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Liban - Histoire

« Le patriarcat d’Antioche et l’Église maronite » de Georges Kadige, un ouvrage provocateur

Daccache : « En ces temps où nos Églises sont en train de vivre une crise d'existence, il est nécessaire pour elles d'interroger leur passé pour mieux avancer sur les voies de l'unité. »

Le Pr Georges Kadige signant son ouvrage au campus de l’innovation de l’USJ.

C'est un ouvrage – tranquillement – provocateur que vient de publier Georges Kadige, professeur à la faculté de droit de l'USJ. « Le patriarcat d'Antioche et l'Église maronite »(*) est un livre dense, pertinent, objectif, sur l'histoire de l'Église maronite jusqu'au synode libanais de 1736, accompagné de deux documents de référence de la littérature ecclésiale maronite : le Kitab al-Huda c'est-à-dire le livre de la Direction, un ouvrage théologique et pastoral datant du XXIe siècle, et surtout le corpus complet des décrets et des décisions du fameux synode libanais ou « de Louaizé » qui mena l'Église maronite à s'inspirer largement des directives du concile de Trente de 1542, ordonnateur de la contre-réforme. Inclure ces deux textes dans l'ouvrage en fait pratiquement un manuel universitaire et une référence scientifique indispensable et facilement accessible.
« Le patriarcat d'Antioche et l'Église maronite » est une thèse de doctorat présentée en 1971 à Lyon par celui qui préside aujourd'hui aux destinées du Centre d'études des droits du monde arabe (Cedroma) de l'USJ. « En le publiant , nous dit le Pr Salim Daccache, qui l'a préfacée, Georges Kadige, comme beaucoup de ses contemporains, au vu de l'éparpillement des Églises d'Orient, d'une part, et de leur affaiblissement faisant suite à la désunion continue, d'autre part, déchiffre "les signes de communion" qui puissent leur donner un nouveau souffle et leur offrir l'occasion d'un rapprochement si souhaitable ». Comme on le sait, ou comme on ne le sait peut-être pas, la ville d'Antioche a été la matrice d'un patriarcat qui a fini par se démembrer en cinq Églises distinctes : l'Église maronite, l'Église syriaque-orthodoxe, l'Église grecque-orthodoxe, l'Église melkite et l'Église syriaque-catholique.
La thèse de M. Kadige, qui à la base est un historien du droit, date de 1971, moment significatif du mouvement œcuménique, puisqu'il se situe au lendemain du concile Vatican II (1962-1965). Aujourd'hui, tout en restant strictement historique, son propos semble plus pertinent que jamais, estime le Pr Daccache, puisque « dans les moments actuels où nos Églises sont en train de vivre une crise d'existence tout court, il est nécessaire pour elles de se rapprocher plus qu'avant et d'aller plus loin sur les chemins de la collaboration et de la construction de ponts entre elles », après avoir interrogé leur passé.

La force de l'Église maronite
Parallèlement, en « bon maronite » et, aussi, en ancien postulant séminariste, l'auteur a cherché à souligner « l'unité et la force de l'Église maronite, qui à travers les siècles s'est forgée une présence bien spécifique et pertinente dans le concert des écoles et églises locales, non seulement au Proche-Orient mais au niveau mondial ».
À ce titre, souligne le Pr Daccache, « cet ouvrage est comme un cri ou un appel qui suppose un profond écho sinon des échos sur la scène ecclésiale moyen-orientale en vue d'une réelle réforme ecclésiale qui devrait repenser les structures mêmes de gouvernance de la communauté ». Et de souligner le besoin « urgent » de réforme de l'Église maronite qui doit se retrouver « comme communauté religieuse croyante et non comme confession qui cherche à se positionner et avoir des parts dans un pays considéré comme butin de guerre qu'il faut distribuer entre membres d'un bataillon ».
Le Pr Daccache s'avance même à dire qu'à moins d'un désengagement de l'actualité sociale et politique, l'Église maronite court à sa perte. « Il est vrai, relève-t-il, que les problèmes d'ordre strictement ecclésial ne peuvent, pour une partie du moins, être dissociés des questions d'ordre social et politique. Toutefois la communauté ecclésiale est profondément l'otage d'une âpre lutte orchestrée par les laïcs et les clercs, lutte qui a ses racines historiques anciennes en vue d'une mainmise sur le pouvoir politique libanais. À cause de cette lutte, les divisions visibles et invisibles ne font qu'affaiblir cette communauté et sa présence. La communauté se trouve aujourd'hui manipulée par le virus politique et tant qu'elle l'est, elle n'a pas beaucoup d'espoir de salut. »

Des divisions consternantes
Trouve-t-on tout cela dans l'ouvrage de Georges Kadige ?
Pas vraiment. Mais on le trouve, comme l'a fait le recteur de l'USJ, dans son prolongement. L'auteur se défend de toute extrapolation, mais l'actualité pousse le lecteur à le faire à son corps défendant.
C'est d'ailleurs ce qu'exprime l'évêque maronite de Sarba, Paul Rouhana, à la soirée de présentation de l'ouvrage. « En parcourant le livre du Pr Khadige, on est consterné par l'ampleur des divisions de nature doctrinale, personnelle, politique ou sociale, qui ont contribué au démembrement du patriarcat d'Antioche. Si cette thèse manque de « souffle œcuménique », c'est tout simplement parce qu'elle a été soutenue en 1971, et que toutes les dénominations ecclésiales étaient aux antipodes de la prière de l'abbé Couturier, en ce sens que les Églises définies persistaient à vouloir réaliser l'unité de l'Église non pas "telle que le Christ la veut, et par les moyens qu'il voudra", mais selon leur propre volonté et par les moyens qu'ils voulaient ». « La thèse du Pr Kadige (...) exprime à sa manière l'épaisseur humaine dans l'histoire divino-humaine de l'Église », conclut l'évêque de Sarba.

