Le feuilleton de Roumieh lié aux tensions confessionnelles

Le feuilleton de la prison de Roumieh résume la triste situation du Liban et de ses institutions étatiques. Les rares fois où l'État libanais cherche à faire preuve de force et à montrer à la fois ses muscles et son autorité, l'illusion fait long feu et les scénarios mis en place jouent les remakes d'une façon affligeante.
On se souvient encore du tapage fait autour « du coup de force » du ministère de l'Intérieur contre le bâtiment B de la prison, où les détenus islamistes avaient créé leur mini-émirat, à partir duquel ils ont géré des opérations terroristes, notamment à Baal Mohsen. L'opération, qui s'était déroulée il y a à peine quelques mois, avait été largement couverte et on avait alors dit que l'émirat du bâtiment B était mort à jamais, les détenus ayant été déplacés vers le bâtiment D, considéré comme mieux surveillé, mais toujours placé sous le contrôle direct du département des informations (SR) des FSI. Ce dernier avait d'ailleurs fermement décidé de couper la ligne Internet et de confisquer les téléphones portables des détenus.

Qu'elle n'a donc été la surprise des Libanais de découvrir, après cette solution présentée comme radicale, une nouvelle mutinerie, au bâtiment D cette fois, au cours de laquelle les mêmes détenus islamistes ont pris des agents des FSI en otage pendant plusieurs heures et ont détruit en quelques minutes des aménagements qui ont coûté 7 millions de dollars au Trésor public.
En 14 minutes, montre en main, les détenus ont arraché les portes en fer et cassé les caméras de surveillance, avant de désigner leur négociateur avec les autorités, le détenu Khaled Youssef. Ce dernier a même pu entrer en contact avec le leader druze Walid Joumblatt, en utilisant un téléphone militaire arraché aux otages, pour l'informer que parmi les infirmiers et les agents de sécurité pris en otage il y avait deux druzes... En face de ce négociateur d'un nouveau genre, le commandant Khaled Alyane, relevant de la force de frappe et du général Mounir Chaabane des FSI, essayait de faire preuve de fermeté. La mutinerie a pourtant commencé vendredi et elle n'a été connue que lundi, une fois la situation de nouveau sous le contrôle des autorités. Ce qui montre bien qu'il y a eu une période de confusion au niveau du commandement. Le ministre de l'Intérieur a certes immédiatement décidé de réagir, mais il a probablement dû faire face à une opposition au sein de son courant politique, puisque les parents de détenus ont immédiatement tenté de faire pression sur lui, en mobilisant la rue à Tripoli. Il a donc fallu près de 72 heures aux autorités pour mater la rébellion et, une fois de plus, les responsables ont annoncé la fin du « rêve de l'émirat » à la prison de Roumieh.

La classe politique s'est bien gardée de commenter cet événement, mais il est clair qu'il est lié aux remous internes sur la scène sunnite. Une source sécuritaire précise ainsi que la soudaine mutinerie au bâtiment D ne peut pas être isolée des derniers développements régionaux et de la radicalisation des positions à l'égard de la guerre au Yémen. La lutte entre l'Iran et l'Arabie saoudite ayant atteint son apogée dans le cadre de cette guerre, ce clivage s'est répercuté au Liban entre les alliés de l'une et ceux de l'autre. Ce qui a affaibli la position du ministre de l'Intérieur Nouhad Machnouk, partisan du dialogue avec le Hezbollah contre les faucons du courant du Futur qui estiment que ce dialogue est dans l'intérêt des pro-Iraniens. Même le discours virulent contre l'Iran de M. Machnouk, au cours du dîner organisé en son honneur par « la Ligue des familles beyrouthines » mardi soir, n'avait pas été suffisant pour calmer les faucons. D'ailleurs, le ministre de la Justice Achraf Rifi n'avait pas personnellement assisté à ce dîner, préférant y envoyer un représentant.
Selon la source sécuritaire, les détenus islamistes ont donc cherché à rétablir leurs anciens privilèges du bâtiment « B », en lançant cette mutinerie, convaincus d'avoir l'appui des faucons du courant du Futur et croyant pouvoir profiter du climat de radicalisation confessionnelle qui règne au Liban et dans l'ensemble de la région pour reprendre du pouvoir et de l'influence. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le député de Tripoli Mohammad Kabbara a ouvertement critiqué M. Machnouk dans le sillage de cette mutinerie, au point que le vice-président de la Chambre, Farid Makari, a dû publier un communiqué officiel pou contester les propos de M. Kabbara et rappeler que le chef du courant du Futur a une grande confiance en Nouhad Machnouk, qui, en tant que ministre de l'Intérieur, doit travailler pour tout le Liban, et non pour un intérêt partisan.

Cette fois donc, le pire a encore été évité, mais contrairement à ce qui se dit, la question des détenus islamistes n'est pas nécessairement réglée. Ceux-ci continueront à guetter la moindre occasion pour rétablir leur autorité et leurs privilèges, en jouant sur les tensions confessionnelles et sur une certaine mobilisation de la rue sunnite. Selon la source sécuritaire précitée, la seule véritable solution consisterait dans l'accélération du processus judiciaire. Mais cela ne dépend plus ni des forces de sécurité ni du ministère de l'Intérieur...