« L'incontrôlable et imprévisible » (selon les qualificatifs attribués à Michel Aoun dans les rapports diplomatiques américains) a encore frappé. Alors que certains, au sein du 14 Mars le croyaient déçu, ayant abandonné « le rêve de la présidence » et donc prêt à examiner d'autres alternatives, le chef du CPL a annoncé mercredi soir sur la MTV une initiative qui a pris les protagonistes de court et met certainement au pied du mur le 14 Mars et en particulier les Forces libanaises.
Depuis des mois, cette formation et son chef, Samir Geagea, ne cessent de défier Aoun en le sommant de se rendre, avec les députés membres de son bloc, au Parlement pour assurer l'élection d'un nouveau président, sachant que la candidature de Geagea lui-même est maintenue. En agissant ainsi, les Forces libanaises considéraient qu'elles s'installaient dans une situation en tous points gagnante pour elles : d'une part, elles officialisent le statut de leur chef, Samir Geagea, comme candidat sérieux à la présidence et comme pôle chrétien qui rivalise avec Michel Aoun. D'autre part, elles coincent le général en le défiant d'aller au Parlement et d'affronter son rival, sachant que le chef du CPL refusait l'idée même d'un tel duel. Enfin, elles peuvent faire assumer à Aoun et à son bloc la responsabilité du blocage présidentiel et le refus de laisser « le jeu démocratique suivre son cours ». La situation aurait pu se prolonger, rendant toutefois de moins en moins confortable la position du 8 Mars et de ses alliés. Aoun avait d'ailleurs bien essayé de rejeter la balle dans le camp du 14 Mars, tantôt en lançant l'idée d'élire un président au suffrage universel à deux tours et tantôt en réclamant l'organisation des élections législatives avant l'élection présidentielle. Mais le 14 Mars avait beau jeu de rejeter les deux formules, tantôt en arguant de la nécessité d'un amendement constitutionnel, tantôt en invoquant la situation sécuritaire fragile.
Mais voilà que l'initiative lancée mercredi soir a bouleversé la donne. Aoun a donc proposé à tous les blocs parlementaires de se rendre au Parlement pour choisir entre deux candidats, Samir Geagea et lui-même, puisqu'en réalité ce dernier est le candidat déclaré du 14 Mars depuis des mois, alors que lui est ouvertement appuyé par le Hezbollah et d'autres composantes du 8 Mars. Cette proposition devrait, à ses yeux, satisfaire les Forces libanaises, puisqu'elle reconnaît implicitement le leadership de leur chef et en même temps elle se veut équitable puisque après tout, Samir Geagea a eu le mérite de présenter officiellement sa candidature qui a été, tout aussi officiellement, adoptée par le 14 Mars dans toutes ses composantes, notamment par les autres candidats potentiels de ce camp politique. Quant au fait de limiter le choix des députés aux deux candidatures, il vise à éviter l'élection d'un candidat dit d'entente qui n'aurait pas eu une réelle représentativité au sein de la communauté chrétienne. Pour le CPL, il ne devrait pas s'agir d'un grand sacrifice, puisque toutes les composantes chrétiennes du 14 et du 8 Mars, ainsi que Bkerké, se déclarent en faveur d'un candidat « fort », même si ce terme est sujet à diverses interprétations. En tout cas, nul ne nie le fait qu'aussi bien Michel Aoun que Samir Geagea font partie des « forts ».
Pour toutes ces raisons, la proposition de Aoun place donc le 14 Mars dans l'embarras. D'une part, ce camp politique qui a réclamé à cor et à cri la participation de tous les blocs à une séance électorale pour départager Aoun et Geagea, tout en se déclarant en faveur de l'élection d'un candidat « fort », ne peut pas la refuser et, d'autre part, il est coincé par rapport aux autres candidats, déclarés ou non, issus de ses rangs. Si l'appui à la candidature de Geagea était une manœuvre de la part du 14 Mars, dans le but de contraindre Michel Aoun à retirer la sienne, c'est le contraire qui est en train de se produire. D'ailleurs, les députés des Forces libanaises ont eu hier des réactions plutôt favorables qui en disent long sur la confusion dans laquelle les a placés l'initiative de Aoun. Finalement, les FL ont dû publier un communiqué dans lequel elles déplorent le fait que « Aoun ne cesse d'approfondir le fossé entre les chrétiens ». Mais la réalité est que la proposition du général place le 14 Mars au pied du mur, en lui retirant l'argument sans cesse ressassé selon lequel Aoun et son bloc refusent de se rendre au Parlement pour participer à la séance d'élection présidentielle.
Désormais, le 14 Mars compte sur Walid Joumblatt pour rejeter cette initiative, sachant qu'il a lui-même son candidat dit centriste, le député membre de son bloc Henri Hélou. D'ailleurs, très vite, le chef du PSP a réagi en affirmant que Michel Aoun a le droit de faire des propositions, mais le respect de la démocratie lui permet d'avoir un autre candidat que ces deux pôles chrétiens...
Le ton est donc pratiquement donné et le 14 Mars cherche actuellement une argumentation convaincante pour rejeter la proposition de Aoun. Mais pour ce dernier, il s'agit d'un retournement de la situation en sa faveur. Si sa proposition est acceptée, il pourrait être élu, dans un scénario purement libanais, et si elle est rejetée, ce sera à l'autre camp d'assumer la responsabilité du refus de la seule proposition concrète interne actuellement sur la scène politique. Ou, en tout cas, les deux camps assumeront à égalité la responsabilité d'entraver l'élection présidentielle...
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commentaires (13)
Merci Madame de nous présenter constamment les interprétations aounistes des faits. Elles sont toujours très marrantes :)
Emmanuel Ramia
21 h 40, le 21 novembre 2014