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Talon d’argile

Attention, Libanais, ils commencent à gagner, ne serait-ce que sur le seul tableau où ils avaient quelque chance de l'emporter. Et si l'on voit la médiévale barbarie marquer tant de points, c'est bien parce que l'y aident les plus inconscients, et aussi les plus machiavéliques d'entre nous.

Certes, le Liban n'est pas la Syrie, où fait rage la guerre civile. Il n'est pas non plus l'Irak dont on s'efforce aujourd'hui, dans le fracas des bombes, de réassembler les morceaux épars. Bien qu'affolés par ce qui se passe autour d'eux, ses chrétiens ne risquent pas d'être massacrés ou déportés. Et si les hordes de l'État islamique, bénéficiant de défections et désertions massives de militaires, ont réussi à s'emparer ailleurs de vastes portions de territoire, un scénario aussi cauchemardesque est irréalisable dans notre pays. En dépit de leurs rodomontades, les chefs de ces forcenés le savent bien. Mais ils n'ignorent rien, en revanche, des malformations et autres tares qui minent et fragilisent le corps libanais : si ces criminels font couper des têtes parmi leurs otages, c'est bien le vulnérable talon qu'ils visent de la pointe de leurs khandjars.

Le plus terrible est qu'ils font mouche. Les tensions entre sunnites et chiites libanais ne sont certes pas chose nouvelle. Alimentés par des puissances régionales rivales semant à satiété en terrain malheureusement fertile, ces tiraillements n'ont cessé en effet d'envenimer la vie publique. Mais c'est avec les exécutions, odieusement orchestrées, de militaires captifs appartenant à ces deux communautés, qu'au niveau de la populace, se sont donné libre cours de vils instincts, authentiquement libanais ceux-là hélas. Aux proches des otages, d'aucuns ont prétendu dénier le droit de manifester leur douloureuse colère dans la rue. Puis d'autres se sont livrés à des enlèvements d'innocents citoyens, et d'autres encore ont opéré de la même manière, ces échanges de bons procédés survenant entre localités voisines. On s'en est bassement pris, par ailleurs, aux misérables populations de réfugiés syriens. Ignorés, occultés, bassement insultés auront été ainsi les pathétiques appels et avertissements de ceux qui sont les plus tragiquement concernés et atteints – les propres pères des victimes – qui n'ont cessé de mettre en garde contre le venin de la discorde sectaire instillé par les assassins. Alors qu'elle devait unir les citoyens dans une même révulsion montée du fond de leurs tripes, c'est à un surcroît de méfiance et de discorde que l'horreur menace de conduire : cela à l'heure même où les forces de l'ordre ne savent plus où donner de la tête, la prolifération des crimes et délits venant s'ajouter à la lutte contre les terroristes de Daech.

C'est dans ce triste et déjà fort alarmant contexte que l'outrance trouve moyen de montrer son vilain museau. L'outrance, ce sont ces appels, tantôt insidieux et tantôt crus, à une étroite coopération avec le régime de Damas en vue de faire face au péril jihadiste. Comme si après avoir arrimé le pays à la crise syrienne en s'en allant prêter main-forte à l'armée baassiste, on cherchait maintenant à rétablir une dépendance qui a volé en éclats en 2005. Comme si le combat contre un terrorisme de bandes commandait le recours à un autre terrorisme d'État, non moins odieux et redoutable celui-là.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Attention, Libanais, ils commencent à gagner, ne serait-ce que sur le seul tableau où ils avaient quelque chance de l'emporter. Et si l'on voit la médiévale barbarie marquer tant de points, c'est bien parce que l'y aident les plus inconscients, et aussi les plus machiavéliques d'entre nous.
Certes, le Liban n'est pas la Syrie, où fait rage la guerre civile. Il n'est pas non plus l'Irak...