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Culture - Portrait

William Cliff ? Jean Genet l’aurait adoré

Lauréat 2015 du prix Goncourt pour l'ensemble de sa (longue) carrière, le poète belge, invité à Beyrouth par la Maison des écrivains, s'est livré à « L'Orient-Le Jour ».

William Cliff, un poète fort en gueule.

Avec ses faux airs de truand westernien, on l'imagine plus colt à la ceinture que Fleurs du mal en main. À défaut d'un épi de blé au coin de la bouche, ce sont des poèmes qui animent les lèvres de William Cliff, et ce depuis cinq décennies. Cheveux grisonants, traits marqués par des années de sourires sous les soleils, le poète belge était récemment de passage à Beyrouth à l'invitation de la Maison des écrivains.

Pour lui, tout commence dans une chambre universitaire. Un crayon glisse sur un bout de papier et son premier poème est né : « Courbé sur mon sexe exigeant, dévoré par l'ennui... », quelques vers sur la masturbation et c'est toute sa vie qui (en) jouit. Mais pas question de s'adonner à ses plaisirs solitaires à visage découvert, lui, né André Imberechts, se fera désormais appeler William Cliff et ira jusqu'à porter des lunettes noires lors de ses apparitions publiques, histoire de garder l'anonymat. « J'étais professeur, il ne fallait donc pas que l'on dise qu'une personne du corps professoral écrit pareilles immondices ! » s'esclaffe le poète masqué, d'un rire gras.

S'il était déjà « jeune adulte » au moment d'écrire ses premiers sonnets, c'est à la période de l'adolescence que remonte sa fascination pour les mots. À la lecture d'un passage des Mémoires d'outre-tombe sur l'enfance de Chateaubriand, alors gamin terrifié par son aristocrate de paternel, Cliff a une épiphanie. « J'y ai vu le reflet exact de l'enfant que j'étais. Il était, tout autant que moi, terrorisé par son père », révèle-t-il en parlant avec les mains.
Avec les mots, il découvre le moyen de découper dans l'abondance du réel et d'exprimer « ce que la vie sociale empêche », comme sa sexualité, rythmée de rencontres avec des « hommes internationaux », de Kinshasa à Barcelone.

D'un réalisme revendiqué, qui ne se limite pas pour autant à la simple description, les poésies de William Cliff sont directement influencées par l'œuvre de son mentor Gabriel Ferrater. Dans les textes de ce poète catalan, William Cliff se reconnaît dans le choix d'écrire à propos de la vie quotidienne et d'utiliser des mots et des expressions simples et directs, refusant d'abuser d'un lyrisme abscons. « C'est le signe de mon style, j'aime raconter des choses très concrètes, alors que la poésie contemporaine est souvent plus abstraite, dit Cliff. La langue française aime la clarté, ça fait partie de son génie. L'intellectualisme est le contraire de la poésie. »

En 1979, il décide de concilier son attirance magnétique pour l'Amérique – son pseudonyme anglo-saxon n'a pas été choisi au hasard – et sa fascination pour les bateaux et la vie en mer. Sur un vieux cargo nommé Talavera, qui l'emmène d'Anvers à Buenos Aires, il se fixe pour objectif d'écrire un sonnet chaque matin. Pendant quarante jours, « dans une solitude immense », Cliff écrit sur ce qu'il voit, entend, ressent. Un carnet de voyage poétique ponctué en vers de quatorze syllabes, sa marque de fabrique.

De ce voyage naît America. Lui dont personne ne voulait dans sa Belgique natale est publié par Gallimard, l'une des plus grandes maisons d'édition françaises. Ultime consécration pour un homme de lettres, il est alors invité sur le plateau de la célèbre émission littéraire Apostrophes, animée par Bernard Pivot. Tout le monde, désormais, connaît William Cliff, son style unique, et une gueule que Jean Genet aurait adorée. Mais le talent et la reconnaissance n'empêcheront pas journalistes et commentateurs de le réduire, trop souvent, à son homosexualité.

William Cliff, poète belge homosexuel, le meilleur d'une catégorie qui ne compte sans doute que lui. « On veut toujours nous ranger dans des cases, c'est comme nous mettre un bâillon », estime-t-il.
Le 5 mai lui était décerné le prestigieux Goncourt de la poésie/Robert Sabatier pour l'ensemble de son œuvre, un prix qui récompense les poètes faisant, eux aussi, partie d'une certaine catégorie ; celle des chantres dotés d'un immense talent.

 

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