Qui bloque l'élection présidentielle ? Qui veut la reconduction du Parlement ? Qu'est-ce qui a déclenché les événements de Tripoli? Qui protège et téléguide les « islamistes » (également désignés par « terroristes » ) dans cette ville ? Où sont-ils d'ailleurs partis, par quel canal ont-ils été évacués après que l'armée a ratissé les quartiers historiques dans lesquels ils étaient infiltrés ? Pourquoi avons-nous le sentiment qu'ils sont gardés sous le coude pour de prochaines enchères ? Pourquoi les soldats morts dans cette vaine bataille ont-ils soulevé moins d'émotion que les militaires enlevés dont les geôliers nous mènent, avec leurs familles instrumentalisées, une guerre de nerfs et d'usure sans relâche ? Qui sait comment se dénouera ce barnum qui nous vaut, au quotidien, des successions de messages d'alerte du genre : « Les islamistes menacent d'égorger le soldat Untel si leurs exigences ne sont pas satisfaites » – « Les ulémas interviennent auprès des islamistes » – « L'émissaire qatari prend langue avec les preneurs d'otages (et sort son chéquier ? ) » – « Les familles des soldats enlevés bloquent telle route » – « Les familles des soldats enlevés menacent d'une escalade » – « Le ministre Bou Faour intervient auprès des familles des soldats enlevés » – « Les familles des soldats enlevés ajournent l'escalade » – « Les islamistes ajournent l'exécution annoncée du soldat Untel »... Et ça recommence, dans le même ordre ou presque. Entre-temps, d'autres soldats meurent dans l'indifférence, sans doute parce qu'ils ne jouent pas dans le bon film. Clientélisme, corruption, méthodes mafieuses et déliquescence ont atteint des sommets. Le mal gagne les universités qui, elles aussi, semblent renoncer à organiser des élections estudiantines cette année. Toute forme d'expression démocratique semble gelée. En attendant quoi ?
Comment en sommes-nous arrivés là, nous autres gens ordinaires qui, il y a quelques années seulement, avons réussi à pousser 30 à 40 mille soldats syriens hors de nos frontières par la seule force de notre unanimité ? À quel moment avons-nous renoncé à nos rêves, à nos valeurs, à notre désir ardent d'accéder à un État de droit ? À quel moment les habitants de Beyrouth sont-ils devenus indifférents au sort de Tripoli au point de réduire cette ville, où vivent des personnes magnifiques de courage, d'authenticité et de générosité, des gens cultivés, ouverts, tolérants, à un fief islamiste détaché du pays comme une île en dérive ? De plus en plus étroites, nos vies s'étiolent dans les venelles de nos quartiers et se perdent dans un quotidien sans éclat. Nous n'avons plus de projets, nous n'avons plus que des souvenirs. Hier, tout violent qu'il fût, nous semble plus attrayant que demain. Dans ce présent étriqué, le cœur se rabougrit. Des témoins ont vu, il y a quelques jours, dans une rue très fréquentée de Dékouané, un Libanais s'en prendre à un balayeur immigré, cheveux blancs et larmes aux yeux. Il l'a obligé à s'agenouiller devant lui. La laideur de notre environnement carie nos âmes. Nous n'aimons pas ce que nous sommes devenus.
commentaires (5)
Nous n'aimons pas ce que nous sommes devenus, et le comble on obéit toujours à nos mafieux politiciens .
Sabbagha Antoine
16 h 19, le 30 octobre 2014