est pourquoi, en l'absence de structures sociales et médicales étatiques, réellement performantes et accessibles à tous, le rôle des ONG est indispensable, je dirai même plus, vital. »
L'ambition des fondateurs à long terme est de parvenir également à créer un réseau international dans l'espace francophone composé de psychiatres et de malades, une mission déjà lancée, indique le président de l'association, le Dr Samir Richa, qui souligne que cela se fera grâce à un comité international chapeauté par le Pr Sami-Paul Tawil en France. Le comité regroupera des psychiatres chevronnés dans les principaux pays francophones, dont plusieurs ont déjà répondu présent à l'appel. L'AFMM s'est fixé un dernier but, celui de la recherche dans le domaine des maladies mentales, « un sujet qui laisse à désirer dans les pays francophones », fait remarquer le Dr Richa.

« Qui d'entre nous n'est pas un peu autiste (on répète souvent la même chose), maniaque (quand on range nos affaires), parano (quand les gens nous font un peu de mal), ou schizo (quand ils nous embêtent un peu trop) ». C'est par cette évidence que Rita Moukarzel, l'un des membres fondateurs de l'Association francophone des malades mentaux (AFMM), a introduit hier l'un des objectifs-clés...

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