Pourquoi maintenant ?
C'est dans le même sens que s'est également exprimé l'auteur de la thèse.
« Pourquoi éditer ce livre aujourd'hui ? s'est-il interrogé tout haut en présentant son livre. Tout simplement parce que jamais la situation des chrétiens d'Orient, tous rites confondus, n'a été aussi préoccupante (...) l'ouvrage s'attelle à présenter dans une première partie le patriarcat d'Antioche matrice de presque toutes les Églises orientales, en commençant par sa naissance pour finir par son morcellement (...) Les séparations douloureuses sont présentées avec autant d'impartialité et d'objectivité que cela est possible, les incompréhensions signalées comme des maux qui aurait été tellement souhaitable d'éviter. »
Il est également question, conclut le Pr Kadige de l'« estrangement », selon l'expression d'Yves Congar qui s'installe sournoisement dans les relations entre l'Orient et l'Occident, des incompatibilités d'humeur et de visions qui rongent les Églises et sapent l'unité tant souhaitée par le Christ pour aboutir enfin à ces efforts (contemporains) pour rétablir l'union souhaitée par tous mais (...) que ces Églises ne réussissent pas encore à réaliser puisqu'elles se montrent même incapables d'unifier ne serait-ce que la célébration de la fête de Pâques, essence de la foi chrétienne ; incapables de fixer une date...
Un livre à tous points de vue important et dont l'intérêt académique déborde largement la recension qui en est faite ici. Un document à charge pour tous ceux qui aspirent à l'unité et qui à travers « l'épaisseur humaine », veulent mener à son terme spirituel l'histoire de l'Église maronite et du Liban.

(*)Le patriarcat d'Antioche et l'Église maronite (Des origines au synode de 1736) de Georges Kadige, préfaces du Pr Salim Daccache s.j. et de Mgr Paul Rouhana, éditions Cedroma-Cerpoc.

 

 

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commentaires (4)

Le Pr Daccache : "L'Eglise maronite court à sa perte." Evidemment. Lorsque Béchara El-Khoury sollicite l'aide des Anglais en 1943 pour évincer Emile Eddé. Lorsque Elias Sarkis en 1976, Emie Lahoud en 1989 et Elias Hraoui en 1998 acceptent le diktat des occupants syriens pour s'asseoir allégrement à Baabda. Je ne parle pas du dernier venu octogénaire qui sollicite Damas et Téhéran pour assouvir sa soif de vengeance envers tout le monde...

Un Libanais

17 h 39, le 23 janvier 2015

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Commentaires (4)

  • Le Pr Daccache : "L'Eglise maronite court à sa perte." Evidemment. Lorsque Béchara El-Khoury sollicite l'aide des Anglais en 1943 pour évincer Emile Eddé. Lorsque Elias Sarkis en 1976, Emie Lahoud en 1989 et Elias Hraoui en 1998 acceptent le diktat des occupants syriens pour s'asseoir allégrement à Baabda. Je ne parle pas du dernier venu octogénaire qui sollicite Damas et Téhéran pour assouvir sa soif de vengeance envers tout le monde...

    Un Libanais

    17 h 39, le 23 janvier 2015

  • La théologie a 1 penchant pour la froide contemplation de soi, qui la rend dès l’abord étrangère surely à la pratique ; prompt elle à la riposte ; qui ne réalise son caractère que dans la communication. Cette idée est non-populaire, son activité mystérieuse repliée sur elle-même apparaît à l’œil profane sûr comme 1 occupation aussi extravagante que dépourvue de valeur pratique : elle passe pour 1 prof de magie, dont les incantations sont pleines de solennité parce qu’on ne les comprend jamais. Cette "théologienne", de par son caractère, n’a jamais fait le 1er pas pour échanger l’habit ascétique du sectaire contre le léger costume du libre d’esprit. Mais cette "idée" ne pousse pas comme 1 champignon, elle est le fruit de son époque dont les humeurs les + subtiles, les + précieuses et les - visibles circulent dans Les Idées en général. C’est le même esprit qui édifie les systèmes des idées dans le cerveau des gens d’esprits, et qui construit les machines avec les mains du fabricant de machines. La théologie n’est pas hors du monde, pas + que le cerveau n’est extérieur à l’homme même s’il n’est pas dans son bide ; mais il est sûr que toute idée a pris contact avec le monde par la cervelle avant de toucher le sol avec ses orteils, tandis que maintes autres sphères humaines ont leurs orteils bien plantés sur la terre, et de leurs mains cueillent les fruits de la terre, avant de se douter que cette "tête" aussi fait partie de ce monde ou que ce monde n’est que celui de la tête.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    12 h 23, le 23 janvier 2015

  • JE NE VOIS PAS Où EST LA PROVOCATION. IL REPORTE L'HISTOIRE... SI ELLE EST PROVOCANTE ALORS LES RESPONSABLES SONT CEUX QUI L'ONT ÉCRITE... FAITE... OU VÉCUE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 05, le 23 janvier 2015

  • Les Eglises catholiques d'Orient, et en premier lieu l'Eglise maronite, ont besoin de suivre de très près le souffle et les enseignements du pape révolutionnaire François. Si elles le font avec sincérité, elles retrouveront une réelle chance de se renouveler spirituellement. C'est ce dont elles ont le plus besoin pour leur survie et leur progrès.

    Halim Abou Chacra

    05 h 55, le 23 janvier 2015

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