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Un État à la diète

En ce mois de jeûne du ramadan, c'est à leur singulière manière que nos responsables vont faire œuvre pie en se préparant à vivre au ralenti. Après la vacance de la présidence, après la léthargie d'un Parlement autoreconduit deux fois déjà, c'est en effet le Conseil des ministres qui, des semaines durant, va devoir faire abstinence de toute activité, car incapable de s'entendre sur l'échelle des priorités.

Elles sont foule pourtant, les échéances en souffrance. Nombreuses sont celles qui ont trait à la survie même des institutions et qui donnent lieu à des débats passionnés. Et encore plus nombreux sont les dossiers en souffrance et qui affectent seulement, eux, la vie quotidienne de ces éternels laissés-pour-compte que sont les simples citoyens.

Faute de budget, les fonctionnaires de l'État ne seront peut-être pas rémunérés dès le mois prochain, ce qui les condamne, postramadan, à un jeûne prolongé. Victimes collatérales des guerres d'Irak et de Syrie qui ont perturbé le trafic des poids-lourds, privés de subventions qui les aideraient à exporter leurs produits par voie maritime, les agriculteurs libanais crient déjà famine. Le chômage ne cesse d'augmenter, en raison de la concurrence déloyale pratiquée par les réfugiés syriens sur le marché des taxis et autres modestes emplois. Et des bambins continuent de mourir, atteints par l'une de ces balles tirées avec une criminelle profusion pour saluer un discours incendiaire ou pour ensevelir un milicien tombé au combat en terre étrangère.

La liste de nos maux pourrait occuper deux autres colonnes de journal : le moindre n'étant pas ce sempiternel débat sur le site des décharges publiques. Intervenant spectaculairement sur la scène verte, le pape François s'effare du gigantesque dépotoir que menace de devenir la Planète, statut que pourra revendiquer, en avant-première et en modèle réduit, notre pays. Incapables de nous débarrasser de nos propres déchets, par quel prodige arriverions-nous un jour à dératiser une administration publique et aussi un personnel politique infestés d'insatiables rongeurs ?

Pour en revenir précisément à la politique, on trouve, bien sûr, matière à réconfort dans les appels à la concorde qu'ont adressés aux fidèles, au seuil de ce mois de sacrifice et de recueillement, les chefs religieux des deux grandes branches de l'islam libanais. Non moins remarquable, et fort bienvenue, est cependant la toute récente cristallisation, au sein d'une communauté chiite longtemps tenue pour monolithique, car placée sous la férule du Hezbollah, d'un courant centriste en tout point digne de respect et d'admiration.

Ces contestataires, qui s'affirment sans défi mais avec fermeté sur la place publique, qui ne professent d'autre allégeance qu'à l'État, qui se désolidarisent des équipées guerrières en Syrie ou ailleurs, sont ceux-là mêmes que la milice qualifie avec mépris de chiites de l'ambassade (américaine). Or, non seulement une telle accusation équivaut clairement à une menace, mais elle baigne aussi dans le ridicule, émanant en effet d'une milice s'arrogeant le nom de Dieu et qui n'a aucune gêne à afficher sa filiation iranienne.

Sacré culot, quand même. Sacré, pas divin.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

En ce mois de jeûne du ramadan, c'est à leur singulière manière que nos responsables vont faire œuvre pie en se préparant à vivre au ralenti. Après la vacance de la présidence, après la léthargie d'un Parlement autoreconduit deux fois déjà, c'est en effet le Conseil des ministres qui, des semaines durant, va devoir faire abstinence de toute activité, car incapable de s'entendre sur...