Le musée de Mossoul a tristement eu droit aux effets « collatéraux », si prévisibles, d'une guerre que mène l'État islamique contre l'Occident. La diffusion à large échelle, sur les réseaux sociaux et les médias, de la vidéo montrant les actes de « destruction » a provoqué une déferlante d'indignations. Sur Facebook, Twitter, les commentaires s'enchaînent et se ressemblent. Certains, échaudés, n'hésitent pas à laisser parler leurs instincts les plus primaires – « Ce sont eux (les jihadistes) qu'il faudrait abattre à coups de massue » –, d'autres, fervents défenseurs du patrimoine culturel mondial, font exploser leur colère : « La vidéo est insoutenable ! » Insoutenable, vraiment ?
L'État islamique, lui, a bien compris les codes du média-spectacle. Leur propagande a touché son but. Celui d'outrer outre-frontières les esprits en mettant en scène, à la manière hollywoodienne, le vandalisme, avec effet en ralenti de coups de massue en prime. Dans sa volonté de faire disparaître toute trace du passé, ce groupe tend à rafraîchir la mémoire de l'homme occidental, lui rappelant les images des bouddhas saccagés par les talibans afghans en 2001, afin de choquer l'opinion. Depuis longtemps pourtant, l'Irak est sauvagement délesté de ses trésors archéologiques, souvent même sous le regard impuissant des soldats de la coalition.
Mais, cette fois-ci, les motivations semblent plus évidentes. Il n'est pas question d'évoquer le vandalisme « cupide » (même si la vente au marché noir de certaines pièces risque d'être évoquée), ni le vandalisme « envieux », et même le vandalisme « intolérant » semble, quelque part, peu plausible. Le vandalisme religieux, en effet, englobe tous les actes commis par les chrétiens envers les idoles païennes, ceux des protestants contre les monuments et les symboles catholiques, ou ceux de la « cité des 333 saints » à Tombouctou au Mali.
(Lire aussi : Le vandalisme du musée du patrimoine archéologique irakien provoque un tollé)
Vision nihiliste
Dans le cas du musée de Mossoul, même si les jihadistes de l'EI entendent agir sous le couvert d'imposer leur vision rigoriste de l'islam, refusant toute idolâtrie, il semble plus probable qu'ils ne répondent qu'à leurs instincts destructeurs, qu'à leur schéma nihiliste, comme l'a déjà évoqué l'islamologue Olivier Roy, rappelant leur « fascination pour la mort ».
Pour Patrice Alexandre*, professeur aux Beaux-Arts de Paris, « la première réflexion que l'on peut avoir est la condamnation ferme face à la destruction des trésors de l'humanité, mais, d'un autre côté, à chaque fois qu'un vainqueur est arrivé au pouvoir, la première chose qu'il a faite a été, la plupart du temps, de détruire les œuvres qui étaient liées à un passé ». D'autre part, « la destruction des statues de Lénine, après l'effondrement de l'Union soviétique, pourrait nous faire poser la même question et adopter une attitude triste quant à la perte de l'œuvre en elle-même, mais il ne semblait pas y avoir d'autre solution à l'époque afin d'instaurer un nouveau pouvoir politique ».
« Détruire des œuvres d'une qualité aussi rare, c'est absolument effarant. Mais qui dit ça ? Un artiste occidental issu d'une culture ancestrale, évidemment passionné par les œuvres produites par l'humanité. Mais est-ce recevable comme idée ? » s'interroge-t-il. Il est vrai que la perception de l'acte de destruction est différente selon les cultures. Depuis les vandales qui pillèrent Rome en 455, tous les dommages collatéraux liés aux guerres, jusqu'à la fin de la Révolution française, la notion de « patrimoine culturel » n'existait pas. Il s'agit donc bien d'une notion occidentale contre laquelle l'État islamique s'attaque. Quand les « Ottomans ont repris Constantinople, ils n'ont pas détruit l'art chrétien. Comme dans le cas des églises, les Ottomans les ont simplement réhabilitées en mosquées ou en bâtiments divers en y fondant leur culture propre », rappelle M. Alexandre.
Suivant une certaine logique de tout détruire sur leur passage, les jihadistes de l'EI sont totalement dans leur rôle, en saccageant les œuvres d'art qui ont été les symboles d'une société ancienne. « Les monuments sont toujours fabriqués par le vainqueur et jamais par le vaincu », explique le professeur aux Beaux-Arts.
« Quand ont veut détruire une mémoire, on commence par l'architecture, les sculptures, par tout ce qui est lié à l'espace public, indique Patrice Alexandre. En tant qu'Occidental complètement obnubilé par l'œuvre d'art, je ne peux pas accepter qu'on détruise des œuvres ainsi. Mais cela est le premier discours alarmiste, lié à l'émotion. Ensuite vient le discours de celui qui fait la guerre, et le discours du politique. »
* Patrice Alexandre a enseigné à l'École régionale des beaux-arts du Mans, à la Polytechnic Fine Art de Wolverhampton, à l'École nationale supérieure d'architecture Paris-Belleville. Il est professeur aux Beaux-Arts depuis 2008.
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commentaires (4)
La plupart des statues detruites sont des copies en platre, des specialistes l'ont confirme. Mais ou sont passes les originaux, sachant que ces Islamistes occupent le musee depuis 8 mois deja ?
Gerard Avedissian
15 h 25, le 28 février 2015