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Liban

Les soins de santé pour tous et pour toute une vie : quelles perspectives ?

Le Libanais lambda s'indignerait instinctivement : où est donc l'État Providence ? Wayniyé el-Dawlé ?
Les prisonniers des idéologies figées dans le temps ont le même réflexe centraliste et étatique. Certains actuaires, incapables d'innover et impotents en matière de vision stratégique, se retranchent derrière des clichés auxquels ils ne comprennent pas grand-chose : Obamacare, Medicare, NHS... Une minorité d'entre eux (un nombre très restreint) jouit d'une vision avant-gardiste et profonde du problème. Quant aux parlementaires et/ou ministres, certains sont sincères en matière de « sécurisation sociale » et d'autres braillent tout simplement par attachement au concept de la démagogie et du populisme à deux sous.
Ce courrier tend à analyser la précarité des systèmes en place, de raisonner stratégiquement et de suggérer une alternative en forme, bien définie, de solution.

L'objectif
Garantir à tout Libanais ou étranger résidant au Liban une couverture santé permettant à chacun d'être pris en charge, en toute liberté et dignité, auprès d'un établissement hospitalier ou de services en ambulatoire de grande qualité.

Les données de base
1. Paradoxalement, l'État libanais a prouvé aussi bien sa médiocrité opérationnelle que son efficacité régulatrice. À titre d'exemple, d'un côté, la Banque centrale, ainsi que le ministère de l'Économie ont prouvé être de bons régulateurs, respectivement du secteur bancaire et des sociétés d'assurances ; tandis que de l'autre, la CNSS ou le ministère de la Santé ressembleraient à la caverne d'Ali Baba.

2. Les systèmes étatiques centralisés offrant une solidarité sociale ont été conçus vers la moitié du XXe siècle. La dynamique de la course pour la survie ainsi que l'absence de synchronisation totale entre l'inflation consommatrice et l'inflation médicale ont entraîné le drainage des fonds sociaux renfloués par une taxation ou des charges sociales qui ignorent la règle d'or : « l'adéquation entre le financement et le coût marginal ». Ces systèmes, qui à la base avaient en ligne de mire une certaine idée de la justice sociale, ont engendré avec le temps et à cause des écarts techniques une discrimination sociale. Les nantis des pays les plus avancés en matière de programmes nationaux de santé ont recours à l'assurance privée ou aux caisses mutuelles privées afin d'éviter les contraintes des programmes nationaux ; des contraintes imposées par le déficit chronique et épidémique de ces mêmes programmes. Quant aux privilégiés des pays totalitaires et/ou soi-disant « socialistes », ils ne font même pas confiance à la médecine de leur pays et s'envolent vers des cieux moins socialisants et plutôt démocratiques pour se faire arracher une molaire (à l'exception de Cuba, où le système de santé est la seule réussite castriste).

3. La qualité de la médecine se détériore proportionnellement au niveau des contraintes imposées par les systèmes centralisés et étatiques. S'agissant de soins médicaux, il serait impertinent de viser une égalité dans la médiocrité. Les qualités de soins doivent prévaloir dans l'édification d'une stratégie nationale de la santé pour tous et pour toute une vie !

4. Sans trop pousser dans l'anthropologie et l'historique, les peuples ont des caractères différents. À titre d'exemple, la majorité des Danois pensent qu'ils ne paient pas assez d'impôts à l'État. Ce qui est évidemment loin d'être le cas des Libanais dont le réflexe est d'échapper aux taxes et de ne jamais accorder sa confiance à l'État (à juste titre ou pas).

5. Un trésor public moribond.

La stratégie
La réflexion stratégique doit trouver son point d'attache dans l'objectif visé et les données de base. Mettre en vigueur des systèmes qui échouent ou qui ont toujours échoué est simplement irresponsable. Promouvoir ou légiférer en faveur de systèmes qui se développeront en contradiction totale avec l'objectif visé est preuve de cécité sociale, voire de démagogie.
Les fondements d'une stratégie réelle, crédible et pérenne devraient reposer sur les principes suivants :
1. Affirmation du rôle « régulateur » de l'État et non pas « opérateur » ou « État providence ».
2. Adoption de la règle d'or : adéquation du financement avec les frais de santé de qualité.
3. Ne laisser personne pour compte. Garantir que toute personne, libanaise ou pas, résidant au Liban, jouisse d'une couverture médicale décente ; et ce pour la vie entière.
4. Aucun apport financier direct de l'État.

Les tactiques
Légiférer et voter une loi intégrale de la santé qui engloberait les points suivants :
1. Création du Régulateur national de la santé (RNS) : une sorte de Banque centrale de la santé. Le RNS fera fonction de hub de la santé nationale, jouira d'une autonomie de gestion et sera financé par les divers intervenants/partenaires et non pas par l'État. Le RNS sera immunisé contre la décrépitude politicarde et aura la responsabilité de :
i. Certifier les intervenants (dans la santé) : hôpitaux, centres médicaux, médecins, compagnies d'assurance, réassureurs, mutuelles, tiers payant, actuaires.
ii. Définir le SMIC santé, c'est-à-dire le programme de base censé couvrir tout Libanais ou étranger résidant ou de passage au Liban.
iii. Définir le seuil de pauvreté définissant le plafond de l'aide financière à accorder aux démunis.
iv. Distribuer aux démunis identifiés, selon des critères concrets, des bons de santé qui servent uniquement à l'achat d'un SMIC santé auprès d'un apériteur agréé.
v. Récolter électroniquement toutes les données des divers intervenants et contrôler les données de la santé nationale.
vi. Jouer le rôle d'arbitre ou d'ombudsman entre les divers intervenants agréés et entre ces derniers et les bénéficiaires.

