En attendant la suite des négociations entre l'Iran et la communauté internationale, qui doivent reprendre dans deux jours, la région retient son souffle. Comme le déclare un diplomate en poste à Beyrouth, on a l'impression que chaque pays cherche à se tailler une place de choix en prévision d'un accord entre l'Iran et les États-Unis, pour ne pas être écarté de la solution à venir. Pour ce diplomate, il est clair que ni l'Iran ni les États-Unis ne souhaitent revenir en arrière, car l'autre alternative c'est la guerre dont tous les deux ne veulent pas. Si un accord est conclu en juin, il aura forcément un impact sur la situation régionale et internationale, sinon il y aura probablement de nouvelles prolongations, comme celle qui a été décidée en novembre dernier dans le but de gagner du temps, puisqu'à partir de la mi-2015, les États-Unis devraient entrer en campagne électorale pour la présidentielle de 2016.
En attendant, toute la région est en ébullition. Le conflit entre l'Iran et l'Arabie saoudite (avec leurs alliés respectifs) est à son apogée, alors que la Turquie cherche à se tailler un leadership régional à la mesure des ambitions de son président Recep Tayyip Erdogan. En même temps, la Russie cherche à augmenter son influence dans la région, en essayant de profiter des espaces laissés vacants par les États-Unis et l'Europe. Ainsi, c'est la Russie qui se pose désormais en défenseur des chrétiens d'Orient « lâchés par l'Occident chrétien ». Parallèlement, la Russie a tissé des liens étroits avec l'Iran, tout en devenant incontournable dans le dossier syrien. C'est d'ailleurs sur ce dossier que les derniers entretiens entre l'émir Séoud al-Fayçal et le ministre des Affaires étrangères russe ont buté, transformant la visite de Fayçal à Moscou en fiasco diplomatique. Le ministre saoudien voulait à tout prix obtenir un engagement de la part de la Russie à lâcher Bachar el-Assad quitte à le remplacer par un autre alaouite. Ce qui, selon les rapports diplomatiques, lui aurait valu un refus assez sec de la part de son homologue russe Serguei Lavrov, en dépit des menaces saoudiennes de faire baisser encore plus les prix du pétrole pour amplifier la crise économique en Russie.
Mais les deux pays n'ont pas que des dossiers conflictuels. Selon le diplomate en poste à Beyrouth, ils pourraient trouver un terrain d'entente au sujet de l'Égypte. L'Arabie appuie en effet ouvertement le régime de Abdel Fattah Sissi alors que la Russie souhaite s'en rapprocher pour damer le pion aux Américains, l'Égypte étant depuis des années une chasse gardée américaine. C'est ainsi que les Américains se sont fait un peu tirer l'oreille pour reconnaître le régime de Sissi, considérant qu'il a réalisé un coup d'État contre un président démocratiquement élu, Mohammad Morsi. Ils l'ont finalement invité avec retard au sommet Afrique-Amérique, et le président Sissi a préféré ne pas s'y rendre, se contentant d'envoyer sur place son Premier ministre. Il a en même temps répondu à une invitation à se rendre à Sotchi, lieu que le président russe réserve à ses intimes. Poutine et Sissi s'étaient déjà rencontrés alors que le président égyptien était ministre de la Défense.
Le rapprochement avait été alors amorcé par le ministre égyptien des Affaires étrangères de l'époque Nabil Fahmi qui avait effectué un premier voyage en Russie en septembre 2013, en réaction au refus des États-Unis de reconnaître le nouveau pouvoir en Égypte après la chute de Morsi. Les Russes avaient saisi la balle au bond et proposé des réunions régulières entre les ministres des Affaires étrangères et de la Défense des deux pays. C'est ainsi que Sissi a pu susciter l'intérêt des dirigeants russes et rencontrer Poutine, alors qu'il n'était encore que ministre. Selon le diplomate en poste à Beyrouth, les deux dirigeants connaissent bien les limites du rapprochement entre leurs deux pays, sachant que les États-Unis fournissent une aide économique importante à l'Égypte et que la plupart des équipements de l'armée égyptienne viennent des États-Unis. Mais les offres russes étaient alléchantes : aider les Égyptiens à construire un satellite.
L'Union européenne avait fait une proposition en ce sens aux autorités égyptiennes, mais avec un coût plus élevé et avec l'interdiction de surveiller Israël. Avec les Russes, c'était donc bien plus facile. Tout comme les Russes ont promis d'envoyer leurs experts en Égypte pour aider ce pays à relancer ses usines d'armement au lieu de continuer à importer des armes... C'est dire que les terrains d'entente entre les deux pays sont nombreux, en plus du fait que l'Égypte n'a jamais fermé son ambassade en Syrie, qui est actuellement tenue par un chargé d'affaires, et ses relations avec le régime syrien n'ont pas été gelées. C'est bien sûr un sujet de conflit avec l'Arabie saoudite, mais les dirigeants de Riyad savent qu'il y a des situations sur lesquelles ils ne peuvent pas peser. En contrepartie, l'Égypte évite de défier l'Arabie en amorçant une ouverture claire en direction de l'Iran... La situation régionale reste donc assez complexe et les réseaux de relations se tissent pour permettre aux pays de la région de se préparer à un éventuel accord entre l'Iran et les États-Unis...
commentaires (12)
CORRECTION ! MERCI : "Il en est qui pavlovnienement parlant, dans le monde merveilleux...."
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
06 h 53, le 18 décembre 2014