Dans son récent ouvrage Ma vie au service de la parole, le prédicateur de la Maison pontificale, le P. Raniero Cantalamessa, affirme que ce qui caractérise le pontificat du pape François, c'est que ce dernier « est en train de déplacer l'épicentre de la prédication de la morale à la foi, de l'Église à Jésus » (p.169 de l'édition française). C'est dans le changement de « centre » que réside la déconcertante nouveauté que l'on trouve aux paroles du pape qui, allant « à la périphérie de la société », aux catégories sociales exclues par « la morale », appelle et recherche, parfois avec angoisse, les « brebis perdues » de l'Église, individus et familles.
Si le P. Cantalamessa a été sensible à ce « déplacement d'épicentre », c'est qu'il croit lui-même que « l'annonce de la foi, porteuse d'un message d'espérance, précède résolument l'obligation morale qui peut en découler » (p. 9).
En d'autres termes, dit le P. Cantalamessa, « il faut renouveler non pas tant le contenu que l'ordre dans lequel les contenus sont proposés ; d'abord par le devoir accompli, ensuite la grâce (...) mais avant tout le don de Dieu et, ensuite, les devoirs comme réponse à la grâce ».
Citant l'opposition entre « l'esprit et la lettre » de saint Paul (2, Corinthiens 3,6), le P. Cantalamessa reprend à son compte une proposition de saint Thomas d'Aquin : « La lettre désigne toute loi écrite qui demeure extérieure à l'homme, même les préceptes moraux contenus dans l'Évangile ; c'est pourquoi, même la lettre de l'Évangile tuerait si, à l'intérieur, ne s'y adjoignait la grâce purifiante de la foi » (p.120).
Dans un pays saturé de morale, a-t-on annoncé cette vérité aux 140 jeunes maronites du Forum maronite mondial qui vient de se tenir ou s'en est-on tenu aux clichés sur les « racines chrétiennes » et les « valeurs », sans même que le nom de Jésus soit une seule fois prononcé ?
Une même lassitude vous prend à écouter les patriarches orientaux déplorer la duplicité des grandes – et moins grandes – puissances, lors du symposium « Foi et martyr » de Kaslik, organisé pour braquer les projecteurs sur le génocide des syriaques (1915).
Certes, c'est à raison qu'ils dénoncent des gouvernements qui, tout à la fois, nous accablent de leur sollicitude pour le fardeau insupportable que font peser les réfugiés sur notre économie et notre société, et, en sous-main, poursuivent des politiques inavouables (et inavouées) qui maintiennent inchangé le rapport de force sur le terrain. Ces discours donnent curieusement l'impression d'être prononcés au nom d'une loi morale qui demeure « extérieure à l'homme ». Mais c'est peut-être une distorsion due à une retransmission télévisée qui retient exclusivement leur dimension politique.
Par ailleurs, au fil des discours prononcés à Kaslik, un dignitaire religieux s'est cru en droit de demander pour le Liban un régime fédéral, se contentant à défaut d'une « décentralisation », et demandant aux réfugiés syriens et irakiens chassés par la guerre de s'y établir.
On ne saurait être plus transparent. Le Liban patrie de rechange des chrétiens orientaux, voilà ce qu'implique cette proposition. Et certes, l'idée est en l'air : un changement d'alliance et une fédération de « minorités » face à l'océan sunnite. Mais comment ce dignitaire religieux se permet-il en public de disposer ainsi du Liban-message de Jean-Paul II ?
Tout cela pour dire qu'à nous-mêmes ainsi qu'à tous ceux qui sont accueillis chez nous, ce que nous devons annoncer avant le Liban, avant saint Maron, avant la Vallée sainte, avant la fête de l'Annonciation, avant le patrimoine culturel, c'est Jésus-Christ, et Lui vivant, non pas histoire, personnage, symbole, modèle ou moralité.
« L'homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres ou, s'il écoute les maîtres, c'est parce que ce sont des témoins », a dit le pape Paul VI. Seigneur de l'histoire, l'Esprit Saint « ne fait pas de nouvelles choses, mais il renouvelle toute chose », dit à son tour le P. Cantalamessa. Et Il donne à chaque chrétien une expérience personnelle de Dieu et un témoignage. Voilà ce que nous devons annoncer à tous ceux qui nous entourent. Les fausses solutions provoquent de faux espoirs. Elles compromettent la foi et l'espérance. La seule marque indiscutable de la présence de l'Esprit Saint est l'amour des ennemis.
Liban - En toute liberté
De la morale à la foi : moins de maîtres, plus de témoins
OLJ / Par Fady NOUN, le 06 juillet 2015 à 01h07
commentaires (3)
LA POLITIQUE ET LES INTÉRÊTS DÉCIDENT DES GÉOGRAPHIES ET DES MASSES ! LES VOEUX PIEUX NE SERVENT À RIEN !
LA LIBRE EXPRESSION
13 h 03, le 06 juillet 2015