2. Rendre la couverture SMIC santé obligatoire à tout Libanais ou étranger résidant ou visitant le Liban. Les apériteurs accrédités (assureurs et mutuelles) auront le droit d'offrir des couvertures en surplus du SMIC santé. La carte d'assurance santé ainsi que la garantie santé postretraite deviennent ainsi incontournables et contraignantes pour toute transaction gouvernementale. Les démunis définis par le RNS et bénéficiant des bons de santé n'auront pas d'excuse de rester non couverts par le SMIC santé ou par le programme postretraite.

3. La CNSS branche maladie sera dissoute et remplacée par le SMIC santé. Par ce fait même, les entreprises et salariés seront soulagés de la contribution à la CNSS pour sa branche maternité et maladie.

4. Le RNS sera financé par des prélèvements payés directement par les divers intervenants et non pas par le Trésor public.

5. Le fonds de soutien aux démunis, géré par le ministère des Finances, se constituera par les taxes spéciales prélevées sur les péchés (sin taxes) : alcool, cigarettes, cigares, voitures de luxe, etc.

6. Les visiteurs étrangers seront tenus d'acheter un programme de court séjour garantissant leur couverture en cas d'urgence durant leur séjour libanais.

7. Les réfugiés doivent s'acquitter à travers les organisations internationales des frais de santé grâce à un plan spécial réfugiés, spécialement conçu par le RNS.

8. Les hôpitaux gouvernementaux préserveront leur caractère non lucratif, mais leur gestion sera relayée par des sociétés privées de gestion hospitalière sur la base de Coût Plus. Ils devront faire la compétition aux hôpitaux privés et devront atteindre l'équilibre financier.

9. Les entreprises privées et institutions publiques seront obligées de couvrir leurs employés et dépendants légaux sous un programme SMIC santé avec ou sans surplus, émis par un apériteur accrédité.

10. Les entreprises privées et institutions publiques seront obligées de financer un programme d'assurance santé postretraite à leurs employés uniquement (sans les dépendants), auprès d'un apériteur agréé. Ainsi, une fois que l'employé(e) a atteint l'âge de la retraite, il/elle sera couvert(e) pour le reste de sa vie sans contribution supplémentaire sous le SMIC santé, ou plus. L'employé devrait s'acquitter de la même responsabilité vis-à-vis de son conjoint dans le cas où ce dernier est à charge.

11. Les professionnels libres seront tenus d'être couverts ainsi que leurs dépendants légaux sous le SMIC santé ou plus, émis par un apériteur accrédité.

12. Le professionnel libre sera tenu de financer un programme d'assurance santé post-retraite pour lui/elle-même et son conjoint (si à charge), auprès d'un apériteur agréé. De cette manière, une fois que l'employé(e) a atteint l'âge de la retraite, il/elle sera couvert(e) pour le reste de sa vie sans contribution supplémentaire sous le SMIC santé, ou plus.

Cette loi intégrale permet l'atteinte de l'objectif tout en préservant la qualité des soins, la dignité ainsi que le pouvoir d'achat du Libanais ; sans oublier les laissés-pour-compte. Cette loi crée une dynamique de marché et allège l'État d'un poids opérationnel ainsi que d'un fléau financier. Cette loi élimine le scénario cauchemar vécu par les entreprises dans leurs relations avec la CNSS.
Le projet de loi actuel appelé à être voté par le Parlement (prise en charge par la CNSS des employés du secteur privé, postretraite) est irréfléchi, souffre d'un manque de vision globale, et ignore les professionnels libres et les laissés-pour-compte. Lesdits laissés-pour-compte seront traités sous cette loi d'une manière discriminatoire, injuste et intimement liée au clientélisme politique. En outre, ce projet de loi est déficitaire à la base puisque le financement prévu (3 % des salaires) contredit la règle d'or : adéquation du financement au coût marginal, et puisqu'il prend appui sur une institution paralysée et inefficace (CNSS). Enfin, cette loi garde le marché de l'assurance santé (assureurs et mutuelles) sans régulation sérieuse.

Il est triste d'assister, impuissant, à une erreur stratégique de cette taille ; d'autant plus qu'elle porte atteinte au bien-être social des Libanais.

Roger BEJJANI
Fondateur de Insann SAL (1er « Third Party Administrator » au Moyen-Orient).
Cofondateur et managing director de MedNet International. A occupé les postes de chairman de MedNet Turquie, chairman de MedNet Grèce, managing director de MedNet EAU, chairman de MedNet Jordanie, managing director de MedNet RAS.
Fondateur de NextCare, le plus grand TPA au Moyen-Orient.
Concepteur de la caisse mutuelle des employés de banque.
Fondateur de la société Senior Perform.

 

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